Aviation : Le C919 – une naissance difficile

Le C919 – une naissance difficile

Très attendue, diffusée en direct à la télévision, la sortie du  C919, premier avion de la COMAC, constructeur aéronautique national, eut lieu à Shanghai-Pudong le 2 novembre en présence de 4000 invités. Il avait fière allure, ce biréacteur en livrée blanche et vert-pomme, pour la première fois à la lumière du jour, fruit du labeur de 100.000 ingénieurs et experts, de 36 universités, 200 groupes technologiques et cabinets d’étude. 

<p>Conçu pour 158/174 passagers et une distance de 5500km, ce moyen-courrier veut concurrencer ses « grands frères » A320 et B737—d’où son sigle de « C » comme « Chine », comme l’étape suivante après « A » (Airbus) et « B » (Boeing). 

Pour l’équipement, la COMAC a fait son shopping en Europe et en Amérique. Le C919 dispose du moteur Leap de CFM (filiale Safran-GE) moins gourmand en carburant (-16%), d’un train d’atterrissage Honeywell, d’une avionique d’avant-garde et de matériaux composites dans ses ailes et sa carlingue, en recherche d’économie de poids. 

Pour ce premier bébé, la COMAC attend 2000 commandes en 20 ans. Un but sans doute raisonnable puisqu’elle en affiche déjà 517, presque toutes émanant de compagnies publiques locales. Son marché intérieur aura besoin de 5580 nouveaux appareils (780 milliards de $) d’ici 2035, selon Boeing.

Le C919 est maintenant prêt pour les tests et fait la fierté de la nation. En sept ans depuis le lancement du chantier, la performance mérite en effet d’être saluée, car le pays n’avait aucune expérience en matière de gros transporteurs civils, une technologie toute particulière. Son savoir-faire se limitait à la création du ARJ21, clone du MD-90 américain de 90 places. 

Premier bémol, ce lancement arrive avec au moins un an de retard, et le 1er vol, pour 2016 ou 2017, aura 2 à 3 ans de retard. Les livraisons elles, sont prévues pour 2020 au plus tard, 4 ans après la date annoncée.
Le poids de l’appareil a été maitrisé avec moins d’une tonne de surpoids. 

Plus gênant, mais normal sur un prototype, des renforts ont été rivetés aux racines des ailes, suggérant un problème structurel – qui devrait être solutionné sur les prochains C919. 

Un autre problème tient au cahier des charges qui exige un maximum de localisation en Chine. De ce fait, bien du temps a été perdu à (re-)trouver des solutions déjà inventées ailleurs. 

Néanmoins, la Chine reste dépendante de l’étranger en propulsion, tant pour le militaire que pour le civil. Elle investit massivement pour combler ce retard, mais le fruit n’est pas pour demain : « 2030 sera une étape décisive », nous confie ce professionnel. 

La plus grand difficulté est dans l’intégration des différentes fonctions, qui doivent coexister harmonieusement dans ce volume très réduit qu’est un avion. Selon cet expert étranger, sur le projet C919, « chaque atelier spécialisé (motoristes, informaticiens, experts en aérodynamique) travaille dans son coin », sans connaître les spécifications des autres équipes. Quand ils remettent leur travail, ils découvrent –trop tard– des incompatibilités et du travail à reprendre. 

Côté financement, la COMAC est une compagnie heureuse, touchant l’argent qu’elle veut pour son chantier stratégique prioritaire. En octobre, l’EximBank lui débloquait 7,9 milliards de $. 

Mais inévitablement, des dérapages se produisent : la CCID, inspection centrale anticorruption révélait le 18 octobre une série de manquements tels « l’irrespect du cahier des charges, la violation des règles des voyages à l’étranger, le saupoudrage de contrats pour échapper aux contrôles, le népotisme, et de nombreux « cadres nus » (fonctionnaires ayant envoyé à l’étranger leurs familles, avec un magot détourné) ». 

La certification aussi pose souci. Pour exporter le C919, le blanc-seing de la FAA (Federal Aviation Agency américaine) est incontournable. Or à ce stade, la Chine n’a pas lancé la démarche. Le C919 sera d’abord certifié par l’agence chinoise CAAC, très sérieuse mais non reconnue à l’étranger. Les premières années donc, le C919 devra limiter ses ambitions à son marché intérieur, voire à des pays voisins tels la Thaïlande. Toutefois, ceci ne devrait pas être un handicap à terme : quelques années d’exploitation en vol, et la différence de prix par rapport aux tarifs européen et américain devraient suffire à créer la confiance, et une certification américaine et/ou européenne est inéluctable. 

Le groupe Rand Corporation dans son rapport publié en 2014, est plus pessimiste : le C919 ne connaîtra pas le succès commercial. En effet, la Chine a déversé durant des décennies d’énormes ressources, à seule fin d’apprendre à faire un avion, au lieu de produire en masse en associant les constructeurs étrangers. De ce fait, le C919 devrait supporter 20 millions de $ de frais de développement par vente (dans l’hypothèse pessimiste de 1000 ventes seulement, la moitié des prévisions de COMAC). 

Toutefois, la Chine a le regard fixé vers l’horizon : d’autres modèles vont rejoindre la gamme, tel l’ARJ21 (90 places), ou le C929 (équivalent d’un A340) en cours de conception en collaboration avec un groupe russe. Et pour reprendre cet industriel étranger déjà cité, « 2050 verra peut-être la Chine au premier rang de la construction aéronautique mondiale. Il serait temps de la considérer avec plus de respect ».

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