Economie : Le Zhejiang, « paradis socialiste » en devenir ?

Le Zhejiang, « paradis socialiste » en devenir ?

Après avoir décrété l’éradication de la grande pauvreté, Xi Jinping s’attaque aux inégalités, mal rampant qui gangrène la société chinoise.

Même si Pékin ne publie plus officiellement son coefficient de Gini (index qui mesure les disparités des revenus, où « 0 » représente l’égalité parfaite et « 1 », l’inégalité complète) depuis plusieurs années, il serait en augmentation depuis 2015 et au-dessus du seuil d’alerte de 0,4. Deux statistiques laissent deviner l’ampleur du fossé entre les plus riches Chinois et les plus pauvres : les 600 millions qui vivent encore avec moins de 1000 yuans par mois, à comparer avec un PIB moyen par habitant qui a dépassé les 10 000 $ annuels (environ 65 000 yuans).

Socialiste dans l’âme, Xi Jinping est bien décidé à remédier à ces inégalités criantes, en leur opposant le concept de « prospérité commune » (共同富裕, gòngtóng fùyù). Il faut remonter au 4ème Plenum de 2019 pour retrouver plusieurs éléments de langage qui laissaient deviner que le thème allait prendre de l’importance. Terme employé pour la première fois par Mao, c’est surtout son emploi par Deng Xiaoping dans les années 80 qui a marqué les esprits : « la prospérité pour tous est l’essence même du socialisme, même si cela signifie que nous devons laisser certaines personnes et régions s’enrichir en premier » aurait déclaré le Petit Timonier. Ce à quoi, Jiang Zemin et Hu Jintao se sont contenté d’ajouter que cette prospérité devait être « équitable et juste ». C’est là que Xi Jinping entre en scène, proposant une véritable feuille de route pour arriver à ce « Graal » du socialisme d’ici 2050.

 

C’est ainsi que la province du Zhejiang va devoir se transformer en une « zone pilote pour la prospérité commune ». Selon les consignes publiées par le Conseil d’État le 11 juin, la province qui compte 64,5 millions d’âmes – presque autant que la France – a jusqu’à 2025 pour augmenter son PIB moyen par habitant à 130 000 yuans par an (+ 30%) – soit le même niveau que les pays modérément développés (20 000 $) – et le revenu disponible moyen de ses citadins à 75 000 yuans annuels. Actuellement, il est de 52 400 yuans62 700 yuans pour les urbains contre 31 930 yuans pour les ruraux. La province qui borde Shanghai devra également atteindre des objectifs chiffrés en matière de réduction des inégalités de revenus entre ses foyers les plus riches et les plus pauvres, et entre les villes et les campagnes. D’ici 2035, elle devra avoir réussi à atteindre « la prospérité commune » grâce à un « développement de haute qualité ».  

Sans préciser comment elle devra s’y prendre, le document officiel suggère au Zhejiang « d’éliminer les barrières institutionnelles qui impactent négativement l’emploi (comme le hukou, permis de résidence), d’intensifier la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles (dont Alibaba a été victime…), de prévenir ‘l’expansion désordonnée des capitaux’, d’encourager les groupes aux revenus élevés à redonner à la société (exemptions fiscales pour les donations caritatives), d’ajuster raisonnablement le salaire minimum, de développer le système de congés payés, d’améliorer la couverture sociale et le système de redistribution des ressources fiscales entre les zones urbaines et rurales, d’améliorer la connectivité avec les autres régions du delta de la rivière des perles (Shanghai, Jiangsu et Anhui), d’améliorer l’offre de soins pré- et post-natals et de services aux personnes âgées, de lutter contre la spéculation immobilière (le prix des logements flambe dans la région), d’atteindre les objectifs de réduction de son intensité carbone, et de mettre en valeur la marque « made in Zhejiang ».

Vue sur Weibo plus de 150 millions de fois, l’annonce a été accueillie avec enthousiasme par une grande majorité des utilisateurs, reprenant massivement les mots de Deng Xiaoping. « En voilà du véritable communisme », s’est réjoui un internaute. Mais rares sont ceux qui ont questionné la faisabilité du projet : « la nature humaine a deux faiblesses : l’égoïsme, personne ne voudra partager ses richesses, et la fainéantise, la ‘prospérité commune’ va rendre les gens paresseux », osait tout de même l’un d’entre eux.

Pourquoi avoir choisi le Zhejiang ? Selon la directive officielle, la province a été choisie pour « ses bons résultats en matière de lutte contre les inégalités, ses avantages existants, ses défaillances persistantes et son potentiel d’optimisation et de développement ».

Avec un PIB de 6461 milliards de yuans en 2020 (+3,6%), le Zhejiang se classe 4ème du pays derrière le Guangdong (n°1), le Jiangsu, et le Shandong. Son revenu disponible moyen lui permet d’arriver troisième du classement national en 2020, derrière Shanghai et Pékin. Son niveau de développement est également bien équilibré à travers son territoire, avec un écart de revenu entre les citadins et les ruraux, bien en dessous de la moyenne nationale.

Principal moteur de la province, le secteur privé représente 66,3% de son PIB en 2020, 74% de ses revenus fiscaux, 80% de ses exportations, 87% de l’emploi et 92% de ses entreprises. Parmi le top 500 des entreprises chinoises, près de 100 sont basées dans le Zhejiang, la province dominant ainsi le classement depuis 22 ans. Province ouverte sur le monde et innovante, elle a vu fleurir les petits commerçants à Wenzhou ou encore le fabricant automobile Geely, le géant du e-commerce Alibaba, le leader de la vidéosurveillance Hikvision, et l’application spécialisée dans les produits de beauté Meili à Hangzhou. Sa capitale provinciale est d’ailleurs censée accueillir les Jeux Asiatiques en septembre 2022. Le Zhejiang a également été pionnière en matière de réforme, notamment en ce qui concerne le droit du sol.

Aspect non négligeable, Xi Jinping y a été gouverneur en 2002 puis le secrétaire provincial jusqu’en 2007. C’est lors de ce passage qu’il aurait rallié autour de lui ceux qui constituent aujourd’hui « la bande du Zhijiang », comme Cai Qi, placé à Pékin, Li Qian, nommé à Shanghai, et Chen Min’er, posté à Chongqing.

Pour l’actuel secrétaire du Parti du Zhejiang, Yuan Jiajun, le défi est de taille : il doit trouver un moyen d’éviter que la province ne tombe dans « le piège du revenu intermédiaire » qui menace le pays entier. Mais, même si la province réussit sa mission, il est permis de douter que ce modèle puisse être répliqué sans difficulté dans un pays si hétéroclite.

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