Politique : Panorama des « Deux Assemblées »

Le 15 mars, en clôture de l’Assemblée Nationale Populaire (ANP), les 2945 élus ont adopté à la quasi-unanimité la nouvelle loi des investissements étrangers.

Remplaçant trois lois, ce texte renforce la protection de l’investisseur venu d’ailleurs, et promet un traitement égal à celui réservé à l’homme d’affaires local. A l’évidence, ce vote a été accéléré pour passer durant cette session, comme preuve de bonne volonté face aux plaintes internationales. La loi entrera en vigueur le 1er janvier 2020.

Elle bannit le transfert « forcé » de technologies, et ouvre aux étrangers un recours contre tout abus administratif. La loi étendait également au secteur des services la même égalité de traitement dans la définition des standards, l’accès aux subventions, aux licences et l’entrée en bourse, que celle promise aux marchandises étrangères concourant aux appels d’offre publics.

Suite aux réserves sur la dernière version du texte, une révision 48h avant le vote, ajoutait une interdiction spécifique aux cadres chinois de dévoiler à tierce partie les secrets industriels étrangers.

De plus, la Chine s’apprête à réduire le nombre des secteurs économiques fermés aux étrangers sur sa nouvelle liste négative.

Les experts internationaux saluent la démarche, mais disent que le compte n’y est pas : cette loi reste floue et ne touche pas aux contrôles des secrets industriels, tels que prescrits dans la loi de sécurité nationale de 2017. Et sous cette perspective, même la prestigieuse revue Caixin admet que la loi adoptée reste timide.

Côté défense, le budget de l’armée augmente de 7,5% par rapport à 2018, pour atteindre 176 milliards de $. La modernisation de l’Armée Populaire de Libération (APL) doit se poursuivre, comme les revendications territoriales en mer de Chine du Sud et de l’Est. Cette croissance du budget militaire est supérieure à celle du PIB (6% voire 6,5% en 2019), mais cale par rapport à celle de 2018, qui était de 8,1%. Toutefois, peut-être, dans le but de minimiser aux yeux du monde son effort d’armement, le budget n’inclut pas des dépenses conséquentes, telles la construction de deux nouveaux porte-avions. Hors budget également, les festivités du 70ème anniversaire de la marine (23 avril) et les défilés militaires exceptionnels du 1er octobre,  pour le 70ème anniversaire de la RPC.

Bonne nouvelle : malgré l’austérité, le Conseil d’Etat dédiait 2,5% du budget 2019 à la recherche scientifique, pour atteindre 53 milliards de $. Mais Yuan Zhiming de l’Académie des sciences rurales, tempéra l’allégresse en pointant du doigt les difficultés quotidiennes des chercheurs du fait de l’obligation de paperasserie avant de pouvoir dépenser ces crédits –certains n’ayant même plus de temps pour leur recherche, à force de devoir remplir les dossiers !

Ce débat entre élus et cadres scientifiques révèle le choc causé en Chine par l’affaire de He Jiankui, chercheur de Shenzhen qui faisait naître en novembre deux jumelles génétiquement modifiées. Wang Zhigang, ministre des Sciences et Technologies, rappela aux élus (9 mars) le ban formel de cette pratique, comme de toute autre comportement scientifique nocif (plagiat, recherche clandestine…). Cette réaction à la bavure de He Jiankui est appuyée par un appel d’experts internationaux pour que soit fixé un cadre contraignant contre toute manipulation génétique sauvage à l’avenir.

Sur le plan politique, contrastant avec les multiples efforts publics pour assurer la loyauté des édiles, les critiques n’ont pas manqué dans les groupes de travail, contre diverses politiques du gouvernement. 

À commencer par le plan « Made in China 2025 ». Même le 1er ministre Li Keqiang évitait le sujet afin de ne pas mettre de l’huile sur le feu avec les Etats-Unis. Ceci n’a pas empêché Lou Jiwei, ministre des Finances de 2013 à 2016 (cf photo) et connu pour son réformisme et son  franc-parler, de critiquer le plan : « dès le départ, disait-il, cette stratégie de récupération forcée de technologies étrangères, était vouée à l’échec. Ses auteurs se trompaient en tentant de prédire ce qui ne pouvait l’être, et de se substituer au marché pour désigner d’avance les gagnants ».

Yang Weimin, ancien bras droit de Liu He à la Commission des affaires financières et économiques, renchérit : « au moins la moitié des objectifs économiques annuels pourrait disparaître », car ils vont à l’encontre de l’économie de marché. Yang cite en exemple l’automobile : « Durant des années, les ventes du secteur ont été artificiellement gonflées, portées par les primes… Aujourd’hui, la suppression des aides entraîne le secteur dans l’impasse ».

De même, à la CCPPC, deux délégués osent s’attaquer au plan des « 1000 talents » en place depuis 2008. Supposé encourager le retour en Chine des étudiants d’origine chinoise à l’étranger, il sert en fait, déclarent ces édiles, à soutenir la collecte illicite de secrets industriels par ces étudiants en stage en Occident. Et l’un de ces critiques, Wei Yingjie, ex-professeur à Harvard, accuse le plan d’avoir dressé l’opinion américaine contre la Chine, voire d’avoir provoqué la guerre commerciale, faisant au final, plus de mal que de bien à la nation.

Sur le fond, que penser de cette grogne relative dans l’hémicycle ? De toute évidence, toutes ces commentaires critiques n’ont pu avoir lieu qu’avec l’aval d’une partie importante du pouvoir. Force est cependant de constater que les plans incriminés se déroulent sous la responsabilité directe du chef de l’Etat. Ce qui pose la question du pouvoir réel de ce dernier dans la vaste machine de pouvoir au moment des deux Assemblées, où son bilan en divers domaines, apparaît mitigé… Cette question, pour l’instant, n’a pas de réponse.

Avez-vous aimé cet article ?
Note des lecteurs:
1.07/5
14 de Votes
1 Commentaire
  1. severy

    Ah! Il sera dur de renoncer à une stratégie (le vol de secrets industriels et autres) qui a tant rapporté au pays et qui l’a élevé à la deuxième marche de la production mondiale grâce à ses marchandises « made in China ».
    Ça fait un peu penser au slogan des années 70: « En France, on n’a pas de pétrôle mais on a des idées ». En Chine, pour paraphraser Richard Anthony, le gouvernement a élevé le sirop Siphon au rang d’élixir. L’Occident se retrouve maintenant à chanter sur l’air de Trénet « Que reste-t-il de mes brevets? ». À quoi l’on pourrait répondre: « Une romance sans paroles », les mots étant tous passés de l’autre côté du rideau de bambou.

Ecrire un commentaire