Editorial : Censure – des frissons dans le lac !

A quelques jours du 15. anniversaire des événements de Tian An Men (4/06), les nerfs publics sont tendus.

En témoignent les assignations à résidence d’activistes tels Liu Xiaobo (cyberdissidence), Hu Jia (Sida), Ding Ziling («les mères de la place TAM»).

En matière de liberté d’opinion, l’heure n’est donc pas aux concessions : le procès du webmaster Du Daobin s’est déroulé à huis clos (18/5), avec avocat imposé. Même à l’étranger, la censure chinoise s’exprime avec puissance, parvenant à faire bannir de plusieurs satellites la chaîne TV NTD (indépendante, sinophone)… Continuité donc, dans la stabilité musclée – mais l’apparence trompe! Sous la surface du lac de censure, des courants de fond apparaissent, qui bouleversent discrètement l’équilibre et préparent un univers nouveau.

Sur l’internet d’abord: face aux 100M d’internautes chinois (qui doublent tous les 18 mois), les 30.000 policiers de la toile, ne suffisent plus à la tâche! Wu Wei le webmaster, dans un reportage au New York Times, présente son forum de discussion Démocratie et Liberté. Le visiteur peut y trouver une liste de 20 internautes sous les verrous, lire de nombreux essais critiques (y-compris d’auteurs embastillés), et donner de la voix dans un débat en ligne. Depuis sa naissance en 1998, le site a été fermé 38 fois. Parfois interpellé, Wu a perdu (2003) sa place de bibliothécaire à Canton. Mais la répression n’a pas vraiment cherché à décimer l’équipe, qui s’est étoffée à travers tout le pays, dont un auteur à succès et un cadre officiel, qui publient sur le site sous pseudo. Les membres du réseau ne se connaissent pas, mais communiquent en ligne via MSN (Microsoft). Aujourd’hui, le site est hébergé  en miroir à des adresses multiples, sur des espaces payants : tout site fermé est automatiquement rouvert ailleurs. Ainsi, cette cyberdissidence a muté, devenant indéracinable.

Parallèlement, selon Wu, les fournisseurs de services perdent tout enthousiasme pour dénoncer leurs clients, avec qui ils préfèrent travailler (gagner de l’argent). Même la police perd la foi répressive, vu la nouvelle fièvre d’enrichissement et le vent qui tourne : le dernier mot d’ordre du Conseil d’Etat aux apparatchiks (23/5, Chongqing), est de «cesser de voir dans le journaliste un subordonné, un copain, ou même un ennemi, mais un défi (professionnel)» ! De ce vent nouveau, le signe le plus clair est Wu et son réseau, qui osent à présent sortir de l’ombre, afin de se démarquer de l’illégalité.

Dans l’édition, la même tendance se lit chez un auteur tel Zhou Meisen, au sommet de la gloire à 48 ans. Ses romans comme «Pouvoir absolu» ou «Intérêt supérieur» daubent la vénalité et l’amoralisme des hauts cadres. Ils tirent à 250.000 exemplaires, et les téléfilms rassemblent jusqu’à 30 M de supporters. Humblement, Zhou Meisen admet que ses audaces ne dépassent pas le niveau du chef de division -plus haut, c’est trop dangereux. Mais même ainsi, il traduit les frissons dans le lac : le tournant irrévocable en cours, duquel la grande machine s’accommode de manières contradictoires, tolérance ou exacerbation d’autorité, suivant les sensibilités!

 

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