Politique : Les chaises musicales du Parlement

Comme chaque année, la session du Parlement est le moment privilégié pour procéder aux remaniements. Et depuis l’arrivée aux affaires de Xi Jinping, rares sont les hauts cadres qui restent en poste plus de deux ans, le Président voulant éviter que ces dirigeants n’occupent trop longtemps la même fonction afin de limiter la corruption.  « Sauf qu’après avoir placé tous ses proches alliés, Xi Jinping est contraint de faire de compromis pour pourvoir les postes vacants », commente Alex Payette, analyste politique et cofondateur du cabinet Cercius.

Les premières promotions ont déjà été dévoilées : le ministre de la Justice Fu Zhenhua (65 ans) prend sa retraite et est remplacé par le gouverneur du Liaoning Tang Yijun, un allié de Xi qu’il a connu dans le Zhejiang. A l’Écologie et l’Environnement (MEE), Li Ganjie part pour le Shandong, et cède sa place au ministère à Huang Runqiu, auparavant vice-ministre en charge des négociations du traité sur la biodiversité (qui devrait être finalisé cette année), tandis que l’ingénieur des mines de formation Sun Jinlong , issu de la « Ligue de la jeunesse » (base de pouvoir du Premier ministre Li Keqiang et du Président de la Cour Suprême Zhou Qiang), en devient le secrétaire du Parti. En effet, le profil de Huang (56 ans) est singulier : ce géologue est le 3ème ministre non membre du PCC depuis la fin des années 70, appartenant à un des huit mini-partis politiques (la « Société de Jiusan »). L’expertise peut ainsi prendre le pas sur l’idéologie lorsque les dossiers sont chers au régime. Pour mémoire, les deux autres ministres n’appartenant pas au Parti étaient Chen Zhu à la Santé (à l’initiative du projet du laboratoire P4) et Wan Gang au ministère des Sciences et Technologies (spécialiste en automobile) – tous deux promus en 2007.

D’autres dirigeants et ministres pourraient également tirer leur révérence lors de cette ANP, ayant atteint la limite d’âge (65/66 ans). Parmis eux, Xue Kelai Zakr, gouverneur au Xinjiang, Chao Hao, secrétaire du Parti au Yunnan, Sun Zhigang, secrétaire au Guizhou, Chen Wu, gouverneur au Guangxi, et Chen Qiufa, secrétaire au Liaoning…

Enfin, Xi Jinping poursuit sa purge au sein de l’appareil de la sécurité publique. La dernière victime à tomber pour corruption est le vice-ministre Sun Lijun, tout juste rentré de Wuhan. Sun est l’ex-secrétaire personnel de l’ancien patron de la Commission Centrale des Affaires Politiques et Légales (« zhengfawei »), l’influent Meng Jianzhu. Wang Xiaohong, « policier personnel » de Xi, pourrait également remplacer l’actuel ministre de la Sécurité publique Zhao Kezhi, appelé à de plus hauts desseins : pourquoi pas remplacer le Président de la « zhengfawei » Guo Shengkun, membre du Politburo et homme de l’ex-Président Jiang Zemin ? « Un tel scénario ne pourrait avoir lieu que si l’on trouve un poste convenable à Guo, car il sera difficile de le faire tomber pour corruption, faute d’affaires compromettantes », selon Alex Payette.

Sur le dossier hongkongais, les nouveaux dirigeants du Bureau des Affaires hongkongaises à Pékin et du Bureau de liaison à Hong Kong, Xia Baolong et Luo Huining, ne sontpas amenés à faire long feu. Il sont tous les deux des figures de transition ayant dépassé la limite d’âge, et dont la tâche est de faire le ménage dans ces institutions en attendant que des remplaçants soient identifiés. Autre sujet brûlant : la question du projet de loi de sécurité nationale dans l’ex-colonie britannique  Selon les rumeurs, la délégué hongkongaise à l’ANP Maggie Chan pourrait proposer de promulger l’article 23 sans l’aval du LegCo, le Parlement hongkongais.

Qui portera la responsabilité de l’épidémie ? Dans le Hubei, les dirigeants représentant le Parti ont été les seuls à en faire les frais : le secrétaire du Hubei Jiang Chaoliang, et celui de Wuhan Ma Guoqiang, étaient démis de leurs fonctions dès février. Par contre, les deux dirigeants représentant l’État et l’administration ont été maintenus : Wang Xiaodong, gouverneur du Hubei, et Zhou Xianwang, maire du Wuhan. Pourtant, ce dernier avait osé rejeter en public la faute de la lente réaction des autorités en début d’épidémie sur le niveau central dans une interview télévisée le 27 janvier. Alors pourquoi Zhou et Wang n’ont-ils pas été démis (ou transférés) jusqu’à présent ? Car en période de crise, il faut absolument mobiliser toutes les personnes compétentes. Or ce sont eux qui possèdent « les clés » de la ville, jouissant des réseaux d’influence nécessaires.

Au niveau central, les regards devraient se tourner vers Ma Xiaowei, à la tête de la Commission Nationale de Santé (CNS), A l’époque du SRAS, Ma en était déjà le n°2, et en tant que porte-parole, avait semé la désinformation autour du virus. Une erreur qui lui valut 17 ans sans promotion ! Il devenait finalement n°1 en 2018, lors de la refonte du ministère de la Santé. Réussira-t-il à nouveau à traverser cette épidémie sans encombre ?  Malgré tous les doutes que suscite sa gestion de la crise, Ma ne devrait pas être inquiété tant que la situation épidémique n’est pas entièrement sous contrôle. Il devait d’ailleurs prendre la parole lors de l’Assemblée mondiale de la Santé le 18 mai. Toutefois, la CNS pourrait tenter de se dédouaner en faisant porter le chapeau à Gao Fu, directeur du Centre national de Prévention des Maladies (CDC), lui qui déclarait début 2019 que le « mécanisme d’alerte épidémique est infaillible ». Gao a été plusieurs fois pointé du doigt durant l’épidémie…

Finalement, à l’inverse des scandales impliquant des acteurs privés (comme celui du lait à la mélamine), lors des crises sanitaires majeures (scandale du sang contaminé dans les années 90, SRAS en 2003), très peu de hauts cadres sont sanctionnés, note l’analyste. En effet, il est compliqué de trouver des remplaçants compétents. « Le système reste très opaque et ne permet que peu de transversalités, commente le politologue, cela peut expliquer pourquoi les profils politiques comme Chen Zhu, Wan Gang ou Huang Runqiu restent malheureusement rares ».

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1 Commentaire
  1. severy

    Quelles que soient leurs couleurs politiques, lorsqu’elles sont cuites, toutes les écrevisses virent au rouge.

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