Editorial : L’Europe, vue de l’Assemblée

Dans les débats de l’ANP, l’Europe est omniprésente – logique, s’agissant du premier client de la Chine, alors que l’Amérique de D. Trump entre dans une spirale protectionniste. Wang Yi le ministre des Affaires étrangères minimise la menace du Brexit : l’UE y trouvera la chance de mûrir, et la Chine compte sur elle comme partenaire de croissance, et de gouvernance multilatérale évitant populisme et repli sur soi.

Cependant Pékin nourrit ses propres démons protectionnistes, avec le plan Made in China 2025. La Chambre de Commerce Européenne l’épingle en publiant un rapport, en même temps que la tenue des deux Assemblées. Ce plan aurait tout d’une « boite à outils », dont chaque instrument viserait à spolier les industriels étrangers de leurs technologies de pointe, puis à leur prendre leurs marchés – en Chine et ailleurs. La stratégie sévit d’abord sur le marché de la voiture électrique : tout constructeur voulant opérer en Chine est soumis à « une pression intense de céder ses savoir-faire avancés, en échange d’un accès à court-terme au marché local ».

D’autres méthodes ne sont pas moins douteuses, probablement en infraction aux normes de l’OMC, comme les subventions aux modèles « tout-électrique » à batteries. Mais la Chambre redoute que ce type de défense ne s’avère stérile, vu les années d’enquête et d’instruction nécessaires, permettant au ministère d’appliquer sa stratégie en toute impunité pour casser l’avance dont peuvent encore jouir les groupes étrangers…

Certes, reconnaît Jörg Wuttke, Président de la Chambre, la Chine n’a pas le choix, vu le vieillissement de sa société et l’exacerbation de la concurrence planétaire. Elle doit à tout prix s’extraire d’un modèle économique de produits à faible technologie et bas coûts. Mais le choix des armes pour mener ce combat n’est pas le meilleur : le plan décennal chinois favorise les géants étatiques, alors que la Chine ferait mieux de soutenir ses vrais champions privés, Huawei ou Tencent, qui n’ont pas besoin de ce détournement forcé des technologies des concurrents.

C’est ce que dit la Commission de Bruxelles, par la voix de la Commissaire Cecilia Malström, en appelant Pékin à mettre en pratique ses slogans de liberté de marché et de globalisation : Pékin devrait autoréguler ses exports d’acier à prix cassés car subventionnés, et accepter l’ouverture de son marché financier et des services.
Un tel pas serait dans l’intérêt bien compris du pays : à travers des lois telles celle de la cybersécurité, son protectionnisme la prive de dizaines de milliards de dollars d’investissements sur son sol. En 2016, en dépit des fortes restrictions du pouvoir central sur les sorties de capitaux, les 28 Etats-membres ont reçu 37 milliards de $ de Chine, mais celle-ci n’a bénéficié que de 8,5 milliards de $ d’Europe – une misère par rapport à l’investissement européen direct ailleurs au monde. Mais tel est le prix à payer pour sa grande muraille protectionniste.

Reste un scandale qui éclate : l’office européen des 28 (OLAF) vient de détecter une des plus grosses fraudes de son histoire. De 2013 à 2016, 1,987 milliards d’euros en recettes de douanes et TVA ont été évitées par des consignataires chinois indélicats, avec l’assistance passive des douaniers anglais. Transitant par les ports britanniques, des lots de textiles et chaussures étaient sous-déclarés jusqu’à 1/10ème de leur valeur avant de repartir vers le continent, « dédouanés » par des services « constamment négligents ». Londres risque une amende égale au préjudice, mais se justifie en alléguant qu’ailleurs dans l’UE, « la plupart des procédures douanières sont inconsistantes avec la loi britannique ». Voilà en tout cas une affaire qui fera date : elle forcera Londres et Pékin à s’expliquer et à remettre à jour leurs accords douaniers avec l’UE.

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