Le Vent de la Chine Numéro 2 (2020)

du 13 au 19 janvier 2020

Editorial : Camouflet électoral

A Taïwan, le 11 janvier, la Présidente Tsai Ing-wen était réélue haut la main, obtenant 8,2 millions de voix en sa faveur (57,1% des votes), un record depuis la première élection présidentielle au suffrage universel direct en 1996. Le Parti démocratique progressiste (DPP) remportait également une majorité absolue au Parlement, avec 61 sièges sur 113. En face, son rival Han Kuo-yu du Parti nationaliste chinois, Kuomintang (KMT), ne récoltait que 38,6% des voix.

Pourtant, rien n’était gagné d’avance. Han, le maire de Kaohsiung au sud de Taïwan, était donné favori il y a un an, particulièrement après la défaite du DPP de la Présidente aux élections locales. Le profil populiste de Han, le soutien qu’il recevait de la part de plusieurs grands médias taïwanais, et son argumentaire économique en faveur de meilleures relations avec Pékin, semblait avoir conquis les électeurs…

C’était sans compter sur les manifestations contre le projet de loi d’extradition à Hong Kong et les sept mois de contestation qui ont suivi. Depuis, Taiwan est devenu un refuge pour de nombreux activistes hongkongais, et les universités de Taipei sont tapissées de « Lennon Walls » en soutien aux contestataires. En effet, les évènements qui ont eu lieu dans l’ancienne colonie britannique ont exacerbé les peurs de nombreux Taïwanais. La perspective souvent entendue à Taïwan est la suivante : « sous l’égide ‘d’ un pays deux systèmes’, Pékin était supposé assurer la protection de l’autonomie et des libertés de Hong Kong et non pas tenter de les restreindre ». Et c’est justement sur ce modèle que compte le Président Xi Jinping pour réunifier Taïwan à la République Populaire de Chine, « par la force si nécessaire », comme il l’avait déclaré dans son discours du 2 janvier 2019. Ainsi, pour les électeurs taiwanais, Tsai Ing-wen est donc apparue comme la meilleure option pour préserver la jeune démocratie. Elle a toujours tenu une ligne dure face à Pékin, et ne changeait pas de ton dans son discours de victoire : « face à l’insistance du Parti Communiste chinois d’imposer ‘un pays deux systèmes’ à Taïwan, Taipei n’a pas d’autre choix que de renforcer sa démocratie ainsi que sa défense nationale ». Les achats d’équipements militaires auprès de l’allié américain sont donc amenés à se poursuivre. Le Secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo était d’ailleurs parmi les premiers à féliciter Tsai pour sa victoire. Tsai est également pour le maintien du statu quo (ni indépendance, ni unification), et appelait à établir « des relations saines » avec la Chine, basées sur le respect mutuel entre deux pays souverains et non sur une relation conflictuelle entre deux gouvernements qui revendiquent une même identité chinoise. Même au sein de l’opposition (KMT), généralement plus liée à la grande Chine, la perspective d’un rapprochement avec un gouvernement de plus en plus autoritaire, inquiète. A plusieurs reprises, Han Kuo-yu a rejeté le principe « d’un pays deux systèmes » pour Taïwan, expliquant que ce mécanisme ne sera jamais mis en place « tant qu’il sera de ce monde ». Lors d’un rassemblement du KMT à Taipei le 9 janvier, la souveraineté taïwanaise était au cœur des débats. Lee, fonctionnaire, explique : « Han Kuo-yu l’a dit très clairement. Il ne vendra pas les intérêts des Taïwanais, ce qu’il vendra ce sont des produits taïwanais en Chine et dans le monde. » Au sein du Parti de Chiang Kai-shek, les liens avec le continent doivent donc être préservés, mais surtout pour des motifs économiques.

Ainsi, la victoire de Tsai face à un rival qui, lui aussi, jugeait nécessaire d’afficher sa distance avec la Chine, fait donc figure de camouflet pour Pékin et ses ambitions territoriales. Après l’annonce des résultats, Pékin se contentait de reconnaître que Tsai avait été réélue en tant que « leader régional » et affirmait que « la communauté internationale continuera à adhérer au principe ‘d’une seule Chine’, en soutien à la réunification nationale et en opposition aux activités sécessionnistes pour l’indépendance de Taïwan ». Dans un tweet, Hu Xijin, l’influent rédacteur en chef du quotidien nationaliste Global Times, mettait en garde Tsai contre toute erreur de jugement, espérant que cette victoire ne l’encourage pas à poursuivre une ligne dure pour provoquer Pékin. Pourtant, depuis l’arrivée au pouvoir de Tsai en 2016, la Chine n’a cessé d’accentuer la pression sur Taïwan, interrompant les échanges officiels qu’elle entretenait avec son prédécesseur du KMT, Ma Ying-jeou, raflant ses derniers alliés diplomatiques, limitant l’afflux de touristes chinois sur l’ile, et tentant d’intimider Taipei par des manœuvres militaires. Même si ces mesures se sont souvent avérées contre-productives, rien ne laisse suggérer que Pékin assouplisse ses positions, préférant jouer la montre. Mais ce revers électoral pourrait amener la Chine à durcir un peu plus son approche en cas de provocation de l’autre côté du détroit.

Par Charles Pellegrin, à Taipei


Automobile : Tesla démarre la course en tête

357 jours. C’est le temps record qu’il aura fallu à Tesla pour construire sa Gigactory shanghaïenne … et sortir sa première voiture ! Pour la livraison des dix premiers « model 3 » « made in China », son patron Elon Musk faisait le déplacement le 7 janvier. Pour assister à ce moment historique, il manquait le nouveau lancement de SpaceX et l’ouverture du CES à Las Vegas.

En effet, ces dernières années, le PDG un brin excentrique a développé des liens forts avec la Chine, se déclarant admiratif de son programme spatial, comme de ses engagements environnementaux. Grâce à ses visites régulières, il obtint le soutien de la municipalité de Shanghai pour son projet d’installation, mais plus largement du gouvernement chinois, désireux de prendre une longueur d’avance dans l’industrie des véhicules électriques. Dès que le terrain de 86 hectares dans la zone franche de Lingang fut choisi, le feu vert pour construire et démarrer la production fut octroyé à une vitesse éclair, tout comme des prêts bancaires à taux préférentiels (le projet est financé par des banques chinoises). En août dernier, il obtenait aussi des autorités chinoisesune exemption de taxe à l’achat (10%) pour les acheteurs de ses véhicules. Ainsi, le milliardaire recevait le privilège d’inaugurer la première usine automobile en Chine détenue à 100% par un constructeur étranger.

Cette usine, ayant coûté 2 milliards de $, est la première du groupe en dehors des Etats-Unis. Elle assemble depuis octobre dernier ses premiers « model 3 », le plus abordable de sa gamme. Sa production initiale devrait être de 150 000 berlines par an, pour atteindre les 250 000 véhicules, notamment grâce à la production du SUV « model Y » pour le marché chinois. Toutefois, le volume réel dépendra de nombreux facteurs : de la performance des employés, de la chaîne d’approvisionnement, du nombre de commandes … D’ici la fin de l’année, le constructeur espère se fournir à 100% localement, contre 30% actuellement, ce qui devrait considérablement réduire ses coûts de production. Selon le niveau d’optimisme des analystes, Tesla pourrait vendre entre 21 000 et 100 000 « model 3 ». Un chiffre qui pourrait grimper à 120 000 en incluant le « model Y ». Le fondateur de 48 ans ne cache pas son enthousiasme : « le ‘model Y’ aura plus de succès que tous les autres modèles Tesla réunis » ! Il devrait être vendu autour de 444 000 yuans, tandis que le prix du « model 3 » a été réduit de 9% à 323 800 yuans (299 000 yuans une fois les subventions gouvernementales déduites, soit 38 600 euros). Selon les concessionnaires, une Tesla à moins de 300 000 yuans est très attrayante pour les clients chinois. M. Musk annonçait également la création future d’un centre de design et d’ingénierie pour concevoir, en Chine, un modèle qui serait également vendu dans le monde entier. C’est une stratégie qu’ont adoptée avant lui d’autres constructeurs étrangers, pour mieux adapter leur offre aux goûts spécifiques des clients du premier marché automobile mondial.

Mais le vent tourne vite en Chine. Le marché chinois que le PDG américain a connu en octobre 2018 lorsqu’il annonçait son installation à Shanghai, n’est plus le même aujourd’hui. Selon l’association chinoise des véhicules passagers (CPCA), 2019 aurait subi une baisse de 7,5% de ses ventes par rapport à 2018, à 21,4 millions d’unités, dont 1,2 million de véhicules à énergies nouvelles (NEV), soit près de 5 % du marché. Alors que les NEV résistaient mieux au marasme que les motorisations classiques, leurs ventes diminuent à leur tour depuis juillet 2019, suite à une coupe drastique (jusqu’à -60%) des subventions du gouvernement. Une nouvelle réduction de ces aides financières devait à nouveau avoir lieu en juillet 2020, mais était finalement reportée. Ainsi, la CPCA est un peu plus confiante pour 2020 : les ventes seraient amenées à augmenter très légèrement (+1%) avec l’arrivée de jeunes automobilistes sur les routes. Ainsi, l’Etat chinois maintient son objectif pour les NEV : ils devront représenter 25% des ventes en 2025. Un chiffre revu à la hausse par rapport à 2017, où le gouvernement ne visait que 20%. Comme incitatifs, il compte sur les exemptions de taxe à l’achat, une obtention facilitée de la plaque d’immatriculation, et aucune restriction à l’usage en ville.

Pour faire un démarrage en trombe, le groupe de Palo Alto mise sur son avance par rapport à la concurrence étrangère (Audi, BMW, Mercedes), estimée par les experts à un ou deux ans. Autre avantage, Tesla ne vend que des véhicules électriques (EV), et n’a donc pas peur qu’ils cannibalisent ses ventes à motorisation traditionnelle. La firme américaine doit pourtant regarder dans ses rétroviseurs. En effet, il existe déjà une forte concurrence des constructeurs chinois (BAIC, BYD, SAIC, ou NIO, Xpeng Motors), notamment sur le créneau bas de gamme (moins de 100 000 yuans). Ce segment ne représente pas moins de la moitié des ventes totales d’EV, boostées grâce aux clients institutionnels, compagnies de taxis, et autres services à la mobilité. Tesla doit donc convaincre une clientèle chinoise haut de gamme. Et pour cela, l’entreprise compte bien sûr sur sa luxueuse image de marque… Ainsi, avec l’arrivée de Tesla sur le marché chinois, on peut dire que la course au véhicule électrique commence véritablement.


Hong Kong : Le nouveau « secrétaire du Parti » de la RAS

Sans surprise, le chef du Bureau de Liaison à Hong Kong, Wang Zhimin, était limogé le 4 janvier. Sur la sellette depuis plusieurs mois, il perdait son poste pour n’avoir su anticiper le vent de contestation à l’encontre du projet de loi d’extradition, ni la défaite cuisante du camp pro-Pékin lors des élections de district en novembre. Depuis le début de la crise en juin 2019, c’est le premier remaniement de l’administration chinoise sur le « rocher » : il était en effet plus facile pour Pékin de se défaire de Wang, que de limoger l’impopulaire cheffe de l’exécutif, Carrie Lam.

Le profil de son remplaçant, Luo Huining, est intéressant à plusieurs égards. Quoique loyal à Xi Jinping, il n’appartient pas à l’une de ses factions. En cas d’échec de Luo, cela n’entachera pas la légitimité du Président. Mais s’il réussit, le crédit reviendra à Xi, pour avoir choisi la bonne personne. En outre, Luo dispose de solides appuis au sein du leadership. Dans sa province natale de l’Anhui, il travailla aux côtés de Wang Yang, actuel n°4 du Parti. Puis il s’envola pour le Qinghai, province pauvre dont est originaire le Dalaï-Lama, où il passa 13 ans. Luo y était posté lorsque les émeutes éclatèrent à Lhassa en 2008, puis Luo fut en première ligne pour mener les efforts de reconstruction après le tremblement de terre à Yushu en 2010, qui fit près de 3 000 morts et 12 000 blessés. C’est là qu’il rencontra Zhao Leji, n°6 du Parti. Ensuite, il fut appelé à la rescousse dans le Shanxi, province considérée comme un champ de mines politique en raison de la collusion notoire entre patrons miniers locaux et cadres de diverses factions. Cela n’empêcha pas Luo de purger efficacement l’appareil de ses « mauvaises pommes » (neuf leaders de niveau provincial, et des dizaines de cadres préfectoraux tombèrent sous son mandat) et de relancer l’économie en misant notamment sur le solaire. A 65 ans, il devait prendre sa semi-retraite fin 2019. Mais le Parti avait décidément bien du mal à se passer d’un homme aussi précieux : dès le retour de Xi Jinping de Macao mi-décembre, sa nomination à Hong Kong était validée. Ce qui pourrait suggérer une implication directe du N°1 du pays dans la résolution de la crise hongkongaise, n’hésitant pas à briser les conventions internes du Parti au nom de la sauvegarde des compétences. Rappelons les précédents de Zhou Xiaochuan, gouverneur de la Banque de Centrale qui quitta son poste à 70 ans, ou celui de Wang Qishan, fidèle allié de Xi et vice-Président de la RPC, siègeant toujours au Comité Permanent à 71 ans.

Luo est donc le chef du Bureau de liaison le plus âgé (65 ans) et le plus expérimenté (grâce à ses différents mandats en province) que l’institution ait jamais connu. A Hong Kong, ce profil marque une rupture claire avec ses prédécesseurs, plus jeunes et moins élevés dans la hiérarchie, mais qui pouvaient justifier d’une meilleure maitrise des affaires de la RAS. Aux yeux de Pékin, l’inexpérience de Luo à Hong Kong n’est pas problématique : elle lui permettra au contraire d’y appréhender la situation avec des yeux neufs, non biaisés, et envoyer à Pékin des comptes-rendus plus représentatifs de la situation réelle. Elle pourrait aussi lui permettre de prendre des mesures sans avoir peur de déplaire aux milieux d’affaires hongkongais, et de traiter plus impartialement que ses prédécesseurs avec la société dans son ensemble.

Le 6 janvier, Luo bouscula les traditions dès son entrée en fonction, en tenant sa première allocution dans les locaux mêmes du Bureau de Liaison et non pas à l’extérieur comme habituellement. Ce geste symbolique laisse présager d’un rôle plus actif du Bureau dans les affaires de l’ex-colonie britannique, dépassant sa mission initiale de « messager » entre Pékin et la RAS. Ce changement de tactique fut plus clair encore trois jours plus tard, lors de la première rencontre officielle entre le nouvel homme fort et Carrie Lam, la cheffe de l’exécutif. A cette occasion, il lui édicta quatre consignes : « s’assurer que soient satisfaites les demandes de Pékin sur la mise en œuvre du principe « d’un pays, deux systèmes » , redoubler d’efforts pour mettre un terme aux violences, améliorer l’économie et l’existence des citoyens, et renforcer la communication sur la gestion des problèmes  ….». Une telle mise en demeure pourrait donc être suivie d’une relance des efforts de l’administration locale pour imposer une loi sur la sécurité nationale, dérivée de l’article 23 de la Loi fondamentale. Plusieurs experts prédisent une telle tentative avant les élections du Legco en septembre prochain. Il s’agirait aussi de réformer un programme scolaire jugé à Pékin trop « libéral »., de poursuivre tambour battant l’intégration économique de Hong Kong dans la « Greater Bay Area », de multiplier les « annonces publiques » à la TV et à la radio, et de réprimer les manifestations, notamment par de larges coups de filet de la police. Cependant, on ne peut se cacher que ce plan est aux antipodes exacts des espoirs des espoirs des Hongkongais…

De son côté, Luo se chargera de la tâche la plus urgente : préparer les prochaines élections au Legco à l’automne 2020 pour s’assurer que le camp pro-Pékin remporte au moins 36 sièges sur les 70. En 2016, le camp de Carrie Lam avait obtenu une courte majorité. Cette année, la bataille s’annonce autrement plus rude : Luo ne peut pas compter sur les anciennes figures politiques dont certaines se sont désolidarisées, tandis que d’autres ont perdu leur siège aux conseils de district. Luo n’aura donc que neuf mois pour trouver de nouveaux candidats susceptibles d’obtenir la confiance de l’électeur. Mais si l’opinion publique continue à soutenir la contestation, il n’est pas exclu que les pro-démocrates l’emportent… Sous cette perspective, ce dernier mandat de Luo semble bien s’apparenter à une « mission impossible ».


Défense : Escarmouche dans les Natuna

A nouveau, la tension montait entre Pékin et Jakarta autour de l’archipel des Natuna, au nord de l’Indonésie. La confrontation débuta le 10 décembre lorsqu’une trentaine de bateaux de pêche chinois, escortés par un garde-côtes, pénétrèrent au nord des Natuna dans la zone économique exclusive (ZEE) indonésienne de 200 milles nautiques (370 km), telle que définie par la Convention de l’ONU sur le droit de la mer (de laquelle la Chine est également signataire). Malgré les protestations indonésiennes, 63 navires et deux garde-côtes chinois entrèrent dans la zone poissonneuse. Cela poussa Jakarta à convoquer l’Ambassadeur chinois le 30 décembre. L’affaire escaladait d’un cran lorsque le porte-parole à Pékin du ministère des Affaires étrangères Geng Shuang déclarait : « que l’Indonésie l’accepte ou non, rien ne changera le fait objectif que la Chine a des droits historiques et des intérêts dans les eaux concernées ». En effet, à la différence d’îlots philippins, vietnamiens ou malaisiens, Pékin ne revendique pas la souveraineté des îles Natuna, mais des droits de pêche au nom de son activité « historique » dans la région, cette zone étant incluse dans la « ligne à neuf traits », englobant plus de 80% de la mer de Chine du Sud. Immédiatement, l’Indonésie rejetait ces revendications « unilatérales, et sans fondement juridique ». Dans la foulée, furent dépêchés aux Natuna une dizaine de navires militaires et quatre chasseurs F-16 dans une tentative d’intimidation. Mais il aura fallu que le Président réélu Joko Widodo se rende lui-même sur place (cf photo) pour que les navires chinois quittent finalement la zone… Le lendemain, l’Ambassadeur à Jakarta Xiao Qian joua l’apaisement, qualifiant les deux pays « d’amis qui partagent des opinions différentes ».

Ce n’est pas la première fois que la Chine et l’Indonésie se disputent à propos des Natuna. La dernière crise majeure remonte à mars 2016, lorsqu’un garde-côtes chinois libéra un chalutier chinois en cours d’arrestation par un patrouilleur indonésien. A l’époque, le Président Widodo avait réagi de manière similaire, convoquant l’Ambassadeur, se déplaçant sur place, et renforçant sa présence militaire dans la région. Entretemps, le pays a multiplié les investissements dans l’archipel où vivent 100 000 personnes, et a inauguré une nouvelle base militaire en 2018.

Alors, pourquoi cette nouvelle incursion chinoise ? Elle aurait pu avoir comme objectif de tester les limites de Jokowi (surnom du Président) depuis le départ fin octobre de Susi Pudjiastuti, Ministre des Affaires maritimes et de la pêche depuis 2014. Cette dernière était très populaire pour sa tolérance zéro à l’encontre des chalutiers étrangers qu’elle attrapait dans ses filets en zone illégale, allant jusqu’à les dynamiter en pleine mer après leur arraisonnement (et préalablement évacué leur équipage bien sûr). Aujourd’hui, au sein du nouveau gouvernement de Widodo, les opinions sont divisées sur la posture à tenir face à la Chine. Depuis 2005, le pays de 265 millions d’âmes, adhérant à l’initiative Belt & Road (BRI), aurait bénéficié de 47 milliards de $ de capitaux chinois, finançant notamment la ligne à grande vitesse Jakarta-Bandung. L’Indonésie ne peut donc pas se mettre la Chine à dos, son économie étant dépendante de ses investissements. Pourtant, entre 2014 et 2019, le nombre d’Indonésiens estimant que la croissance économique chinoise avait un impact positif sur leur pays, chutait de 15% selon l’institut Pew. De même, en 2019, la cote de popularité de la Chine dégringolait de 17% dans le pays à forte majorité musulmane – conséquence de la répression à l’encontre des Ouïghours au Xinjiang. Il s’agit donc pour Widodo d’un exercice d’équilibriste : satisfaire le sentiment nationaliste de sa population, tout en évitant de se fâcher avec la puissance chinoise.

La Chine aussi avance avec prudence avec le partenaire indonésien. Pékin ne peut s’aliéner le poids lourd de l’ASEAN, de surcroît l’année du 70ème anniversaire de leurs relations diplomatiques. De plus, le Vietnam qui assure la présidence tournante de l’ASEAN en 2020, semble bien décidé à confronter Pékin à propos de ses incursions répétées, des récriminations que partagent d’autres voisins. La Chine et les membres de l’ASEAN se sont finalement mis d’accord pour signer d’ici 2021 un code de conduite pour éviter que ces disputes maritimes ne dégénèrent. Pour le moment donc, pas question pour la Chine de faire trop de vagues…


Petit Peuple : Kunshan (Jiangsu) – Les trois mariages de Zhang Mou (2ème partie)

Pour frauder le planning familial et se doter d’une grande famille, Zhang Mou, agent immobilier, a épousé successivement Ren, Chen et Wang, en un ménage polygame à quatre, dont aucune des trois femmes n’a connaissance…

En 2017, débuta alors pour Zhang Mou, à 35 ans, un mode de vie presque intenable, basé sur le mensonge, mais portant en même temps la marque indéniable d’une moralité confucéenne. Face à l’Etat, il respectait la règle de l’enfant unique par femme mariée : ainsi, il s’estimait exempt de toute faute. Car l’ennemi ici, c’était la loi et le jeune patron s’innocentait en s’affirmant qu’il mènerait au grand jour cette vie d’une tribu clandestine à un homme et trois épouses si elle le lui avait permis. Face à ses épouses, c’était autre chose. Aucune, bien sûr, ne soupçonnait l’existence des autres. Alors, espérant rendre sa fraude sentimentale plus justifiable, il s’efforçait d’offrir à ses femmes la vie idéale, le bonheur matériel, et son plein amour.

Toutes habitaient en appartements loués, à moins d’un kilomètre de distance, ce qui permettait au pater familias de chalouper commodément de l’une à l’autre, plusieurs fois par jour. Au saut du lit, il prenait son bol de « zhou » (soupe de riz) chez Ren, puis passait au bureau. A 12h, il sortait déjeuner chez Chen avec qui il faisait ensuite la sieste, avant de repasser au bureau, et de repartir dîner chez Wang qui l’attendait depuis la veille. En respectant ce rythme de visites conjugales effréné, il ne fallut pas trop de temps avant que toutes ne soient enceintes, puis mères.

Si durant longtemps aucune des conjointes ne vit le soupçon l’effleurer, ce fut en raison de leur candeur, résultat d’une éducation socialiste bannissant la contestation. Zhang Mou de son côté aida bien ses femmes à retarder le moment des questions, en les satisfaisant par l’intensité et la fréquence de ses passages, ainsi que par sa générosité financière. Peu de visites ne se déroulaient sans que, sur le pas de la porte, il tende un petit cadeau, bouquet de fleurs, bouteille de vin, colifichet pour l’enfant. Toute demande d’argent était instantanément satisfaite, coupant court aux interrogations que chacune pouvait se faire quant à son absence permanente du domicile. D’ailleurs, à cette solitude, chacune y trouvait son compte, en un subtil équilibre entre la présence de l’homme père et amant, et sa propre liberté d’organiser sa journée et sa vie à sa guise.

Pourtant, depuis 2017 et le troisième mariage, Zhang Mou angoissait de conserver ses moyens physiques, et d’être à la hauteur des attentes intimes de trois jeunes femmes simultanément. Incapable de tenir le rythme, il avait dû multiplier la prise de fortifiants divers, du ginseng en poudre amère aux pilules d’hippocampes séchés qu’il payait des fortunes. Mais bientôt, son corps n’y pouvait plus tenir. Plus il se dépensait, plus il perdait sa masse musculaire, tandis que ses traits se creusaient. Par manque de sommeil, il lui arrivait désormais souvent de perdre le fil d’une négociation avec ses promoteurs ou clients, voire de s’endormir à son bureau, en pleine dictée d’un courrier à sa secrétaire. De plus en plus, il en venait à rêver d’une nuit passée seul dans sa chambre, sans aucune de ses femmes pour troubler son sommeil. Pourtant, il les aimait, et restait en adoration devant chacun des deux garçonnets et de la fillette qui portaient son nom.

Conscient de sa fatigue et pour être certain de ne pas se trahir, il tenait au bureau le mémoire des moments passés avec chacune de ses épouses, des arguments échangés, des histoires qu’il leur racontait pour justifier ses absences. Il conservait également trois téléphones portables, avec des sonneries différenciées afin d’être sûr au premier tintement, de l’identité de la compagne qui l’appelait.

Un jour, il avait offert à chacune un tee-shirt personnalisé sur lequel il avait fait imprimer une photo de leur couple et de leur enfant, accompagné de la date de prise du cliché. Lui-même s’était fait faire trois tee-shirts similaires pour témoigner de son affection lors de ses visites conjugales. Et c’est un jour de septembre que la catastrophe arriva lorsqu’il entra chez Ren, avec sur son torse, le portrait imprimé de lui avec Wang ! Fut-ce là un acte manqué ? Une protestation de son subconscient épuisé de maintenir un tel mensonge ? Probablement, étant donné l’énormité de son erreur qu’il réalisa instantanément à la vue du visage stupéfié de la jeune femme qui détaillait le portrait de la rivale sur l’habit de son mari. S’ensuivit un échange bref mais d’une extrême violence, d’affirmations furieuses suivies de faibles dénégations qui eurent pour seul effet de convaincre la malheureuse que, depuis des années, il la « menait en bateau » (瞒天过海, mán tiān guò hǎi). Elle l’adjura de dire adieu à son fils qui suivait en silence leur altercation, choqué au point de ne pouvoir pleurer, et de quitter immédiatement l’appartement pour ne jamais plus revenir.

A peine l’homme fut-il parti que Ren prépara sa valise pour retourner chez sa mère, ailleurs en ville. Une fois le petit déposé, elle fonça au commissariat porter plainte pour bigamie. Au terme d’une enquête éclair, Zhang Mou fut arrêté, interrogé, jeté en prison, et bientôt au cœur d’un scandale aux proportions nationales !

Mais comment tout cet imbroglio va-t-il se finir ? Rendez-vous la semaine prochaine pour le savoir !


Rendez-vous : Semaines du 12 janvier au 8 février
Semaines du 12 janvier au 8 février

21 – 24 janvier, Davos (Suisse) : Forum Economique Mondial de Davos 2020

24 – 25 janvier : Nouvel An Chinois. Dans toute la Chine, les festivités de Nouvel an chinois célèbreront l’entrée dans l’année du Rat (de Métal) qui commencera le 25 janvier pour se terminer le soir du 11 février 2021. Ce sera la première année d’un nouveau cycle astrologique de 12 ans.