Santé : Les scientifiques chinois sous pression

On le comprend, la question de l’origine du virus est devenue extrêmement sensible, voire tabou. D’ailleurs, scientifiques chinois comme étrangers, ne se risquent plus à faire de commentaire… Et cette situation n’est pas étrangère à la rivalité sino-américaine. Les premiers jours, les internautes chinois eux-mêmes suspectaient une fuite par inadvertance d’un laboratoire de Wuhan. Mais depuis que les Etats-Unis se sont emparés de cette théorie, la Chine nie en bloc et pourrait être tentée de s’arranger avec les faits pour donner tort à son grand rival. D’ailleurs, plusieurs signes de reprise en main de la recherche émergent, ne laissant aucunement présager d’une enquête transparente.

Dès le 30 janvier, pour éviter toute situation embarrassante pour le pouvoir (comme la révélation par des scientifiques chinois que la transmission interhumaine était avérée dès début janvier), le ministère de l’Information rappelait que « chaque projet de recherche doit d’abord servir les intérêts de la nation », et conseillait aux chercheurs «d’utiliser les résultats de leurs recherches pour lutter contre le virus, plutôt que de les publier dans des revues scientifiques ».

Un mois plus tard, le ministère annonçait que la manière dont le travail de millions de chercheurs était évalué, changerait à l’été : le nombre d’articles publiés dans de grands magazines scientifiques ne serait plus aussi important pour l’avancement de leurs carrières. Les scientifiques seront récompensés pour leur innovation, leur contribution à la société, et pour leurs travaux « en dehors du courant occidental ».

Enfin, une directive du 25 mars envoyée à au moins trois universités (celle de Fudan à Shanghai, et deux autres de Wuhan) interdisait aux chercheurs chinois de publier dans les revues scientifiques internationales sur le Covid-19 sans avoir reçu le feu vert d’un comité académique, puis du département des sciences et technologies du ministère de l’Education, puis du groupe de travail dédié au coronavirus du Conseil d’Etat. Cette directive n’était évidemment pas supposée être rendue publique, ce qui explique son retrait quasi-immédiat des sites web universitaires. Des chercheurs auraient-ils déjà publié des informations considérées comme sensibles par le régime ? En tout cas, il est clair que l’Etat ne veut pas prendre le risque de se retrouver en porte-à-faux avec la version qu’elle pousse auprès de son opinion : celle des militaires américains, reprise partout sur la toile chinoise.

Ainsi, une intervention du pouvoir dans le processus scientifique réputé « indépendant » est à craindre. Désormais, la communauté internationale (pas systématiquement familiarisée avec les « caractéristiques chinoises ») devra réaliser que toute recherche publiée sur le Covid-19 en provenance de Chine aura été validée par le régime – de la même manière que toute donnée chiffrée venant de Chine corrobore toujours la version officielle. Selon Zhang Lifan, commentateur politique basé à Pékin, « même si tout le monde sait qui est responsable de la pandémie, la Chine espère brouiller les pistes ».

Ren Yi, bloggeur influent et petit-fils d’une figure politique réformiste, dissimulé derrière le pseudo de « Chairman Rabbit » (兔主席), résume ainsi la situation : « un bon patriote sera plus enclin à croire que le virus est venu des Etats-Unis, tandis qu’un Chinois plus critique du régime pourrait admettre les origines chinoises du Covid-19 ». Selon lui, cela montre le problème de confiance en soi du peuple chinois, combiné à un sentiment de culpabilité, se sentant obligé d’assumer la responsabilité de la pandémie. Pour le régime, le seul moyen d’échapper au blâme mondial est de démontrer à tout prix que le virus ne trouve pas ses origines en Chine, quitte à soutenir des théories farfelues. « Si ces thèses trouvent leur public en Chine, sur la scène internationale, cela ne fait que de décrédibiliser la Chine et sa diplomatie », déplore Ren. Le gouvernement chinois aurait pu choisir de passer au-dessus des attaques américaines comme lorsque Donald Trump qualifiait le Covid-19 de « virus chinois », et maintenir une version purement scientifique des faits. Or ce n’est pas le chemin qu’elle semble prendre, assombrissant les chances de connaître un jour toute la vérité.

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1 Commentaire
  1. severy

    Semaine après semaine, on ne voit que des articles de qualité dans le Vent. Prions que le virus de Wuhan n’y fasse pas d’apparition intempestive.

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