Santé : « Les origines du mal »

Alors que le virus « SARS-CoV-2 » a déjà infecté plus de 2,3 millions de personnes et causé la mort de 150 000 à travers le monde, les yeux sont rivés sur la ville de Wuhan, premier épicentre connu du coronavirus. Son déconfinement le 8 avril laisse espérer la reprise des investigations sur les origines du Covid-19. 

Pour partir sur les traces du virus, les scientifiques ont recours à deux méthodes. La première consiste en une enquête de terrain : recenser les espèces animales présentes au marché de Huanan (berceau présumé du « SARS-CoV-2 »), collecter des échantillons, retracer les prélèvements qui testent positifs (où ont été achetés les animaux en question, et à qui ont-ils été vendus), et retrouver le patient zéro (premier humain contaminé, asymptomatique ou non, peut-être décédé)… La seconde approche consiste à remonter l’arbre généalogique du virus, en retraçant ses mutations. Un véritable travail de Sherlock Holmes en blouse blanche !

L’origine zoonotique du virus

Grâce à ses 10 ans de recherche dans les caves les plus reculées du pays lui ayant permis de constituer la plus large base de données au monde sur les chauves-souris, le Dr Shi Zhengli, directrice du centre de recherche de l’Institut de Virologie de Wuhan (IVW), dévoilait dès le 26 janvier que le « SARS-CoV-2 » (nom du virus du Covid-19) partage 96,2% des caractéristiques d’un coronavirus « RaTG13 » détecté chez une chauve-souris du Yunnan.

Si tous les scientifiques s’accordent à dire que l’animal nocturne est bien le réservoir d’origine du « SARS-CoV-2 », il reste toutefois à identifier le potentiel « hôte intermédiaire » entre le chiroptère et l’humain, probablement un mammifère. Dans le cas du SRAS, la coupable était la civette palmée, dans celui du MERS, des dromadaires – la viande caméline étant un met courant au Moyen-Orient. Ainsi, la piste du serpent (le bongare rayé ou le cobra chinois), se nourrissant de cadavres de chauves-souris, était rapidement écartée : il n’existe aucun précédent d’un coronavirus capable de passer d’un animal à sang froid aux humains.

Le pangolin a longtemps été le suspect numéro 1. En effet, ce petit animal dont les écailles sont prisées en médecine traditionnelle chinoise dévore des fourmis qui se nourrissent des mêmes fruits que les chauves-souris. Des recherches chez le pangolin de Malaisie détectaient un coronavirus proche du « SARS-CoV-2 » à 90,4% selon l’Université de l’Agriculture du Sud de la Chine, à 91,02% selon Zhang Zhigang de l’Université du Yunnan, et à 92,4% selon le virologue de Hong Kong Guan Yi. Mais cette similarité n’est pas suffisante pour faire du petit fourmilier l’hôte intermédiaire du virus : il faudrait au moins atteindre le seuil des 99%. En 2003, le « SARS-CoV » partageait 99,8 % de son génome avec un virus isolé des civettes, ne laissant plus aucun doute sur son origine.

Officiellement, ni pangolin ni chauve-souris n’étaient vendus au marché de Huanan. Par contre, 120 autres animaux sauvages issus de 75 espèces y étaient proposés à la vente, parfois vivants, dans des conditions insalubres. Le 26 février, une étude chinoise révélait que les tortues peuvent également transmettre le virus. Un rapport du 30 mars dévoilait que le « SARS-CoV-2 » se propage aussi chez les chats et les furets, mais se duplique mal chez les chiens, les cochons, les poulets et les canards…

La piste du marché de Huanan

Après avoir constaté qu’au moins deux tiers des patients présentant des signes du Covid-19 avaient fréquenté le marché de Huanan à Wuhan, les autorités locales ordonnèrent le 1er janvier sa fermeture et sa décontamination, avant même que les scientifiques ne puissent réaliser leurs prélèvements, selon le magazine Caixin. Ce nettoyage amenait le célèbre chasseur de virus américain Ian Lipkin (à son tour contaminé par le Covid-19 en mars) à craindre la destruction de précieux éléments utiles à l’enquête.

26 jours plus tard, une équipe du Centre épidémiologique National (CDC) déclarait tout de même avoir réalisé 585 prélèvements (urine, excréments) sur le marché incriminé « entre le 1er et le 12 janvier ». Les experts auraient également récupéré le contenu de plusieurs frigos remplis de viande, l’identité des vendeurs et leurs registres de vente. Finalement, le « SARS-CoV-2 » était retrouvé dans 33 échantillons provenant de 22 étals et 1 camion poubelle – sans donner plus de précisions sur l’espèce animale à laquelle ils appartenaient. Ce résultat apporte la preuve que le virus était bien présent au marché de Huanan, chez un ou plusieurs animaux.

Pourtant, selon une étude publiée le 24 janvier dans la revue The Lancet, le premier patient officiel (1er décembre) ne présentait pas de lien direct avec le marché, tout comme 13 autres personnes parmi les premières infectées à Wuhan, ouvrant la voie à deux hypothèses : soit le virus était déjà transmissible entre humains ; soit d’autres foyers de contamination que le marché de Huanan existaient, ne devenant dans ce cas qu’un second épicentre du virus. En effet, une bête malade pourrait très bien avoir été importée à Wuhan en provenance d’autres régions de la Chine ou d’Asie. D’autres marchés de la ville, de la province, ou du pays ont-ils été testés ? Au 26 janvier, le CDC affirmait avoir effectué au total 1 600 prélèvements dans le Hubei et dans le reste du pays, sans en dire plus.

Depuis, cette preuve liant le marché de Huanan au « SARS-CoV-2 » a été délaissée du récit officiel. Le 25 février, il était décidé que le marché serait vidé et nettoyé pour de bon. Avant le grand nettoyage prévu pour le 3 mars, le Dr Shi Zhengli revenait une seconde fois sur les lieux, espérant glaner quelques échantillons supplémentaires : « je n’ai rien trouvé de plus que les experts du CDC, déclarait-elle, remportant tout de même avec elle deux petites boîtes en polystyrène ».

Alors, quels espoirs placer en cette enquête de terrain ? Le Dr Zhao Wei, directeur du laboratoire P3 à la Southern Medical University (Canton), appelle à la prudence : « Ces investigations peuvent rapidement devenir compliquées, car des éléments sont peut-être perdus à jamais. Et le temps ne joue pas en notre faveur, la mémoire des personnes-clés pouvant s’étioler… Ce travail peut donc durer des mois ou des années, et il y a bien sûr un risque de ne jamais pouvoir reconstituer complètement la chaîne de transmission ». 

Remonter l’arbre généalogique du virus

L’autre méthode, dite « phylogénétique », consiste à retracer l’évolution du génome du virus chez les patients, permettant d’émettre des hypothèses quant à sa trajectoire géographique. C’est l’approche adoptée par les chercheurs de l’Université d’agriculture de Chine du Sud (Canton) et du jardin tropical botanique du Xishuangbanna (Yunnan). L’équipe du Dr Yu Wenbing analysa les séquences génétiques de 93 patients de 12 pays. Ils dévoilèrent le 20 février que certains marqueurs génétiques les plus proches du « RaTG13 » (les haplotypes 13 et 38) étaient présents chez des patients de Shenzhen et de Washington, infectés durant leur visite à Wuhan. Les patients liés au marché de Huanan présentaient d’autres marqueurs, suggérant ainsi que le virus détecté à Huanan n’est pas la souche d’origine. 

Ces résultats auraient très bien pu passer inaperçus si l’expert national, le très respecté Dr Zhong Nanshan, n’avait déclaré le 27 février : « si le virus a bien été découvert en Chine, cela ne veut pas nécessairement dire qu’elle en est l’origine ». Soulevant une large polémique, le professeur de 83 ans précisa sa pensée quelques jours plus tard : « je voulais simplement dire que le lieu où le virus a été découvert n’est pas forcément celui de sa source. Cela ne veut pas pour autant dire que le virus vient de l’étranger. Seules des recherches poussées peuvent répondre à cette question ».

A partir de ce moment-là, la Chine entière se persuadait que le coronavirus venait des Etats-Unis. Et toute étude scientifique était interprétée dans ce sens.

C’était le cas de celle du Dr Peter Froster de l’université de Cambridge, publiée le 8 avril. Selon une méthode similaire à celle du Dr Yu Wenbing, les scientifiques anglais analysèrent 160 séquences génétiques complètes du virus, téléchargées sur la plateforme scientifique GISAID entre le 24 décembre et le 4 mars, appartenant à des patients du monde entier. Ils identifièrent trois souches du virus : A (la plus proche de celle retrouvée chez la chauve-souris), B (répandue en Chine), C (courante en Europe). La souche A était détectée chez des patients chinois (du Guangdong et de Wuhan), mais aussi américains, australiens, japonais, ou originaires du sud de l’Asie, présentant un historique de voyage en Chine. Alors, comment expliquer que la souche A soit plus répandue aux USA qu’à Wuhan, où la souche B est plus commune ? Cela voudrait-il dire que le virus viendrait vraiment des Etats-Unis ? Selon le Dr Froster, la souche A pourrait bien avoir émergé en Chine mais se serait mieux adaptée à la population américaine qu’à celle chinoise. « Toutefois, s’il fallait parier aujourd’hui sur une origine, je miserais plutôt sur le Sud de la Chine que sur Wuhan », s’avançait-il. Pour en avoir le coeur net, il faudrait analyser davantage de séquences génétiques, antérieures à décembre ». Ce ne sera pas tâche facile étant donné que plusieurs prélèvements issus de patients du mois de décembre ont été détruits à la demande de la Commission Nationale de Santé

Le Dr Froster ajoutait également que le coronavirus « RaTG13 » pourrait très bien avoir circulé dans la nature pendant des mois, voire des années, à un rythme d’une mutation tous les 30 jours, avant de passer à l’Homme sous la forme du « SARS-CoV-2 ». Une équipe d’experts internationaux concluait à un scénario similaire : le virus pourrait avoir circulé chez l’humain depuis des années, voire des décennies, sans être détecté, avant de muter pour une centième fois dans sa forme la plus contagieuse et létale durant la fin d’année 2019 en Chine. Les algorithmes du Dr Froster affinaient la date de cet événement à une période entre le 13 septembre et le 7 décembre 2019. Selon le quotidien hongkongais SCMP, les autorités chinoises seraient déjà remontées jusqu’à un patient de 55 ans du Hubei dès le 17 novembre – sans que cette information ne soit rendue publique. Huit autres patients âgés de 39 à 79 ans ont également été détectés au mois de novembre.

Sous cette lumière, la vérité sur les origines du virus semble donc à portée de main (ou de microscope), mais tout dépendra du bon vouloir de la Chine à fournir les informations dont elle dispose. Malheureusement, en attendant désespérément une explication à ses maux, le public préfère se raccrocher à des théories plus fantaisistes…   

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