Editorial : Dérives et initiatives sanitaires

Dérives et initiatives sanitaires

Vert, orange, rouge. Depuis le début de l’épidémie en 2020, le code QR de santé s’est révélé être un redoutable outil pour lutter contre la propagation de la Covid-19 en évaluant le risque sanitaire posé par chacun. Dès son lancement, plusieurs avocats et intellectuels avaient cependant alerté sur le fait que ce système basé sur la collecte de données privées (bornage téléphonique, historique de voyage, résultats de santé..) pourrait être détourné à des fins de contrôle social. Deux ans plus tard, leurs craintes sont devenues réalité.

Dans la province centrale du Henan, des fonctionnaires ont fait passer au rouge le code QR de milliers de petits épargnants, craignant de les voir venir réclamer leurs millions de yuans gelés depuis mi-avril dans les coffres de quatre petites banques régionales suite à une affaire de malversation. Résultat, impossible pour les titulaires de comptes de prendre les transports en commun, de pénétrer dans un lieu public, voire tout simplement de sortir de chez eux !

Cette mesure arbitraire n’a pas uniquement frappé les investisseurs mécontents. D’autres pétitionnaires en litige avec le promoteur immobilier Sunac à Zhengzhou, capitale provinciale, auraient également vu leur code QR devenir écarlate quelques jours avant une audience judiciaire…

Cet abus de pouvoir, quoique particulièrement efficace pour prévenir toute manifestation, a été rapidement identifié par des groupes de plaignants puis exposé sur internetSur Weibo, le hashtag en lien avec l’affaire a été vu par plus de 380 millions d’internautes. « Le gouvernement a maintenant délégué le pouvoir de décider si une personne est en bonne santé ou non, ou plutôt si elle constitue une menace ou non », dénonce l’un d’entre eux. « Les codes QR de santé sont devenus des menottes électroniques pour restreindre les honnêtes citoyens », s’indigne un autre.

Face à l’ire du public, les autorités du Henan se rejettent de l’une à l’autre la responsabilité tandis que les médias officiels attribuent ce fiasco à la « gouvernance paresseuse » de certains fonctionnaires locaux et assurent que cette pratique est illégale.

Pékin ne veut surtout pas que la population puisse penser que certaines administrations manipulent la couleur du code QR à leur guise. Une telle idée risquerait de saper la crédibilité du pilier numérique de sa stratégie de prévention épidémique, de la notion « d’État de droit » prônée par Xi Jinping et de la confiance de la population en les autorités. L’affaire est également de bien mauvais augure pour le système de crédit social que les autorités cherchent à déployer depuis quelques années.

Au chapitre « initiatives sanitaires » cette fois, voici que plusieurs villes chinoises se mettent à proposer à leurs habitants de plus de 60 ans, une assurance gratuite leur promettant de les dédommager à hauteur de 500 000 yuans s’ils peuvent prouver qu’ils sont tombés malades – ou pire, décédés – à cause du vaccin contre la Covid-19. À Pékin, plus de 60 000 seniors ont déjà souscrit à cette « couverture santé » depuis le mois d’avril.

Cette initiative a pour but de convaincre les personnes âgées réticentes à se faire vacciner, de sauter le pas. Cela permettrait de faire progresser le taux de vaccination, notoirement bas chez les plus de 80 ans : 50% d’entre eux ne sont pas vaccinés ou n’ont reçu qu’une seule dose. C’est le talon d’Achille de la stratégie vaccinale chinoise, qui s’est concentrée à ses débuts sur les 18 – 60 ans, « faute de données » concernant les autres tranches d’âge et personnes vulnérables. Il n’en fallait pas plus que pour que les sexagénaires (et plus) concluent que les vaccins peuvent être dangereux pour eux et que le risque n’en vaut pas la chandelle au vu de la très faible circulation du virus en Chine.

Pour dissiper ce sentiment « antivax », la Chine aurait pu – à l’instar de nombreux autres pays – miser sur la transparence et autoriser un débat public autour des vaccins, ce qui aurait contribué à booster ses taux de vaccination sur le long terme.

Au contraire, depuis le début de l’épidémie, les autorités sanitaires chinoises se bornent à présenter les vaccins nationaux comme « 100% sûrs ». Elles n’ont d’ailleurs divulgué que très peu de données sur leur efficacité et censuré les discussions sur leurs effets indésirables.

Paradoxalement, cette stratégie est contreproductive puisque l’absence d’informations encourage la prolifération de rumeurs (le vaccin provoquerait des leucémies ou des diabètes de type 1) et de théories complotistes

Alors qu’un nouveau vaccin à ARN messager « made in China », prénommé AWcorna, présente des résultats encourageants en dernière phase d’essais cliniques face au variant Omicron (4,4 fois plus d’anticorps que le Sinovac en 3ème dose), Pékin a tout intérêt à jouer la carte de la transparence pour venir combler le déficit de confiance qui persiste.

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