Transports : Shenzhen, la ville mutante

Mix City, c’est une extravagante galerie marchande de 100.000m², dont les alcôves renferment toutes les grandes marques mondiales de cuir ou d’habillement, des restaurants des cinq continents, un cinéma multisalles, deux hôtels, et une patinoire – dans un pays où il ne gèle pas !

C’est Shenzhen, ville chargée d’énergie, sortie de terre par Deng Xiaoping en 1980. Sept ans plus tard, elle ne comptait que 350.000 habitants. Aujourd’hui, elle en fait 12 millions, souvent des jeunes, migrés des quatre coins du pays vers ce nouvel Eldorado. C’est aussi une mégapole futuriste d’autoroutes intérieures, lignes de métro et tours de béton entre lesquelles pousse une jungle de bambous et fleurs exotiques. Proche du Tropique du Cancer, en bord de mer, elle vit sous un climat subtropical.

« Une des chances de Shenzhen, explique un habitant, est d’avoir su accueillir une cinquantaine de filières d’avenir, et de les avoir portées, avec l’aide de l’Etat, au plus haut niveau mondial ». De la sorte, Shenzhen s’est hissée au rang de la Silicon Valley de Chine, qui invente et produit jour après jour logiciels et objets connectés. Hong Kong, la voisine, a aussi joué son rôle, en lui envoyant ses cerveaux et ses technologies, et… la discipline britannique. Dans la rue, le code de la route est respecté, et le vélo en libre partage est rangé aux espaces prévus – rare en Chine. La raison à cette civilité tient peut-être aux caméras omniprésentes : elles promettent d’identifier impitoyablement le contrevenant – même d’afficher photo et nom sur écran géant et de l’avertir sur son portable – Shenzhen a aussi un petit air de Big Brother !

La capitale mondiale du e-transport

Joe Ma, le vice-directeur de la Shenzhen Bus Corp (SBC), présente sa flotte de 5000 taxis électriques sur les 22.000 de la ville (avec une autonomie de 350km) et ses 6000 autobus sur les 17.000, tous à propulsion électrique, en circulation. Le prix à payer a été prohibitif, à 240.000€ pièce, contre 53.000€ pour une version diesel. Mais cette ville tournée vers l’export est la plus riche du pays. Avec l’Etat, Shenzhen a subventionné 60% de l’achat, à quoi s’ajoutent 66.000€ en frais d’exploitation, pour subventionner le billet (0,26€ les 10km). Cette conversion au bus électrique pour Shenzhen est tout bénéfice : les nouveaux bus sont produits en ville par BYD et Skywell, créant des dizaines de milliers d’emplois locaux. D’autant que cette production leur permet d’attaquer les marchés étrangers : BYD vient d’empocher un contrat de 30 e-bus pour l’aéroport de Bruxelles Zaventem, parmi les 50.000 qu’il exporte dans le monde, dont 600 en Europe.

Un centre de contrôle permet de suivre chaque bus, son statut par rapport à l’horaire et son niveau de charge. Les bus sont rechargés en six heures lorsqu’il fait nuit, pour un tarif 80% moins cher que celui de jour. L’électricité « est à 65% d’origine renouvelable, précise Joe Ma, surtout depuis la mise en service de la centrale nucléaire de Daya Bay », livrée dans les années 1990 par Framatome et EDF. L’avantage est évident : le « tout électrique » permet d’épargner 440.000 tonnes de CO2 par an, sans compter la baisse des nuisances sonores.

Shenzhen est donc devenue la première ville mondiale passée aux transports 100% électrique. De nombreux visiteurs viennent la consulter, comme ces délégués et stagiaires envoyés par l’Union internationale des Transports publics, depuis Bruxelles. Un bus attire la curiosité, ne comptant que cinq sièges : le reste est bourré de caméras, enregistreurs divers et d’un ordinateur pour stocker les données. L’engin roule à 30km/h à travers des rues sans trafic. A trois reprises, il marque l’arrêt : ce sont des arrêts virtuels, sur une ligne expérimentale. Lors d’un arrêt brusque, le chauffeur reste vigilant, prêt à prendre le contrôle. En effet, ce bus est autonome, traçant sa voie à partir de GPS, caméras, connexion et cartes embarquées. « Produit par le groupe Haylion, ce bus ne prendra pas de passager pour les 5 à 10 ans à venir. Pour l’instant, nous accumulons de l’expérience », explique Joe Ma. Classé pour l’instant au stade 3-4 d’autonomie (la classe 5 signifiant l’absence de pilote et de volant), il est encore loin de naviguer seul. D’ici quelques semaines, le groupe suédois Scania offrira à la flotte autonome son unité de dernière génération !

MTC, un monstre industriel

Dans le quartier de Nanwan, s’étale MTC, géant mondial de l’électronique fondé en 2005, au chiffre d’affaires de deux milliards de $ en 2018, trois milliards annoncés pour cette année. Il produit téléviseurs, rétroprojecteurs, modems… De nombreux robots de huit mètres de long équipent les cartes-mères, montant les microprocesseurs, vérifiant les contacts avant de poser et visser les capots. La chaîne produit chaque mois 3 millions de boitiers, destinés à augmenter la fonctionnalité de téléviseurs, par exemple en leur donnant accès à un bouquet de chaînes satellitaires. 
Mille employés montent des produits sur commande : « Box » de Canal+, répétiteurs de Wi-fi pour le groupe Boulanger… Certains équipements sont assemblés par des robots, d’autres par des mains humaines. « Probablement pour des raisons de coûts, la main d’œuvre revient moins cher que le robot. L’homme travaille sur des équipements moins fragiles et moins chers, car il peut faire des erreurs », commente un expert. « En Europe, nous produisons en volumes bien plus petits… Avec de telles échelles, les Chinois ont beaucoup plus de moyens que nous pour éliminer toutes les malfaçons ». A la fin de la visite, on restera ébahi par l’immensité du lieu et la puissance qui s’en dégage…

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1 Commentaire
  1. severy

    Très bon article. On espère découvrir bientôt la suite de ce passionnant reportage.

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