Petit Peuple : Zhaotong (Yunnan) – Le long chemin de Li Jingwei (1ère partie)

Zhaotong (Yunnan) – Le long chemin de Li Jingwei (1ère partie)

Cet après-midi de novembre 1989 dans son village du Yunnan, Xiao Dou, 4 ans, jouait seul à la marelle sous le soleil ardent dans la ruelle de terre battue. C’est alors que le voisin Guo sortit de sa maison, avec en main un objet tiré au sol par une ficelle. Bariolé, l’objet s’ébranla en un mouvement qui stupéfia Xiao Dou : c’était un chat de bois, animé sur roulettes, qui se mouvait d’un geste coulé, comme s’il rampait en quête d’un oiseau. Xiao Dou, subjugué, s’accroupit pour le saisir. Mais l’« oncle » accéléra le pas pour inciter le petit à le suivre, tout en lui disant « viens avec moi, on se promène, et ensuite, je te le donnerai, il sera à toi ».

Ils marchèrent jusqu’à la rue adjacente, qu’ils empruntèrent, l’enfant répétant continûment « donne-le-moi, shushu ». Mais 30 mètres plus loin, croisant un minibus Jinbei à l’arrêt, leur déambulation fut interrompue par un couple sortant du véhicule. La femme attrapa l’enfant, avant de s’engouffrer dans le véhicule et d’en refermer la porte pour occulter ses hurlements perçants. L’homme pendant ce temps, remettait à Guo une liasse de billets roses – 5000 yuans que Guo recompta, prix de son rabattage. Puis l’homme se remit au volant et démarra en un rugissement, tandis que Guo se hâtait de repartir, piochon à l’épaule vers sa rizière à un quart d’heure de là : histoire d’être au loin quand les parents reviendraient et constateraient la disparition du petit.

À bord du minibus, Xiao Dou s’était effondré en pleurs. Sur la banquette arrière, la femme s’efforçait de le calmer d’une voix doucereuse. Ce n’était qu’une promenade, assurait-elle, bientôt ils retourneraient à la maison. Et en attendant, il allait pouvoir jouer avec Maomao, son chat de bois. La ravisseuse se gardait de l’appeler par son prénom, sachant bien que bientôt il en porterait un autre. En tout état de cause, le petit ne comprenait pas la moitié de ce que jargonnait la femme, dans son chinois qui n’était pas le sien. Au moins, le flot de paroles détournait son attention et semblait atténuer sa terreur. Puis elle sortit de son sac une friandise qu’elle lui mit dans la bouche. Il se mit à la sucer, croquer, et bientôt l’avala – c’était sans doute le premier chocolat de sa vie.

Quelques minutes plus tard, ses yeux se mirent à cligner, les sanglots s’espacèrent, sous l’action du puissant somnifère. Il s’affala sur la banquette. « Ça y est », cria-t-elle au chauffeur, « tu peux y aller ». Cessant de rouler sans but à travers la campagne, le chauffeur mit le cap sur la gare routière de Zhaotong-Sud, à temps pour attraper le bus longue distance pour lequel ils avaient déjà deux billets – celui de la femme, et celui du petit, suivant le scénario parfaitement minuté. A la gare, l’homme porta le petit endormi jusqu’au bus, suivi de la femme avec son sac de voyage. Le chat de bois restait dans le minibus, prêt à resservir d’appât pour d’autres kidnappings. Parfaitement au point, la filière enlevait des garçons de cette région pauvre, pour les revendre à prix d’or aux familles de la côte, en mal d’héritier.

Deux heures plus tard, Xiao Dou fut réveillé par les vibrations du bus sur la route défoncée par le passage des camions. Il était côté fenêtre, tandis que côté allée se trouvait sa geôlière, pour l’empêcher de filer. Pour ce genre de voyage, le bus était plus sûr que le train, risquant moins les contrôles ni l’évasion du môme. La femme au demeurant, le traitait bien, faisant tout pour lui adoucir l’inconfort de ce bus où la pluie pénétrait par le toit et les fenêtres, « cheveux peignés par le vent » (mù yǔ zhì fēng, 沐雨栉风). Elle sortit de son havresac un pot de yaourt, lui montrant comment aspirer avec la paille. Au prochain arrêt, elle l’emmena aux toilettes, puis lui acheta une barquette de riz au poisson, lui montrant comment manger avec la cuillère jetable, puis lui offrit un soda à la pêche… Autant de trésors d’une nouveauté absolue pour lui. Le devinant à l’écoute, la femme lui révéla qu’ils allaient chez un oncle très riche, dans un endroit merveilleux où il serait heureux. « Mais quand vais-je retrouver papa, maman ? », demandait-il sans cesse, et elle, de garder le silence, en évitant de croiser son regard. En attendant, si quiconque lui demandait qui ils étaient, il devait dire qu’elle était sa « ayi ». Sinon, il y avait danger– sa vie dépendait de son silence ! Ces propos sombres le replongèrent dans le désespoir, mais épuisé, il finit par se rendormir…

Au prochain réveil, il préféra ne plus ouvrir les yeux. En restant patient, se disait-il, peut-être le cauchemar se dissiperait, lui permettant de retrouver ses parents. On s’en étonnera peut-être, mais pas un instant, Xiao Dou n’envisagea de s’enfuir. Sa culture clanique l’avait moulé dans une discipline d’obéissance, et quand le lendemain à la gare routière loin de chez lui, la dame s’en alla faire des achats, il resta immobile sur son siège-baquet d’acier, à la laque usée par les ans et les milliers de voyageurs. Puis, ils passèrent à bord d’un autre autobus, longeant fleuves et gravissant les routes en lacets des montagnes, aspirant les fumées des colonnes de camions ployant sous leurs charges… 

Le cauchemar va-t-il s’arrêter ? Où vont-ils arriver ? On le saura la semaine prochaine !

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1 Commentaire
  1. severy

    Belle illustration de la Longue Marche entraînant tant d’innocents vers un avenir incertain.

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