Le Vent de la Chine Numéro spécial 15-16 (2020)

du 15 au 21 avril 2020

Editorial : Révélations chiffrées

 « Croyez-vous vraiment les chiffres d’un pays aussi vaste que la Chine » ? « Ne soyons pas naïfs au point de dire que la Chine a été bien meilleure pour gérer la crise sanitaire. Il y a clairement des choses qui se sont passées dont nous ne sommes pas au courant ». « Rien ne pourra revenir à la normale. La Chine devra expliquer comment l’épidémie a surgi et si elle avait pu être évitée. Il faudra absolument tirer les leçons en profondeur ». Ces morceaux choisis, respectivement attribuables au Président Trump, au Président Macron et au secrétaire aux Affaires étrangères britannique Dominic Raab, sont révélateurs du climat orageux qui règne en Occident lorsqu’il s’agit d’évoquer la Chine. C’est dans ce contexte tendu que Pékin publiait ses derniers chiffres, bien conscient que sa crédibilité est en jeu. Même si chacun sait (le Premier ministre Li Keqiang en tête de liste) que les données officielles chinoises sont à prendre avec des baguettes, Pékin est contraint à un effort de transparence sous pression internationale, mais aussi de sa propre population.

Le 17 avril, la Chine prenait le monde par surprise en publiant un nouveau bilan des décès à Wuhan, et il est très précis. De 2 579 morts, il passait à 3 869, soit 1 290 décès de plus, représentant une hausse exacte de 50% dans la ville. Selon les autorités, ce bilan actualisé est attribuable à un groupe dédié au traitement des données et aux enquêtes épidémiologiques sur l’origine du virus fin mars : « durant cette folle période, le décompte n’a pas pu être bien tenu. Il a fallu ajouter 1 454 cas de personnes décédées à la maison, dans les hôpitaux d’urgence et privés, ou dont les certificats de décès ont été transmis tardivement ou oubliés… et déduire 164 cas de doublons ou d’erreurs de diagnostic (non décédés du Covid-19 ) ». Comme le mentionnait un cadre de la municipalité, l’enjeu est immense : « à travers ces données, c’est la crédibilité du gouvernement qui est en jeu ». Pas de railleries, semblait avertir la directrice technique du programme d’urgences sanitaires de l’OMS, l’Américaine Maria van Kerkhove : « tous les pays seront amenés à réévaluer leurs chiffres ». Sur Weibo, le fait que les autorités reconnaissent leurs erreurs était salué par les internautes. Même si certains questionnent encore la véracité de ces chiffres, une grande partie des Chinois est convaincue d’une chose : le Parti a mieux géré la crise que les autres pays, faisant de la Chine le pays le plus sûr au monde – et provoquant une vague de retours de ses ressortissants, mettant la pression sur les frontières du pays.

Le même jour, la Chine était la première à dévoiler l’ampleur des dégâts du Covid-19 sur son économie : son PIB plongeait de 6.8% au 1er trimestre par rapport à 2019, une chute inédite depuis la fin de la révolution culturelle en 1976, mettant un terme à une ère de croissance ininterrompue. Selon les analystes, un PIB au-dessus de -5% n’aurait pas été plausible. Attendue au tournant, la Chine a donc résisté à la tentation d’enjoliver ses chiffres, ce -6,8% étant d’une « honnêteté rafraîchissante ». Si ce résultat plombe les deux objectifs du Président Xi Jinping pour 2020 : éradiquer la grande pauvreté et doubler le revenu par habitant par rapport à 2010, il lui laisse une chance d’afficher une croissance positive sur la totalité de l’année (1,2% selon les prévisions du FMI), échappant de justesse à la récession promise au reste du monde, la plus grave depuis la grande dépression des années 30. Mais n’est-ce pas reculer pour mieux sauter ? Si la reprise en Chine est plus que timide pour cause de consommation en berne et d’une baisse de la demande étrangère, un fort rebond est attendu pour 2021 : le FMI mise avec optimisme sur 9,2%.

Finalement, cette contraction historique ne serait-elle pas l’occasion pour le régime d’abandonner sa vieille tradition de l’objectif de croissance annuelle, comme le préconisent certaines voix au sein de l’appareil depuis des années ? Les réformistes espèrent surtout que cela va pousser le pays à repenser son modèle économique et entamer des réformes sans cesse remises au placard…

Réponse lors la prochaine session du Parlement qui se profile enfin. Les assemblées locales n’ayant pas encore eu lieu à cause de l’épidémie, se tiendront d’ici la fin du mois, tandis que les 200 membres du comité permanent de l’ANP se réuniront du 26 au 29 avril. A l’ordre du jour notamment, la loi sur la biosécurité. Surtout, ce sera l’occasion de fixer une date pour les « deux assemblées » requérant la venue de 5 000 parlementaires des quatre coins du pays à Pékin. Fin mai est évoqué, laissant encore quelques semaines aux délégués pour effectuer leur quarantaine. D’ici là, la capitale est en alerte maximale, et le district de Chaoyang (3,5 millions d’habitants) reste le seul du pays à être classé à haut-risque… Mais si la Chine est prête à tenir ses « lianghui », c’est qu’elle a fait ses comptes. La session sera donc à suivre de près.


Santé : « Les origines du mal »

Alors que le virus « SARS-CoV-2 » a déjà infecté plus de 2,3 millions de personnes et causé la mort de 150 000 à travers le monde, les yeux sont rivés sur la ville de Wuhan, premier épicentre connu du coronavirus. Son déconfinement le 8 avril laisse espérer la reprise des investigations sur les origines du Covid-19. 

Pour partir sur les traces du virus, les scientifiques ont recours à deux méthodes. La première consiste en une enquête de terrain : recenser les espèces animales présentes au marché de Huanan (berceau présumé du « SARS-CoV-2 »), collecter des échantillons, retracer les prélèvements qui testent positifs (où ont été achetés les animaux en question, et à qui ont-ils été vendus), et retrouver le patient zéro (premier humain contaminé, asymptomatique ou non, peut-être décédé)… La seconde approche consiste à remonter l’arbre généalogique du virus, en retraçant ses mutations. Un véritable travail de Sherlock Holmes en blouse blanche !

L’origine zoonotique du virus

Grâce à ses 10 ans de recherche dans les caves les plus reculées du pays lui ayant permis de constituer la plus large base de données au monde sur les chauves-souris, le Dr Shi Zhengli, directrice du centre de recherche de l’Institut de Virologie de Wuhan (IVW), dévoilait dès le 26 janvier que le « SARS-CoV-2 » (nom du virus du Covid-19) partage 96,2% des caractéristiques d’un coronavirus « RaTG13 » détecté chez une chauve-souris du Yunnan.

Si tous les scientifiques s’accordent à dire que l’animal nocturne est bien le réservoir d’origine du « SARS-CoV-2 », il reste toutefois à identifier le potentiel « hôte intermédiaire » entre le chiroptère et l’humain, probablement un mammifère. Dans le cas du SRAS, la coupable était la civette palmée, dans celui du MERS, des dromadaires – la viande caméline étant un met courant au Moyen-Orient. Ainsi, la piste du serpent (le bongare rayé ou le cobra chinois), se nourrissant de cadavres de chauves-souris, était rapidement écartée : il n’existe aucun précédent d’un coronavirus capable de passer d’un animal à sang froid aux humains.

Le pangolin a longtemps été le suspect numéro 1. En effet, ce petit animal dont les écailles sont prisées en médecine traditionnelle chinoise dévore des fourmis qui se nourrissent des mêmes fruits que les chauves-souris. Des recherches chez le pangolin de Malaisie détectaient un coronavirus proche du « SARS-CoV-2 » à 90,4% selon l’Université de l’Agriculture du Sud de la Chine, à 91,02% selon Zhang Zhigang de l’Université du Yunnan, et à 92,4% selon le virologue de Hong Kong Guan Yi. Mais cette similarité n’est pas suffisante pour faire du petit fourmilier l’hôte intermédiaire du virus : il faudrait au moins atteindre le seuil des 99%. En 2003, le « SARS-CoV » partageait 99,8 % de son génome avec un virus isolé des civettes, ne laissant plus aucun doute sur son origine.

Officiellement, ni pangolin ni chauve-souris n’étaient vendus au marché de Huanan. Par contre, 120 autres animaux sauvages issus de 75 espèces y étaient proposés à la vente, parfois vivants, dans des conditions insalubres. Le 26 février, une étude chinoise révélait que les tortues peuvent également transmettre le virus. Un rapport du 30 mars dévoilait que le « SARS-CoV-2 » se propage aussi chez les chats et les furets, mais se duplique mal chez les chiens, les cochons, les poulets et les canards…

La piste du marché de Huanan

Après avoir constaté qu’au moins deux tiers des patients présentant des signes du Covid-19 avaient fréquenté le marché de Huanan à Wuhan, les autorités locales ordonnèrent le 1er janvier sa fermeture et sa décontamination, avant même que les scientifiques ne puissent réaliser leurs prélèvements, selon le magazine Caixin. Ce nettoyage amenait le célèbre chasseur de virus américain Ian Lipkin (à son tour contaminé par le Covid-19 en mars) à craindre la destruction de précieux éléments utiles à l’enquête.

26 jours plus tard, une équipe du Centre épidémiologique National (CDC) déclarait tout de même avoir réalisé 585 prélèvements (urine, excréments) sur le marché incriminé « entre le 1er et le 12 janvier ». Les experts auraient également récupéré le contenu de plusieurs frigos remplis de viande, l’identité des vendeurs et leurs registres de vente. Finalement, le « SARS-CoV-2 » était retrouvé dans 33 échantillons provenant de 22 étals et 1 camion poubelle – sans donner plus de précisions sur l’espèce animale à laquelle ils appartenaient. Ce résultat apporte la preuve que le virus était bien présent au marché de Huanan, chez un ou plusieurs animaux.

Pourtant, selon une étude publiée le 24 janvier dans la revue The Lancet, le premier patient officiel (1er décembre) ne présentait pas de lien direct avec le marché, tout comme 13 autres personnes parmi les premières infectées à Wuhan, ouvrant la voie à deux hypothèses : soit le virus était déjà transmissible entre humains ; soit d’autres foyers de contamination que le marché de Huanan existaient, ne devenant dans ce cas qu’un second épicentre du virus. En effet, une bête malade pourrait très bien avoir été importée à Wuhan en provenance d’autres régions de la Chine ou d’Asie. D’autres marchés de la ville, de la province, ou du pays ont-ils été testés ? Au 26 janvier, le CDC affirmait avoir effectué au total 1 600 prélèvements dans le Hubei et dans le reste du pays, sans en dire plus.

Depuis, cette preuve liant le marché de Huanan au « SARS-CoV-2 » a été délaissée du récit officiel. Le 25 février, il était décidé que le marché serait vidé et nettoyé pour de bon. Avant le grand nettoyage prévu pour le 3 mars, le Dr Shi Zhengli revenait une seconde fois sur les lieux, espérant glaner quelques échantillons supplémentaires : « je n’ai rien trouvé de plus que les experts du CDC, déclarait-elle, remportant tout de même avec elle deux petites boîtes en polystyrène ».

Alors, quels espoirs placer en cette enquête de terrain ? Le Dr Zhao Wei, directeur du laboratoire P3 à la Southern Medical University (Canton), appelle à la prudence : « Ces investigations peuvent rapidement devenir compliquées, car des éléments sont peut-être perdus à jamais. Et le temps ne joue pas en notre faveur, la mémoire des personnes-clés pouvant s’étioler… Ce travail peut donc durer des mois ou des années, et il y a bien sûr un risque de ne jamais pouvoir reconstituer complètement la chaîne de transmission ». 

Remonter l’arbre généalogique du virus

L’autre méthode, dite « phylogénétique », consiste à retracer l’évolution du génome du virus chez les patients, permettant d’émettre des hypothèses quant à sa trajectoire géographique. C’est l’approche adoptée par les chercheurs de l’Université d’agriculture de Chine du Sud (Canton) et du jardin tropical botanique du Xishuangbanna (Yunnan). L’équipe du Dr Yu Wenbing analysa les séquences génétiques de 93 patients de 12 pays. Ils dévoilèrent le 20 février que certains marqueurs génétiques les plus proches du « RaTG13 » (les haplotypes 13 et 38) étaient présents chez des patients de Shenzhen et de Washington, infectés durant leur visite à Wuhan. Les patients liés au marché de Huanan présentaient d’autres marqueurs, suggérant ainsi que le virus détecté à Huanan n’est pas la souche d’origine. 

Ces résultats auraient très bien pu passer inaperçus si l’expert national, le très respecté Dr Zhong Nanshan, n’avait déclaré le 27 février : « si le virus a bien été découvert en Chine, cela ne veut pas nécessairement dire qu’elle en est l’origine ». Soulevant une large polémique, le professeur de 83 ans précisa sa pensée quelques jours plus tard : « je voulais simplement dire que le lieu où le virus a été découvert n’est pas forcément celui de sa source. Cela ne veut pas pour autant dire que le virus vient de l’étranger. Seules des recherches poussées peuvent répondre à cette question ».

A partir de ce moment-là, la Chine entière se persuadait que le coronavirus venait des Etats-Unis. Et toute étude scientifique était interprétée dans ce sens.

C’était le cas de celle du Dr Peter Froster de l’université de Cambridge, publiée le 8 avril. Selon une méthode similaire à celle du Dr Yu Wenbing, les scientifiques anglais analysèrent 160 séquences génétiques complètes du virus, téléchargées sur la plateforme scientifique GISAID entre le 24 décembre et le 4 mars, appartenant à des patients du monde entier. Ils identifièrent trois souches du virus : A (la plus proche de celle retrouvée chez la chauve-souris), B (répandue en Chine), C (courante en Europe). La souche A était détectée chez des patients chinois (du Guangdong et de Wuhan), mais aussi américains, australiens, japonais, ou originaires du sud de l’Asie, présentant un historique de voyage en Chine. Alors, comment expliquer que la souche A soit plus répandue aux USA qu’à Wuhan, où la souche B est plus commune ? Cela voudrait-il dire que le virus viendrait vraiment des Etats-Unis ? Selon le Dr Froster, la souche A pourrait bien avoir émergé en Chine mais se serait mieux adaptée à la population américaine qu’à celle chinoise. « Toutefois, s’il fallait parier aujourd’hui sur une origine, je miserais plutôt sur le Sud de la Chine que sur Wuhan », s’avançait-il. Pour en avoir le coeur net, il faudrait analyser davantage de séquences génétiques, antérieures à décembre ». Ce ne sera pas tâche facile étant donné que plusieurs prélèvements issus de patients du mois de décembre ont été détruits à la demande de la Commission Nationale de Santé

Le Dr Froster ajoutait également que le coronavirus « RaTG13 » pourrait très bien avoir circulé dans la nature pendant des mois, voire des années, à un rythme d’une mutation tous les 30 jours, avant de passer à l’Homme sous la forme du « SARS-CoV-2 ». Une équipe d’experts internationaux concluait à un scénario similaire : le virus pourrait avoir circulé chez l’humain depuis des années, voire des décennies, sans être détecté, avant de muter pour une centième fois dans sa forme la plus contagieuse et létale durant la fin d’année 2019 en Chine. Les algorithmes du Dr Froster affinaient la date de cet événement à une période entre le 13 septembre et le 7 décembre 2019. Selon le quotidien hongkongais SCMP, les autorités chinoises seraient déjà remontées jusqu’à un patient de 55 ans du Hubei dès le 17 novembre – sans que cette information ne soit rendue publique. Huit autres patients âgés de 39 à 79 ans ont également été détectés au mois de novembre.

Sous cette lumière, la vérité sur les origines du virus semble donc à portée de main (ou de microscope), mais tout dépendra du bon vouloir de la Chine à fournir les informations dont elle dispose. Malheureusement, en attendant désespérément une explication à ses maux, le public préfère se raccrocher à des théories plus fantaisistes…   


Santé : Le « SARS-Cov-2 » échappé d’un laboratoire ?

En mars, le Président Xi Jinping plaçait les recherches autour de l’origine du virus sur la liste des priorités nationales. Pourtant, cette quête semble complètement noyée par les théories que se jettent au visage les deux grandes puissances mondiales. En Chine, le virus aurait été importé par des militaires américains lors d’une compétition en octobre. Aux Etats-Unis, le Covid-19 aurait fuité d’un laboratoire de Wuhan, une thèse qui n’est peut-être pas étrangère à la stratégie électorale du Président Trump.

N’en déplaise au Nobel de médecine Luc Montagnier (convaincu que des fragments du VIH auraient été injectés au virus pour créer un vaccin contre le sida), au professeur Peter Chumakov et à quelques scientifiques indiens, la possibilité d’un virus fabriqué en laboratoire était fermement démentie par plusieurs experts de renommée internationale dans le magazine Nature le 17 mars, la séquence génétique ne présentant aucune altération imputable à une intervention humaine. Pourtant, ces scientifiques restaient sur la réserve concernant une éventuelle fuite : « même si l’hypothèse d’une émergence naturelle via un hôte intermédiaire est bien plus probable, il est actuellement impossible de prouver ou d’écarter celle d’une fuite d’un laboratoire ». 

Ce scénario était évoqué dès le 6 février dans un article de Xiao Botao et Xiao Lei de l’Université de technologie du Sud de la Chine (Canton), rapidement retiré « par manque de preuves directes ». Dans leur rapport, les deux auteurs pointaient du doigt un institut du CDC de Wuhan, à 277m du marché de Huanan, mais aussi un autre laboratoire de l’Institut de Virologie de Wuhan (IVW) à 12km de là – tous deux classifiés P2, un niveau de sécurité qui n’offre qu’un minimum de protection. Pour illustrer leurs doutes, ils se penchaient sur les travaux de Tian Junhua, directeur associé du CDC de Wuhan. Pas plus tard que le 11 décembre, une vidéo promotionnelle vantait les exploits du jeune chercheur  : « En 200 ans, le monde a découvert 2 284 types de virus ; en 12 ans, les équipes chinoises du CDC en ont découvert 2 000. La Chine a pris le leadership mondial dans la recherche fondamentale sur les virus ». Dans un autre témoignage de Tian, datant de 2017, le scientifique raconte avoir été attaqué par des chauves-souris lors d’une expédition. Le sang de l’une d’entre elles lui coula sur la peau, le chercheur ayant oublié de prendre les mesures de protection nécessaires. Lors d’un autre épisode, l’urine d’un chiroptère lui goutta sur le crâne. Dans les deux cas, Tian s’isola 14 jours, conscient du grave danger qu’il encourait… 

Ce ne serait pas le premier incident de ce type en Chine : en 2004, une négligence d’une étudiante de 26 ans à l’institut national de virologie de Pékin provoquait neuf nouveaux cas de SRAS dont un décès. Pas plus tard qu’en décembre dernier, 96 employés d’un institut vétérinaire de Lanzhou (Gansu) étaient infectés par la brucellose. Le 2 janvier, Li Ning, spécialiste du clonage animal et membre de la prestigieuse Académie des Sciences (CAS), était condamné à 12 ans de prison pour détournements de fonds et pour avoir vendu des animaux de laboratoire (cochons, vaches et du lait) à des marchés locaux. Selon un rapport de 2016, chaque année dans le Hubei, 300 000 animaux sont utilisés à des fins expérimentales. En théorie, il existe des protocoles pour disposer en toute sécurité de leurs carcasses (dont la crémation), mais cela a un coût. Li Ning aurait donc préféré les vendre à des marchés locaux : entre 2008 et 2012, Li et ses collègues auraient empoché 10,1 millions de yuans grâce à ce trafic. Trois jours avant la condamnation de Li Ning, He Jiankui, le généticien « apprenti-sorcier » ayant donné naissance à deux bébés à l’ADN génétiquement modifié, écopait de trois ans de prison…

Si ces incidents ne sont pas uniques à la Chine, tout le monde s’accorde sur le fait que la sécurité des laboratoires chinois doit être renforcée, même au plus haut niveau. Le Président Xi Jinping lui-même appelait à accélérer l’adoption d’une nouvelle loi de biosécurité le 14 février. Trois jours plus tard, le ministère des Sciences et des Technologies mettait un accent particulier sur le traitement des déchets biologiques.

Début 2018, deux câbles diplomatiques américains alertaient sur le manque de personnel qualifié au laboratoire P4 de l’Institut de virologie de Wuhan (IVW), les Etats-Unis s’étant toujours opposés à ce que la France aide la Chine à construire un tel outil, craignant qu’il se transforme en arsenal biologique. Initialement, le P4 devait accueillir 250 chercheurs, mais seulement quelques uns sont présents. 50 scientifiques français devaient également y venir en résidence sur cinq ans, sauf qu’à ce jour, un seul microbiologiste français est sur place, décevant les espoirs de coopération hexagonaux…

Les avertissements américains étaient émis après plusieurs visites à l’IVW des attachés scientifiques et de santé de l’ambassade à Pékin entre janvier 2018 (date de sa certification par les autorités chinoises) et mars 2018. Depuis, toutes traces de ces visites ont été effacées du site web de l’institut. Ces deux câbles soulignaient également que le travail de l’équipe de l’IVW sur la potentielle transmission à l’homme des coronavirus retrouvés chez les chauves-souris représentait un risque de SRAS bis, ces travaux ayant démontré que plusieurs de ces virus pouvaient muter vers l’Homme. Une conférence donnée par le Dr Shi Zhengli, directrice du centre de recherche de l’IVW, à l’université Jiaotong (Shanghai) en novembre 2018 sur ce même sujet, disparaissait aussi du net. Même si ces recherches ont pour objectif de prévenir la prochaine épidémie, plusieurs scientifiques s’inquiétaient dès 2015 de la dangerosité de ces expérimentations rendant un virus plus mortel ou contagieux, appelées « gain de fonction ». L’année précédente, les Etats-Unis publiaient un moratoire sur le financement de telles recherches. Pourtant, les USA avaient précédemment accordé une bourse à l’équipe du Dr Shi à hauteur de 3,7 millions de $… 

Interrogé à ce sujet, le Président Trump affirmait le 15 avril qu’une enquête sur la possibilité d’une fuite d’un laboratoire est en cours du côté américain. Il déclarait également en avoir discuté avec son homologue chinois Xi Jinping. Pour prouver sa bonne volonté, Shi Zhengli ne s’opposait pas à l’idée d’accueillir des experts américains dans les locaux du P4 pour mener des recherches et consulter sa biobanque. Officiellement, des chercheurs chinois ont assuré que le SARS-CoV-2 ne faisait pas partie de leur collection de coronavirus.

Pour qu’une visite d’experts étrangers ait lieu à Wuhan, il faudrait que le CDC national émette une invitation. Or, il parait improbable que la Chine fasse une telle requête. En janvier déjà, des scientifiques du CDC américain proposèrent leur aide, une offre qui resta lettre morte… Et même si une délégation était autorisée, les experts seraient triés sur le volet et ne verraient que ce que les autorités chinoises voudraient bien montrer, comme lors des visites de diplomates étrangers dans les camps de « rééducation » au Xinjiang. Dans ces conditions, l’OMS pourrait-elle jouer le rôle d’arbitre et revenir sur place mener l’enquête ? C’est probablement l’option que la Chine préférerait, les autorités ayant déjà ouvert les portes de Wuhan à une délégation internationale pendant un peu plus de 24h mi-février. Mais les conclusions de l’organisation onusienne seraient à coup sûr contestées en Occident, l’instance souffrant d’une forte perte de crédibilité suite à sa complaisance envers Pékin. C’est d’ailleurs ce qui conduisait Washington à suspendre ses 400 millions de $ de financement à l’OMS, laissant le champ libre à la Chine (comme lors du retrait des USA du Conseil des droits de l’Homme à l’été 2018)…

On le voit, faute de preuve concrète, les allégations américaines ne restent qu’à l’état de suppositions. De son côté, la Chine se comporte comme si elle avait quelque chose à se reprocher. Ce faisant, elle n’inspire pas confiance à ses partenaires, et encore moins à ses rivaux.  


Santé : Les scientifiques chinois sous pression

On le comprend, la question de l’origine du virus est devenue extrêmement sensible, voire tabou. D’ailleurs, scientifiques chinois comme étrangers, ne se risquent plus à faire de commentaire… Et cette situation n’est pas étrangère à la rivalité sino-américaine. Les premiers jours, les internautes chinois eux-mêmes suspectaient une fuite par inadvertance d’un laboratoire de Wuhan. Mais depuis que les Etats-Unis se sont emparés de cette théorie, la Chine nie en bloc et pourrait être tentée de s’arranger avec les faits pour donner tort à son grand rival. D’ailleurs, plusieurs signes de reprise en main de la recherche émergent, ne laissant aucunement présager d’une enquête transparente.

Dès le 30 janvier, pour éviter toute situation embarrassante pour le pouvoir (comme la révélation par des scientifiques chinois que la transmission interhumaine était avérée dès début janvier), le ministère de l’Information rappelait que « chaque projet de recherche doit d’abord servir les intérêts de la nation », et conseillait aux chercheurs «d’utiliser les résultats de leurs recherches pour lutter contre le virus, plutôt que de les publier dans des revues scientifiques ».

Un mois plus tard, le ministère annonçait que la manière dont le travail de millions de chercheurs était évalué, changerait à l’été : le nombre d’articles publiés dans de grands magazines scientifiques ne serait plus aussi important pour l’avancement de leurs carrières. Les scientifiques seront récompensés pour leur innovation, leur contribution à la société, et pour leurs travaux « en dehors du courant occidental ».

Enfin, une directive du 25 mars envoyée à au moins trois universités (celle de Fudan à Shanghai, et deux autres de Wuhan) interdisait aux chercheurs chinois de publier dans les revues scientifiques internationales sur le Covid-19 sans avoir reçu le feu vert d’un comité académique, puis du département des sciences et technologies du ministère de l’Education, puis du groupe de travail dédié au coronavirus du Conseil d’Etat. Cette directive n’était évidemment pas supposée être rendue publique, ce qui explique son retrait quasi-immédiat des sites web universitaires. Des chercheurs auraient-ils déjà publié des informations considérées comme sensibles par le régime ? En tout cas, il est clair que l’Etat ne veut pas prendre le risque de se retrouver en porte-à-faux avec la version qu’elle pousse auprès de son opinion : celle des militaires américains, reprise partout sur la toile chinoise.

Ainsi, une intervention du pouvoir dans le processus scientifique réputé « indépendant » est à craindre. Désormais, la communauté internationale (pas systématiquement familiarisée avec les « caractéristiques chinoises ») devra réaliser que toute recherche publiée sur le Covid-19 en provenance de Chine aura été validée par le régime – de la même manière que toute donnée chiffrée venant de Chine corrobore toujours la version officielle. Selon Zhang Lifan, commentateur politique basé à Pékin, « même si tout le monde sait qui est responsable de la pandémie, la Chine espère brouiller les pistes ».

Ren Yi, bloggeur influent et petit-fils d’une figure politique réformiste, dissimulé derrière le pseudo de « Chairman Rabbit » (兔主席), résume ainsi la situation : « un bon patriote sera plus enclin à croire que le virus est venu des Etats-Unis, tandis qu’un Chinois plus critique du régime pourrait admettre les origines chinoises du Covid-19 ». Selon lui, cela montre le problème de confiance en soi du peuple chinois, combiné à un sentiment de culpabilité, se sentant obligé d’assumer la responsabilité de la pandémie. Pour le régime, le seul moyen d’échapper au blâme mondial est de démontrer à tout prix que le virus ne trouve pas ses origines en Chine, quitte à soutenir des théories farfelues. « Si ces thèses trouvent leur public en Chine, sur la scène internationale, cela ne fait que de décrédibiliser la Chine et sa diplomatie », déplore Ren. Le gouvernement chinois aurait pu choisir de passer au-dessus des attaques américaines comme lorsque Donald Trump qualifiait le Covid-19 de « virus chinois », et maintenir une version purement scientifique des faits. Or ce n’est pas le chemin qu’elle semble prendre, assombrissant les chances de connaître un jour toute la vérité.


Taiwan : Identité taïwanaise et « corona-diplomatie »

Depuis la réélection de Tsai Ing-wen à la présidence de la République de Chine (Taïwan) le 11 janvier, les relations entre Taipei et Pékin se détériorent. Malgré les appels répétés de la Chine à ne pas politiser la crise actuelle liée au Covid-19, les luttes d’influence qu’elle mène pour isoler Taïwan ne font qu’exacerber les tensions et affecte profondément le sentiment nationaliste de la population taïwanaise.

Depuis 30 ans, l’Université Nationale Cheng-Chi (NCCU) réalise un sondage sur la question de l’attachement identitaire des Taïwanais. D’après ses derniers résultats (cf photo), en 2019, seul 3% de la population taïwanaise (soit 700 000 personnes) se sentait purement et seulement chinoise (contre 26% en 1992) – et serait donc pleinement favorable à une unification immédiate avec la Chine continentale. Parmi ces 3 %, certaines catégories de la population sont surreprésentées : les plus âgés, les continentaux (ceux arrivés avec Chiang Kaï-Shek en 1947), et les habitants de Kinmen (île proche du continent, qui appartient à Taïwan). Surtout, le sondage démontre que 59% de la population se considère uniquement taïwanaise et 35% à la fois taïwanaise et chinoise. Un renversement de la tendance puisqu’en 1992, ils étaient 46 % à se revendiquer des deux identités et seulement 17% à se sentir uniquement taïwanais. Ce qui est notable, c’est que les résultats de 2019 correspondent pratiquement à ceux des dernières élections présidentielles : 57% pour le DPP et Tsai Ing-wen, traditionnellement pro-indépendance, et 38% pour le KMT et Han Kuo-yu, plutôt pro-Pékin.

Selon un sondage du Mainland Affairs Council, le cabinet taïwanais (ROC) en charge des relations avec la Chine continentale et qu’on ne saurait accuser d’être pro-indépendance, la défiance à l’égard de la Chine n’a jamais été aussi haute : 76,6% des Taïwanais voient la Chine comme une puissance inamicale et 90% s’opposent au modèle hongkongais « un pays, deux systèmes ». Une manière commode de comprendre ces résultats serait d’y voir la conséquence d’une « influence américaine pernicieuse » voulant diviser la « race chinoise », et la couper de son « sol ancestral ». En réalité, les Etats-Unis n’ont pas besoin de faire beaucoup d’efforts pour pousser leur soft-power. La Chine se charge d’elle-même de convaincre les Taïwanais de son animosité : isolationnisme géopolitique, manœuvres d’encerclement par avions de chasse et bombardiers le 12 février, 17 mars et 10 avril, et attaques d’hors-bords le 20 mars. 

Le 8 avril, le Dr Tedros, directeur de l’OMS, mettait de l’huile sur le feu en accusant Taïwan – et non pas simplement certains Taïwanais (comme il aurait pu le formuler) – de lui avoir adressé des messages à caractère raciste. Ces accusations, immédiatement réfutées et condamnées par Joanne Ou, porte-parole de la République de Chine – d’autant que les services taïwanais ont montré que les insultes seraient en fait issues d’IP chinoises – ajoutaient encore à la défiance des Taïwanais envers cette institution critiquée pour sa complaisance envers Pékin depuis le début de la crise épidémique.

De plus, la légitime fierté d’avoir rapidement réussi à juguler la crise sanitaire (39 cas, 6 morts au 18 avril – un chiffre très bas comparé aux 23 millions d’habitants que compte l’île) et de pouvoir désormais aider les autres pays du monde (don de 7 millions de masques à l’Europe, de 2 millions aux Etats-Unis, et d’1 million en Asie) renforce encore le sentiment chez les Taïwanais de la valeur et de la singularité de Formose. Au vu de ce succès, on pourrait se demander si de même que la guerre commerciale entre Chine et Etats-Unis a profité à Taïwan au plan économique, Taïwan n’est pas aussi en train de gagner la bataille de la « corona-diplomatie », au moins au sein des pays de l’OCDE. Ainsi, lorsque Ursula Von der Leyen, Présidente de la Commission Européenne, remerciait chaleureusement Taïwan, et que le Département d’Etat américain qualifiait la République de Chine de « véritable ami » suite à l’envoi de masques, Pékin grinçait des dents. Pour Taïwan, cette crise sanitaire s’est transformée en vecteur de visibilité nouvelle.

Par Jean-Yves Heurtebise


Education : Une rentrée scolaire dans l’incertitude

A Pékin, Shanghai et Canton, les parents poussaient un soupir de soulagement : la reprise graduelle de l’école est annoncée pour le 27 avril pour les terminales, et pour le 11 mai pour les élèves de 3ème. Seuls ces deux niveaux reprendront le chemin des lycées, pressés par les examens de fin d’année, eux aussi repoussés vu les circonstances – une première depuis la révolution culturelle. 10,7 millions d’élèves passeront donc le « gaokao » (l’équivalent du baccalauréat) un mois plus tard que prévu, soit le 7-8 juillet, tandis que le « zhongkao » (brevet) sera organisé le 17 juillet. Outre la visite du Président Xi Jinping à Wuhan le 10 mars et le déconfinement de la ville le 8 avril, c’est un autre signal fort que les choses vont mieux.

Dans 24 provinces et municipalités, 35 millions d’élèves ont déjà repris le chemin de l’école. Et comme pour les entreprises ou les restaurants, les règles de la reprise scolaire sont strictes. Dans la province du Guangdong, tous les professeurs doivent être testés avant la rentrée, et les résultats sont inquiétants : à Shenzhen, 6 enseignants et 21 élèves testaient positifs au Covid-19. Le port du masque pour les élèves et le personnel est obligatoire dans les espaces fermés, mal ventilés ou fréquentés. A la bibliothèque ou dans les salles de TP, le nombre d’élèves est limité. Les récréations et pauses seront prises en décalé, tout comme le passage à la cantine, où les tables seront espacées de 1,5m. Les classes seront divisées en petits groupes. Et seuls les élèves qui habitent loin seront accueillis à l’internat. Les chambres, elles, ne pourront pas accueillir plus de six élèves.

Sauf qu’en pratique, tout ne se passe pas comme prévu, comme le montre la reprise des universités mi-avril dans le Jiangsu. La polémique débutait par le retour en avion d’un étudiant en provenance de Harbin (capitale provinciale du Heilongjiang, actuellement touchée par un rebond d’infections) qui développa une fièvre à son arrivée sur son campus universitaire de Nankin. Son département se mit alors à rechercher frénétiquement tout passager ayant pris le même vol que cet élève, provoquant un vent de panique parmi les étudiants. Cet épisode encouragea les estudiantins à se pencher de plus près sur les règles de retour sur les bancs de l’université. Pour qu’un élève soit autorisé à revenir sur le campus, la plupart des établissements exigent de signer une décharge de responsabilité en cas de contamination. Plusieurs étudiants contestaient l’efficacité des mesures sanitaires mises en place, comme l’interdiction de commander de la nourriture de l’extérieur, les forçant à fréquenter le restaurant universitaire. Au sein des dortoirs, aucune mesure préventive n’est prévue dans les douches communes… C’est ce qui poussait certains à refuser de revenir en classe, préférant continuer à suivre les cours en ligne. « Pourquoi risquerais-je ma vie en supposant que l’université est capable d’assurer ma sécurité ? Le Jiangsu était parmi les premières provinces à rouvrir les écoles, mais je refuse d’être un cobaye », explique un étudiant.

Dans les écoles internationales, la situation reste incertaine. En effet, nombre de professeurs étrangers sont coincés en dehors du pays et ne peuvent donc pas revenir au travail. Les parents eux sont mécontents d’avoir à payer un semestre à plein tarif pour des cours en ligne dont ils doivent assurer la supervision, particulièrement pour les jeunes enfants. Plusieurs réclament alors des remboursements ou refusent tout simplement de payer les frais de scolarité.

Les classes en ligne ne font pas non plus l’unanimité chez les jeunes. « Je reste seule chez moi toute la journée, étant donné que mes parents ont repris le travail » se plaint une élève de première. « J’ai hâte de retrouver mes camarades de classe et mes professeurs », confesse-t-elle. D’autres élèves regrettent de ne pas faire l’objet d’une attention personnalisée de leurs enseignants. « Ce sont uniquement des cours par niveau », explique un lycéen.

En parallèle, ces cours en ligne ont permis à la « tricherie sur internet » de se professionnaliser – à tel point que de tels « services » étaient parmi les plus recherchés pendant l’épidémie sur Baidu. Et l’offre est attractive : embaucher quelqu’un pour suivre la classe à la place de l’élève, ou passer un test en ligne par un logiciel, est possible pour la modique somme de 60 à 80 yuans. On peut aussi commander une dissertation, rédigée par un robot et indétectable par les programmes informatiques antiplagiat. Sans surprise, les élèves de tout niveau en raffolent, particulièrement les cancres désespérés d’obtenir de bonnes notes… Mais attention à la contre-attaque académique : à l’université de Xi’an, des dizaines d’étudiants ont déjà été sanctionnés pour avoir triché en ligne.


Petit Peuple : Tongzhou (Pékin) – Comment remercier les toubibs !

Quand l’épidémie du Covid-19 tomba sur Pékin fin janvier, Li Yan, livreur, crut se retrouver sur une autre planète, et en tout cas, loin de la ville qui l’avait vu naître 34 ans plus tôt. D’ordinaire, rues et avenues vibraient d’activité à la veille du solstice du Printemps -une foule bigarrée fourmillant et se pressant pour les derniers achats avant le banquet de la fête du Nouvel an lunaire. Désormais, en sa banlieue de Tongzhou, tout trafic avait disparu, laissant la ville vide et silencieuse. Sur sa motocyclette portant la livrée de Meituan ( groupe chinois spécialisé dans la livraison à domicile), Li Yan pouvait désormais exécuter ses courses en deux fois moins de temps, sans avoir à se faufiler entre les files de voitures à grand renfort de klaxon et au risque de sa vie. 

Mais l’économie reculait en peau de chagrin : ses 50 courses par jour jusqu’au mois de décembre, n’étaient aujourd’hui plus que 20 à peine. Dans les rues, les rares passants portaient bien visible au visage masqué, l’incertitude et l’angoisse du lendemain. La plupart des stores des boutiques étaient baissés et les hauts parleurs tonitruants d’hier, avaient laissé place aux hululements des sirènes des ambulances, faisant passer un frisson sur son échine. « J’en venais à regretter la pollution », avoue notre livreur, les gaz d’échappement que j’aspirais à chaque feu rouge, mon énervement quand je devais gravir en courant les couloirs et escaliers des immeubles pour livrer une pizza à demi-froide »…

Mais pour Li Yan, cette ère nouvelle qui a agrippé la Chine et le monde dans ses serres, est aussi porteuse d’un tout autre souvenir. Dans sa mémoire, une case oubliée vient de se rouvrir, celle du SARS de 2003, où là aussi, la ville avait paru morte, le temps de quelques mois. Entre les deux épidémies, un fil conducteur se dessine et les relie – tendu par la mort, qui sort du gouffre en ricanant. En cette année-là, Li Yan n’avait que 17 ans, et venait d’être diagnostiqué d’un cancer de la lymphe. Aussi, ces ambulances d’alors et leur pin-pon, il les entendait depuis sa chambre à l’hôpital. Mais contre toute attente, les médecins l’avaient sauvé, moyennant une chimiothérapie lourde. Li Yan avait repris un bail avec la vie, et aujourd’hui sous la nouvelle menace, ce souvenir faisait toute la différence. Lui qui avait été auparavant un peu mou, indécis voire un peu paresseux, s’était mis à dévorer la vie à pleines dents, à travailler comme un obsédé, à aimer tout de son existence. Il ressentait dorénavant l’obscur besoin de lui donner un sens moral, d’aller plus loin dans ses ambitions que simplement de gagner sa vie. Surtout, il gardait envers les hommes et femmes en blanc une dette inextinguible. Et à l’heure du danger, à ces infirmières, chirurgiens, médecins et radiologues, il voulait rendre leur bienfait, dans la mesure de ses moyens.

Il se trouve que dans le plan national contre le Covid-19, les livreurs avaient été dispensés de confinement, permettant à Li Yan et à ses dizaines de milliers de collègues de conserver leur liberté de mouvement. Dans son métier, les commandes s’affichaient en temps réel sur les smartphones des livreurs se trouvant dans le quartier concerné – le premier à répondre, empochait la course. Mais pour les hôpitaux, l’enthousiasme des livreurs manquait à l’appel, et plus encore quand il s’agissait du « Shoudu Youyi », réservé exclusivement aux soins du Covid-19, et nid notoire à infections bactérielles. « J’ai fait le choix, explique Li Yan, de prendre ces commandes-là, aussi souvent que je peux. Je ne peux pas laisser ces soignants mourir de faim tandis qu’ils travaillent à nous sauver. Et pour moi, ce n’est pas qu’une question d’argent ».

Dans le même état d’esprit, Li Yan se fait un point d’honneur à porter aussi leurs déjeuners aux gens des autres hôpitaux, ainsi qu’aux personnes âgées, isolées et désargentées – tous ceux que les collègues préfèrent ignorer. Ce sont souvent des commandes à problèmes – tous ces pauvres sans ressources, se raccrochant aux branches de tout ce qu’ils peuvent pour enrayer leur chute. Des femmes seules avec enfant, séparées du mari, commandent jusqu’à 30kg de riz, de farine et d’huile, qu’il faut ensuite convoyer sur la moto. Une fois arrivé, il faut trouver le point de déchargement agréé, où le client vient récupérer son bien sans contact avec le livreur, conformément au règlement d’urgence. Parfois, le client trop âgé, ne peut plus se déplacer : Li Yan doit longuement batailler avec les gardes, négocier, plaider la compassion et le bon sens, faire appel au chef du poste avant de pouvoir passer– il entre dans l’appartement désert, le salon vide, et dépose sur la table le précieux bol de raviolis, tout en entendant les remerciements chevrotés par le vieillard qui remercie depuis derrière la porte de sa chambre !

Certes, dans toutes ces commandes « sociales », Li Yan perd du temps et de l’argent. Mais il compense par les pourboires, versés sur son compte WeChat, et il touche aussi la récompense de dizaines de messages émus de gratitude.

Sur son périple erratique, comme une araignée folle tissant sa toile dans tous les sens, Li Yan voit sa température contrôlée des dizaines de fois par jour, aux portails des immeubles, des bureaux et dispensaires. Pas une heure ne se passe sans qu’il ne se nettoie les mains au gel hydroalcoolique, ou change ses gants jetables fournis par l’entreprise. A-t-il peur ? « Au début, oui, mais plus maintenant », avoue-t-il d’un sourire. « La mort maintenant, j’ai l’habitude ». Il la voit comme un trou noir du cosmos, sorte de tunnel aspirant toute matière. Désormais, Li Yan regarde le trou noir en face, et sa mécanique soudain s’inverse : il y puise son énergie. Comme dit le proverbe, « 民不畏死» ( mín bùwèi sǐ) : si le peuple ne croit plus à sa mort, elle ne peut plus rien contre lui ! 


Rendez-vous : Semaines du 20 avril au 17 mai
Semaines du 20 avril au 17 mai

Notez qu’en raison de la situation actuelle, certains évènements ont été annulés ou repoussés à une date ulterieure (voir ci-dessous):

15 avril – 5 mai, Canton: Canton Fair, Foire industrielle internationale qui expose notemment dans les domains des machines-outils,  bâtiment et construction, décoration, ameublement, luminaire, electroménager, domotique, électronique, mode et habillement, reporté – l’exposition se fera en ligne du 15 au 24 juin

18 – 21 avril , Foshan: CERAMBATH, Salon chinois international de la céramique et des sanitaires, reporté – une exposition en-ligne est organisée du 28 mars au 18 avril

21-23 avril, Shanghai : ABACE – Asian Business Aviation Conference & Exhibition, Salon international des produits et services pour l’aviation en Asie, annulé

21-23 avril, Shanghai : IE Expo ChinaSalon professionnel international de la gestion et traitement de l’eau, du recyclage, du contrôle de la pollution atmosphérique et des économies d’énergie, reporté au 10-12 juin

21-30 avril, Pékin: Auto China,Salon international de l’industrie automobile, reporté du 26 septembre au 5 octobre

22 – 24 avril, Shanghai : NEPCON China, Salon international des matériaux et équipements pour semi-conducteurs, reporté au 17 – 19 juin

23 – 26 avril, Shanghai : SWTF – Shanghai World Travel Fair, Salon mondial du tourisme, reporté au 30 juillet – 2 août

24 – 26 avril, Shenzhen : LED China, Salon mondial de l’industrie des LED, signalisation, éclairage, affichage, reporté – date à confirmer

27 – 29 avril, Shanghai : HDE – Shanghai International Hospitality Design & Supplies Expo/HotelplusFoire internationale du design hotelier et des espaces commerciaux, reporté au 12-14 août

Fin avril/ début mai (date à confirmer), Pékin : Session des deux Assemblées (CCPPC et ANP, Lianghui, 两会). La 17ème session du Comité permanent de la 13ème Assemblée populaire nationale (ANP) est annoncée prendre place du 26 au 29 avril a Pékin

6 – 7 mai, Suzhou : Chinabio Partnering Forum, Forum et exposition pour l’industrie des sciences de la vie, des biotechnologie et de la pharmacie, reporté – date à confirmer

6 – 8 mai, Canton : Paper Expo China, Salon professionnel international de l’industrie du papier, reporté au 14-16  août

6 – 9 mai, Shanghai : Bakery China,Salon international de la boulangerie et de la pâtisserie, reporté au 21 – 24 juillet

7 – 9 mai, Shanghai : FBIE – Food & Beverage China Fair – Import and ExportSuperwine, Salon international de Shanghai pour l’import-export d’aliments et de boissons et Salon du vin, reporté au 20 – 22 octobre

8 – 10 mai, Yantai :Yantai Equipment Manufacturing Industry Exhibition,Salon des équipements pour l’industrie manufacturière, reporté au 13-15 août

10-12 mai, Canton : CIAE – China International Game & Amusement Exhibition, Salon international de l’industrie des jeux et des jouets, maintenu à priori

11-13 mai, Canton: Steel Build,Salon international de la construction en acier et des matériaux de construction métalliques, reporté au 4-6 août

12 -15 mai, Pékin : CIEPE – China Police Expo, Salon international des technologies et équipements pour la police , reporté – date à confirmer

13 -15 mai, Shanghai : Biofach, Salon mondial des produits bio. Salon et congrès, reporté au 1-3 juillet

13 – 15 mai, Qingdao : API China, Salon chinois de l’industrie pharmaceutique, reporté au 9-11 juin

13 – 16 mai, Shanghai : Metal+ Metallurgy, Salon International du métal et de l’industrie de la métallurgie, reporté en août – date à confirmer

5 – 7 juin, Singapour : Dialogue de Shangri-La. C’est la première fois depuis 2002 que le forum annuel sur la sécurité en Asie est annulé.