«La voix de la raison» : ainsi fut applaudie la suspension par le MIIT (tutelle des industries de l’électronique) de l’ordre d’installer au 01/07, dans tous les ordinateurs neufs « Digue verte », logiciel supposé protéger les enfants de la pornographie.
Depuis mai l’injonction faisait l’unanimité contre elle. Celle des parents, car Digue verte bloquait des images innocentes mais laissait passer des scènes de pornographie «hard». Celle des industriels, car le logiciel «plantait», et ouvrait aux hackers les portes des PC privés. Celle des jeunes, principaux surfeurs virtuels, qui s’estiment inutilement brimés. Celle de l’UE et surtout des USA qui écrivaient au 1er ministre et se plaignaient à l’OMC, l’Organisation mondiale du commerce, dénonçant l’obstacle à la libre circulation des biens : cela faisait beaucoup!
Contre toute attente donc, le MIIT (Ministère des Industries et des technologies de l’Information) a fait marche arrière. Beau joueur, il admettait certaines critiques des industriels -tout en insistant pour dire que son logiciel ne réduit pas la liberté d’opinion, ne viole les règles internationales et n’a pas été sélectionné selon un processus arbitraire, avec impasse sur toute concertation populaire.
Peu usuel, ce demi-tour provoqua une euphorie naïve parmi les rangs des internautes civiques, certains d’avoir été à l’origine du revirement: « cela prouve que la pression sociale ne peut être ignorée, que l’opinion a un impact », trompetait Zhou Ye l’avocat pékinois tandis que Wen Yun-chao, éditeur du site Netease arborait une face satisfaite, parlant d’une « petite victoire pour les forces de la justice ».
Plus crédible, mais un rien suffisant, Ed Black, Président d’une association industrielle US voyait dans cette «victoire» la preuve que «quand les officiels américains s’en mêlent, ils obtiennent des résultats ».
Enfin, l’Etat a choisi l’apaisement, admettant s’être engagé dans une voie délicate et même, que les critiques n’avaient pas tous les torts. C’est un geste symbolique important. Le pouvoir démontre sa capacité de pragmatisme, et de « repli stratégique ». Les défenseurs de la liberté de l’internet, après avoir bien profité d’un soutien privé ou public de régions du monde, sortent de l’épreuve renforcés: un (petit) pas vient d’être franchi, vers la maturité d’une jeune nation industrielle.
Reste la question : pourquoi l’Etat s’est-il lancé dans cette galère, avec pour tout viatique un logiciel mal ficelé, peut-être piraté? Nous devons associer son initiative à l’arrivée du 60. anniversaire de la R.P. Chine, et au besoin de réaliser d’ici là des progrès dans la réalisation de la «société spirituelle socialiste» (精神文明建设 jingshen wenming jianshe), chère au chef de l’Etat. La sincérité du projet ne fait aucun doute, pas plus que sa popularité au sein de la société. La pornographie de l’internet est vécue par l’Etat comme étrangère, tant sur sa production, que sur sa diffusion: l’autre campagne à son sujet, contre Google, en est l’indice. Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner si dès maintenant, le MIIT nous prépare à une seconde tentative pour relancer Digue verte, peut-être dès septembre.
Ce qui pose la question, s’il s’y résout, des alternatives : Quid d’un choix laissé aux parents (ou aux constructeurs des ordinateurs), du modèle de logiciel anti-porno? Quid d’une campagne étendue aux portails nationaux, comme Baidu ? Il nous semble qu’à suivre la voie de la concertation et de l’égalité de traitement, il ne pourrait que ressortir gagnant, en efficacité au moins.
Sommaire N° 24