Petit Peuple : Longshan : la fermière romancière

En Chine, les fermiers et les livres, ça fait souvent deux. Mais pas toujours. Dans ce monde rural se cachent des traditions littéraires splendides, comme en ces villages centenaires autour du mont Huangshan (Anhui) aux demeures luxueuses et pleines de goût raffiné, aux statuettes polychromes et balcons de bois délicatement sculptés, témoins d’une civilisation éduquée, enrichie par le commerce du thé et de la soie. Ces villages entretenaient souvent une école, qui préparait leurs jeunes les plus doués au concours impérial. On lisait beaucoup, dans ces milieux : durant les longues soirées d’hiver, les paysans vivaient parmi les livres, voire les écrivaient.

A Longshan, dans le Shanxi, Zhao Wenfang, paysanne de 43 ans, rejoint cette tradition et accède cet été à la célébrité, après avoir écrit un roman, pour ses enfants. Rien que par son prénom (qui signifie «Parfum raffiné»), Wenfang semblait vouée à une carrière littéraire. En plus, deux incidents dans sa jeunesse, vinrent exacerber cette vocation, en l’éloignant d’abord de l’univers de la langue écrite, puis en éveillant chez elle un désir de se battre.

Il y eut d’abord la fermeture des écoles durant la Révolution culturelle : de 5 à 10 ans, elle rata les 1ères années d’apprentissage et ensuite, le collège qui venait de rouvrir, était d’un trop bas niveau pour pouvoir lui permettre de combler ses terribles lacunes. Aussi Wenfang, n’ayant jamais étudié le mandarin, a honte du sabir provincial auquel elle est réduite. Il y eut ensuite, à 17 ans, l’infection oculaire qu’elle contracta en sa 1ère année de lycée, la forçant à le quitter pour retourner aux champs : un vrai crève-coeur.

Sa revanche, elle la trouva 24 ans plus tard, en 2007. Depuis longtemps mariée, elle avait deux enfants de 16 et 11 ans. Le mari étant souvent en route, laissant les enfants à eux-mêmes, ceux-ci avaient de plus en plus de mal avec leurs études. Pour la mère, il n’était pas question de laisser faire ! Elle inventa alors un concours d’études, voir qui des 3 saurait le mieux ses leçons, elle-même suivait et apprenait les deux programmes à la fois. A ce rythme, Wenfang rattrapa vite ses lacunes en culture, et vit se réveiller en elle ses envies d’écrire: elle composa une nouvelle, «Fleur de pêcher», qui trouva tout de suite sa place dans les colonnes de Danhui, le magazine local. Impressionnés, les enfants se défonçaient dorénavant, faisaient des prodiges en classe.

L’appétit vient en mangeant : Wenfang entama «Lune et de soleil sur Lu Jia Wan», roman de son village, de ses voisins décrits dans leur décor, narrant leurs drames et leurs bonheurs. Pour autant, Wenfang n’oubliait pas ses enfants. Sans cesse, elle leur lisait les pages nouvelles, en discutait avec eux des chapitres, les interpellait, reprenait leurs suggestions.

Ainsi le livre prit toujours plus de relief, et ses enfants plus de goût d’étudier. Les deux projets sont liés : que la mère réussisse son passage dans le monde des lettres et ses mômes, leur entrée à l’université !

Le 19 mai dernier, ayant couché sur papier plus de 100.000 caractères, elle a écrit le mot «fin», puis s’est rendue (telle Perrette avec son pot au lait) à la ville de Shanglui, porter son texte à monsieur Mi Yuan, l’attaché littéraire du Bureau des créations artistiques. L’homme de l’art le lu. Quand elle est repassée, il lui a témoigné son enthousiasme. Il avait déjà alerté le journal local, et annoté le manuscrit, lui laissant des centaines de corrections à faire, tout en la conseillant pour le choix de l’éditeur.

Mais pour ces devoirs à la maison, Wenfang devra attendre : en ce moment, c’est le temps de la récolte, des grands travaux des champs, qu’il faut boucler avant les trombes de l’été. Cette femme petite et râblée, au teint toujours briqué par le soleil intense, passe ses journées dans les parcelles à récolter à la faux. Tout en liant ses bottes, elle pense à son livre et se dit qu’elle «ne lâche la plume que pour la charrue» (笔耕不辍, gēng bù chuò).

Entre les deux, elle voit le lien : ses lignes de mots succèdent à ses sillons de blé, l’un et l’autre voués à germer, donner place au livre, aux enfants, à la vie !

 

 

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