Société : Violences sexistes à Tangshan

Violences sexistes à Tangshan

Nous sommes le vendredi 10 juin. Il est 2h40 du matin à Tangshan (Hebei), « capitale chinoise de l’acier » de 7,7 millions d’habitants, victime d’un tremblement de terre dévastateur en 1976. Dans un restaurant de grillades, un homme, apparemment sous influence de l’alcool, s’approche d’une jeune femme attablée et lui touche le dos, sans son consentement. Elle l’interpelle et repousse sa main. Visiblement offensé, l’homme la frappe violemment au visage. Alors que les amies de la victime tentent de prendre sa défense, l’agresseur est rejoint par plusieurs membres de sa bande qui se mettent à leur tour à frapper les trois jeunes femmes. L’une est traînée à terre par les cheveux, puis rouée de coups de pieds ; l’autre reçoit une chaise à la figure, puis plusieurs coups de poing… Elles finiront à l’hôpital, sans que leurs jours ne soient en danger.

Ce déferlement de violence, filmé par des caméras de vidéosurveillance, va provoquer une onde de choc dans la Chine entière. Sur Weibo, les hashtags en lien avec l’agression vont être vus plus de 5 milliards de fois.

Après avoir tardé à réagir les heures suivant l’incident, les forces de l’ordre ont finalement interpellé le lendemain 9 personnes, qui pourraient écoper jusqu’à 5 ans de prison pour avoir « troublé l’ordre public et provoqué des querelles ». Parmi les suspects, plusieurs repris de justice qui auraient tenté de rejoindre le Jiangsu dans une Mercedes Maybach…

Il n’en fallait pas plus pour que les internautes suspectent les agresseurs d’être des petits gangsters protégés par des policiers corrompus. Le fait que le ministère de la Sécurité Publique (dont le patron Zhao Kezhi n’est autre que l’ancien Secrétaire du Parti au Hebei, de 2015 à 2017) préfère confier l’enquête aux autorités de la ville voisine, Langfang, pourrait bien confirmer cette thèse. Si ces suspicions sont avérées, elles seraient bien embarrassantes pour le gouvernement qui s’est maintes fois félicité des résultats de sa campagne « anti-gangs » lancée à l’échelle nationale en 2018.

Mais la polémique ne s’est pas arrêtée là. Le récit de l’agression en lui-même a fortement divisé l’opinion. Les médias officiels, tout en condamnant fermement l’incident, ont tenté de minimiser les faits et se sont bien gardés de parler de harcèlement sexuel. Au grand dam de nombreux internautes et féministes pour qui cette attaque est le reflet des violences systématiques faites aux femmes et du manque de protection juridique dont elles font l’objet, ce qui renforce le sentiment d’impunité de leurs agresseurs.

Une interprétation que le gouvernement cherche à étouffer, lui qui perçoit le féminisme comme un concept « néfaste » importé de l’Occident et dont les activistes sont qualifiées par la Ligue de la Jeunesse du Parti de « tumeurs » nuisant aux politiques natalistes du pays. Ainsi, Weibo a bloqué 265 comptes d’utilisateurs pour avoir « encouragé la confrontation entre genres ». Une censure récurrente lors d’affaires pouvant être associées au mouvement #MeToo.

Enfin, l’incident de Tangshan a relancé le vieux débat sur la passivité des témoins. Pourquoi aucun des clients n’a osé s’interposer pour essayer de mettre un terme à l’agression ? Est-ce par crainte d’être eux-mêmes violentés ? Est-ce par peur d’être pris pour les agresseurs par la police ou d’être accusés par les victimes ? Est-ce à cause de l’ « effet du spectateur », phénomène psycho-social documenté selon lequel plus les témoins d’une situation d’urgence sont nombreux, moins ils ont tendance à agir ? Il y a sûrement un peu de tout cela… Il n’en est pas moins que seules quelques femmes présentes cette nuit-là ont tenté d’aider les victimes, signe qu’une certaine empathie (certains diront « solidarité féminine ») subsiste malgré tout.

Avez-vous aimé cet article ?
Note des lecteurs:
3.57/5
7 de Votes
Ecrire un commentaire