Editorial : Camouflet électoral

A Taïwan, le 11 janvier, la Présidente Tsai Ing-wen était réélue haut la main, obtenant 8,2 millions de voix en sa faveur (57,1% des votes), un record depuis la première élection présidentielle au suffrage universel direct en 1996. Le Parti démocratique progressiste (DPP) remportait également une majorité absolue au Parlement, avec 61 sièges sur 113. En face, son rival Han Kuo-yu du Parti nationaliste chinois, Kuomintang (KMT), ne récoltait que 38,6% des voix.

Pourtant, rien n’était gagné d’avance. Han, le maire de Kaohsiung au sud de Taïwan, était donné favori il y a un an, particulièrement après la défaite du DPP de la Présidente aux élections locales. Le profil populiste de Han, le soutien qu’il recevait de la part de plusieurs grands médias taïwanais, et son argumentaire économique en faveur de meilleures relations avec Pékin, semblait avoir conquis les électeurs…

C’était sans compter sur les manifestations contre le projet de loi d’extradition à Hong Kong et les sept mois de contestation qui ont suivi. Depuis, Taiwan est devenu un refuge pour de nombreux activistes hongkongais, et les universités de Taipei sont tapissées de « Lennon Walls » en soutien aux contestataires. En effet, les évènements qui ont eu lieu dans l’ancienne colonie britannique ont exacerbé les peurs de nombreux Taïwanais. La perspective souvent entendue à Taïwan est la suivante : « sous l’égide ‘d’ un pays deux systèmes’, Pékin était supposé assurer la protection de l’autonomie et des libertés de Hong Kong et non pas tenter de les restreindre ». Et c’est justement sur ce modèle que compte le Président Xi Jinping pour réunifier Taïwan à la République Populaire de Chine, « par la force si nécessaire », comme il l’avait déclaré dans son discours du 2 janvier 2019. Ainsi, pour les électeurs taiwanais, Tsai Ing-wen est donc apparue comme la meilleure option pour préserver la jeune démocratie. Elle a toujours tenu une ligne dure face à Pékin, et ne changeait pas de ton dans son discours de victoire : « face à l’insistance du Parti Communiste chinois d’imposer ‘un pays deux systèmes’ à Taïwan, Taipei n’a pas d’autre choix que de renforcer sa démocratie ainsi que sa défense nationale ». Les achats d’équipements militaires auprès de l’allié américain sont donc amenés à se poursuivre. Le Secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo était d’ailleurs parmi les premiers à féliciter Tsai pour sa victoire. Tsai est également pour le maintien du statu quo (ni indépendance, ni unification), et appelait à établir « des relations saines » avec la Chine, basées sur le respect mutuel entre deux pays souverains et non sur une relation conflictuelle entre deux gouvernements qui revendiquent une même identité chinoise. Même au sein de l’opposition (KMT), généralement plus liée à la grande Chine, la perspective d’un rapprochement avec un gouvernement de plus en plus autoritaire, inquiète. A plusieurs reprises, Han Kuo-yu a rejeté le principe « d’un pays deux systèmes » pour Taïwan, expliquant que ce mécanisme ne sera jamais mis en place « tant qu’il sera de ce monde ». Lors d’un rassemblement du KMT à Taipei le 9 janvier, la souveraineté taïwanaise était au cœur des débats. Lee, fonctionnaire, explique : « Han Kuo-yu l’a dit très clairement. Il ne vendra pas les intérêts des Taïwanais, ce qu’il vendra ce sont des produits taïwanais en Chine et dans le monde. » Au sein du Parti de Chiang Kai-shek, les liens avec le continent doivent donc être préservés, mais surtout pour des motifs économiques.

Ainsi, la victoire de Tsai face à un rival qui, lui aussi, jugeait nécessaire d’afficher sa distance avec la Chine, fait donc figure de camouflet pour Pékin et ses ambitions territoriales. Après l’annonce des résultats, Pékin se contentait de reconnaître que Tsai avait été réélue en tant que « leader régional » et affirmait que « la communauté internationale continuera à adhérer au principe ‘d’une seule Chine’, en soutien à la réunification nationale et en opposition aux activités sécessionnistes pour l’indépendance de Taïwan ». Dans un tweet, Hu Xijin, l’influent rédacteur en chef du quotidien nationaliste Global Times, mettait en garde Tsai contre toute erreur de jugement, espérant que cette victoire ne l’encourage pas à poursuivre une ligne dure pour provoquer Pékin. Pourtant, depuis l’arrivée au pouvoir de Tsai en 2016, la Chine n’a cessé d’accentuer la pression sur Taïwan, interrompant les échanges officiels qu’elle entretenait avec son prédécesseur du KMT, Ma Ying-jeou, raflant ses derniers alliés diplomatiques, limitant l’afflux de touristes chinois sur l’ile, et tentant d’intimider Taipei par des manœuvres militaires. Même si ces mesures se sont souvent avérées contre-productives, rien ne laisse suggérer que Pékin assouplisse ses positions, préférant jouer la montre. Mais ce revers électoral pourrait amener la Chine à durcir un peu plus son approche en cas de provocation de l’autre côté du détroit.

Par Charles Pellegrin, à Taipei

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1 Commentaire
  1. severy

    Une démocratie authentique dans un pays indépendant dirigé par une femme, le tout aux portes de la Chine, voilà qui donne des sueurs froides à un régime dictatorial qui contrôle avec peine une population qui ne demande qu’à s’en libérer.

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