Editorial : Europe et Chine – Retours d’hélice

Jusqu’alors, Pékin évitait toute offensive financière bilatérale auprès des Etats membres historiques de l’Union Européenne au risque de déstabiliser le bloc européen et de compromettre ses relations avec lui. Tout au plus la Chine s’autorisait à attirer vers son grand plan « une ceinture, une route » (BRI) des Etats périphériques ou endettés, tels Hongrie ou Grèce –ayant créé une organisation ad hoc, le « Groupe 16+1» avec 11 Etats membres de l’UE, d’Europe de l’Est.

Or, voila que la Chine se met à courtiser l’Italie, profitant de sa crise économique et de son passage sous la coalition anti-européenne Ligue du Nord/Cinq Etoiles. Elle semble à deux doigts de réussir : à Rome, le 1er ministre G. Conte annonce un préaccord pour adhérer aux BRI, sans davantage souscrire aux contreparties réclamées par l’UE, au respect des normes internationales et des règles de marché. La lettre d’intention devrait être signée en présence du Président Xi Jinping lors de sa visite à Rome et à Palerme du 22 au 24 mars. Ce sera alors un coin enfoncé dans l’unité européenne. Faisant cavalier seul, l’Italie espère un accord « intégral » : un renforcement des routes de Trieste vers l’Europe de l’Est, et d’importants investissements en énergie, aviation et télécoms.

Mais les partenaires mondiaux ne l’entendent pas de ce ton là. Berlin avertit Rome de renoncer à la démarche aventureuse. Washington dénonce un projet « vaniteux » et sans réel avantage pour l’Italie. Même dans la Péninsule, la Ligue du Nord, soutenant le projet du bout des lèvres, prévient d’avance contre toute « colonisation »  chinoise des entreprises italiennes.

Face à la tempête, Pékin prétend « conseiller » à l’UE de rester « neutre », de résister aux pressions américaines. Le cabinet italien dénonce la « tempête dans un verre d’eau » : non, le protocole ne menace pas les alliances stratégiques avec l’UE, le G7, l’OTAN, et ne prévoit pas un  équipement de la Botte en 5G chinoise. Il ne vise qu’à renforcer l’investissement chinois sur son sol, et ses exportations. De toute manière, cette déclaration d’intention n’a rien d’un accord contraignant…

Mais voilà qu’à son tour, au moment où Pékin lance son offensive sur l’Italie, la Commission Européenne dévoile sa nouvelle stratégie chinoise, qui semble un tournant à 180° après des décennies de permissivité. Inspiré par Berlin et Paris, le plan en 10 points sera discuté voire adopté à Bruxelles par les chefs d’Etat lors du Conseil Européen les 21-22 mars, avant le sommet Chine-Europe du 9 avril. Le plan veut renforcer la coopération sur la paix dans le monde, le dérèglement climatique. Surtout, il veut protéger les membres contre la pénétration commerciale asymétrique de la Chine, qui lui procurait en 2017 un excédent commercial de 178 milliards d’€. N’étant plus considérée comme « pays en développement », ce qui lui valait de nombreux privilèges, la Chine est reclassée « rivale systémique », « promouvant des modèles de gouvernance alternatifs », à savoir  des distorsions de concurrence, des surcapacités et des transferts forcés de technologie. Si le plan est adopté, Bruxelles n’ouvrira à la Chine son marché intérieur et ses marchés publics qu’en échange d’un respect des normes internationales, et d’un plafonnement de ses subsides aux conglomérats publics chinois. Ainsi, 40 ans d’état de grâce s’achèvent—sauf si lors du Conseil Européen des 21-22 mars, Pékin parvient à imposer le veto des chefs d’Etat à sa solde,  en Hongrie, Pologne, Grèce ou… Italie !

Avec les Etats-Unis enfin, le bras de fer se prolonge. Liu He, côté chinois, annonce des « progrès substantiels » avec ses homologues S. Mnuchin et R. Lighthizer. Trump lui, parle d’une conclusion « sous trois à quatre semaines », mais avertit : « ça tombera, dans un sens ou dans l’autre »… Il serait donc imprudent de céder pour l’heure à l’optimisme !

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1 Commentaire
  1. Istana Hutan

    Le Brexit a confisqué la réunion du Conseil Européen, dommage. Le vote de ces 10 points aurait été un test de loyauté pour démasquer les états vendus, suivant l’exemple des vetos de la Grèce et du Portugal en 2017.

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