Monde de l'entreprise : Pékin brandit sa loi anti-sanctions occidentales

Pékin brandit sa loi anti-sanctions occidentales

« Si personne ne m’offense, je n’offenserai personne, mais si quelqu’un m’attaque, je serais plus qu’un agresseur ». C’est accompagné de cette citation de Mao que Pékin a annoncé le 10 juin avoir adopté une « loi anti-sanctions étrangères » (反外国制裁法), deux jours après l’adoption au Sénat américain d’un texte « historique » prévoyant des investissements ambitieux dans la science et les technologies pour contrer la « menace chinoise ».

Historiquement, la Chine a toujours refusé d’avoir recours aux sanctions, considérées comme « des instruments de l’impérialisme occidental ». Pékin leur a jusqu’à présent préféré des mesures non officielles de coercition économique (restrictions aux importations, boycott populaire, détentions arbitraires…), mettant son immense marché au service de sa politique étrangère. L’arrivée de Donald Trump à la tête des États-Unis a changé la donne, et la poursuite de cette ligne dure par son successeur Joe Biden pousse Pékin à se bâtir, à son tour, un arsenal législatif.

Au nom du principe de « gouvernance selon la loi » cher au Président Xi Jinping, le nouveau texte offre donc un cadre légal à Pékin pour répliquer du tac au tac aux sanctions prises par l’Occident. Sans avoir été divulgué au préalable, le projet de loi était dans les tuyaux depuis 2020 et a été adopté en deux lectures, au lieu de trois selon le processus législatif habituel. Une procédure opaque qui n’est pas sans rappeler celle de la loi de sécurité nationale imposée à Hong Kong l’an dernier.

Entrée en vigueur le jour même, la loi stipule que « si des pays étrangers (…) prennent des mesures discriminatoires contre des citoyens ou des organisations chinoises et interfèrent dans les affaires intérieures chinoises, la Chine a le droit de prendre des contre-mesures correspondantes ».

Celles-ci pourront cibler « les individus [et les membres de leur famille] et les organisations directement ou indirectement impliqués dans la formulation, la décision et la mise en œuvre de mesures restrictives discriminatoires » à l’égard de la Chine. Une définition volontairement floue qui pourrait concerner les entreprises étrangères, les think tanks, les ONG mais aussi des hommes d’affaires, des politiciens, des chercheurs, des sinologues, des journalistes…

Les sanctions prévues incluent le refus de visa ou l’expulsion du territoire, la saisie des avoirs en Chine, l’interdiction d’effectuer des transactions ou de coopérer avec la Chine ; et enfin « toute autre mesure nécessaire ».

Ce faisant, Pékin se donne carte blanche pour prendre des contre-mesures plus lourdes que les sanctions initiales, à la manière de celles imposées contre l’Union Européenne fin mars. Même si rien n’est précisé sur la rétroactivité du texte, le précédent de la loi de sécurité nationale à Hong Kong qui s’est s’abattue sur plusieurs activistes, politiciens et organes de presse (comme le journal Apple Daily) pour des faits antérieurs au passage de la loi en juin 2020, n’est pas de bon augure…

Surtout, cette loi vient compléter la « liste noire » (pour l’instant vide) dévoilée par le Ministère du Commerce en septembre 2020 ainsi que le « règlement de blocage » (encore non utilisé) adopté en janvier, qui contraint les entreprises chinoises à déclarer toute restriction de la part d’un gouvernement étranger et leur permet à ce titre de réclamer compensation devant un tribunal chinois.

Cette disposition pourrait permettre, par exemple, au fabricant shanghaien de semi-conducteurs SMIC ou au géant des télécoms Huawei, de poursuivre en justice le spécialiste néerlandais des équipements de lithographie ASML ou le leader taïwanais des microprocesseurs TSMC, s’ils refusent de leur vendre du matériel par application des sanctions américaines. Dans le pire des scénarios, les firmes étrangères pourraient se retrouver contraintes de choisir entre le marché américain ou chinois, ce qui conduirait à une poursuite du découplage (technologique notamment) ou à une segmentation des activités entre la Chine et le reste du monde.

Même si ces outils réglementaires ont comme but premier de dissuader Washington de sanctionner les entreprises chinoises (déjà 59 sont sur liste noire), le gouvernement chinois espère contraindre les compagnies étrangères à plaider auprès de leurs gouvernements respectifs pour la levée des sanctions contre la Chine. C’était d’ailleurs le sens du message du vice-ministre des Affaires étrangères Xie Feng aux hommes d’affaires américains basés à Shanghai fin avril lorsqu’il parlait « d’exercer une influence active » auprès de Washington pour mettre fin à la guerre commerciale.

Face à cette nouvelle loi, l’Occident va-t-il véritablement renoncer à sanctionner la Chine et revenir sur ses pénalités existantes ? Rien n’est moins sûr… Étant donné le contexte actuel, aucun des deux camps ne semble prêt à faire le premier pas pour apaiser les tensions, et la spirale des « sanctions VS contre-sanctions » pourrait bien s’intensifier.

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