Santé : Épidémies — Un bouclier troué

Trois incidents cet été en fait de santé, permettent de faire le point sur l’état du bouclier épidémiologique chinois. On y verra des faiblesses, mais aussi des progrès, fruit de 10 ans de coopération systématique avec les agences spécialisées de l’ONU et des nations occidentales.

A Changchun (Jilin) le 25 juillet, les laboratoires Changsheng Bio-tech perdent leur licence, pour cause de fraude. Chez ce second groupe national, fabriquant de 3,54 millions de doses de vaccin antirabique par an (23% des besoins), 113.000 doses en stock ont été constatées inactives, pour cause de négligences lors de la production, qui ont ensuite été dissimulées par falsification des livres de comptes. Pire, 500.000 doses de vaccin DTC (diphtérie-tétanos-coquelu-che) déjà administrées à des bébés du Shandong et de l’Anhui, étaient dans le même cas. Rappelons que sur toutes ces grandes pathologies, tous les nouveaux nés sont vaccinés en Chine, à titre gratuit et obligatoire.

L’effet de la nouvelle fut fulgurant : par dizaines de milliers, des familles  s’envolèrent pour Hong Kong ou la Corée du Sud, assiégèrent les hôpitaux pour faire revacciner leur enfant. De lourdes sanctions suivirent, sur instructions directes du Président Xi Jinping : 18 cadres de Chang-sheng furent mis sous les verrous, dont la « reine des vaccins », la présidente Gao Junfang. Des amendes non précisées sont en préparation, ainsi que la « confiscation des profits ». Une quarantaine de cadres à tous niveaux furent démis, blâmés, mis à l’amende ou rétrogradés, parmi lesquels le vice-gouverneur du Jilin Jin Yuhui (responsable provincial de la supervision des médicaments et aliments), Li Jinxiu, ex-patron de la FDA locale, Liu Changlong le maire de Changchun et Bi Jingquan, vice-directeur national de la régulation des marchés. Wu Zhen, ex-n°2 à la FDA est placé sous enquête.

La liste des sanctionnés éclaire ici une pratique chinoise mal connue : souvent dans les hautes sphères, les véritables pouvoirs sont aux mains des n°2, pour protéger les n°1 des responsabilités et risques de carrière.

L’affaire a pris une tournure internationale : en 2017, les vaccins de Changsheng ont été exportés en Inde, au Cambodge et au Nigéria. Aussi le scandale cause une lourde perte de confiance dans le label chinois de santé, mais aussi hors frontières. D’autant que Changsheng n’était pas le premier groupe chinois à avoir produit de mauvais vaccins : en 2016 un réseau régional était convaincu d’avoir distribué pour 85.000$ de vaccins périmés, et en novembre 2017, le Wuhan Institute of Biological Products (Hubei) était traduit en justice par la FDA pour avoir produit et écoulé 400.520 doses déficientes de DTC. De telles affaires exposent crûment en Chine le besoin de réorganiser (une fois de plus !) le système national de contrôle de qualité.
Le ministère de la Santé vient de confier la traçabilité des vaccins chinois à la startup VeChain, experte de la blockchain. Sur chaque chaîne de production, des capteurs seront installés, enregistrant l’étape en cours. Les données seront encapsulées en une blockchain, pour les rendre ensuite infalsifiables et vérifiables en temps réel sur internet par tous, industriels, commerçants et cadres.

Le 20 août à Washington, le ministère fédéral de la Justice inculpait le gang shanghaïen de Zheng Guanghua et son fils Zheng Fujing, accusés de produire des dizaines de types d’opioïdes de synthèse, tel le Fentanyl, jusqu’à 100 fois plus puissant que l’héroïne. Sur internet, le gang se vantait en 35 langues d’exporter jusqu’à 16 tonnes de ces produits par mois. L’instance fédérale l’incrimine de deux morts par overdose aux USA mais le chiffre réel se compterait, internationalement, en milliers par an. La Chine, à ce stade, n’a pas fait savoir si elle avait procédé à des arrestations.

Premier consommateur et éleveur de porcs au monde, la Chine se trouve sous la menace d’une épidémie de peste africaine porcine (PPA), difficile à affronter avec un cheptel de 380 millions de bêtes élevées dans des conditions très diverses, du méga-élevage à la ferme de montagne.

Le virus était repéré pour la 1ère fois en mars 2017 en Sibérie (Russie), à 1000km de la frontière chinoise, qu’il franchissait par livraison de carcasses, par camion. De là, serait repassé dans les élevages nourris avec des déchets non consommés par l’homme. La PPA n’est pas transmissible à l’homme –sauf au cas où le virus muterait à l’avenir, perçant ainsi son bouclier immunitaire.

Les experts de la FAO (Food and Agriculture Organization) s’accordent à reconnaître qu’au fil des ans,  la défense chinoise contre le virus a été correctement menée, et de grands progrès accomplis depuis 10 ans, date de la première épidémie. Faute de vaccin, elle consiste en une isolation des zones contaminées et en l’éradication des troupeaux. A ce jour, 26.000 porcs ont été abattus, dont 9000 rien qu’à Shenyang. La coopération entre éleveurs et pouvoirs publics est bonne, ces derniers assurant à l’éleveur une compensation immédiate et adéquate (800¥) pour tout porc contaminé abattu. En 15 jours au Liaoning, après le lancement de l’alerte en août du fléau, 355.000 porcs avaient déjà été contrôlés, permettant l’abattage de 22 élevages avant que le virus ne se propage –mais entre temps, 4 autres foyers étaient identifiés entre Henan, Jiangsu, Guangdong et tout récemment, Anhui.
L’enjeu est considérable : une épidémie multi foyers de PPA a le potentiel d’infecter l’Asie du Sud-Est, la Corée, l’Europe. Et de fait, la partie est loin d’être gagnée—ce sont les autorités chinoises qui le disent – du fait d’autres vecteurs d’infection encore hors contrôle, telle la tique et le sanglier, frère sauvage du porc… Au moins, sur ce front, la Chine joue le jeu avec le monde.

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