Transports : Une Chine à vitesse grand « V »

Avec son territoire démesuré (9,6 millions de km²), sa première population mondiale concentrée au Centre et à l’Est du pays et ses 300 métropoles de plus de 500.000 habitants séparées les unes des autres de 200 à 900 km, la Chine semblait prédestinée au train à grande vitesse.

Pourtant, son arrivée en gare ne date que d’« hier ». La ligne Pékin-Tianjin était inaugurée en 2008, un tracé de seulement 140km choisi par le planificateur « pour se faire la main ». En 2011, ouvrait la ligne à grande vitesse (LGV) entre les capitales politique et économique, Pékin – Shanghai. Dès 2015, la ligne s’imposait comme la plus dense du pays avec 48 millions de passagers au km par an (PPK), et la plus rentable avec un profit annuel de 10 milliards de ¥.

Par sa stratégie à long terme de « 4 puis de 8 axes verticaux et horizontaux », le gouvernement espère mailler le pays en lignes à grande vitesse, censées apporter prospérité jusqu’au Xinjiang et au Tibet.

Le 13ème Plan (2016-2020) prévoit de porter d’ici 2020 le réseau LGV à 30 000 km (cf photo), et de relier plus de 80% des métropoles de plus d’un million d’habitants. C’était quasiment fait dès décembre 2018, disposant dès lors de 29 000 km opérationnels, dont 3 500 km ouverts dans l’année—soit 125% du réseau français (2800 km). La cadence effrénée répond à un choix stratégique de soutien à la croissance par investissement public, gonflant le PIB et maintenant des dizaines de milliers d’emplois.

Mais la Chine ne compte pas s’arrêter là. Annoncé en janvier 2018 par Lu Dongfu, PDG de la China Railway Corporation (CRC), le réseau devrait atteindre 38 000 km dès 2025 et 45 000 km en 2030.

Cette croissance tous azimuts inquiète. Zhao Jian, du Centre de recherche en urbanisation à l’Université Jiaotong (Shanghai), tire le signal d’alarme dans une interview à Caixin le 29 janvier. Une LGV étant deux à trois fois plus chère qu’une ligne classique et ne transportant que des passagers (pas de fret), la dette de la CRC a bondi en une décennie, de 477 milliards de yuans en 2006, à 4720 milliards en 2016 ! Et encore, ce chiffre n’inclut pas la dette des gouvernements locaux, évaluée par les experts à 18 290 milliards de ¥. C’est un « rhinocéros gris », pour reprendre le terme du Président Xi Jinping désignant ainsi un « risque reconnu mais sous-estimé ».

Mais quel est le profit économique et social de ce grand réseau LGV, encore appelé à s’étendre ? Les habitants ont-ils besoin de voyager aussi vite ? Et peuvent-ils se le permettre ? Sur de nombreuses LGV, le trafic peine à décoller, comme sur celle de Lanzhou – Urumqi, avec une densité de 2,3 millions PPK. Au plan national, en 2015 soit 7 ans après l’arrivée de la grande vitesse en Chine, la densité moyenne était évaluée à 17 millions de PPK. La revue anglaise Railjournal estime que cette densité était équivalente à celle des ténors du rail, Japon et France, à stade de développement similaire. A titre de comparaison, le réseau nippon affiche à ce jour une moyenne de 34 millions de PPK, plus de 50 ans après sa création (1964), et de 23 millions pour le réseau français après quarante ans d’expérience (1981).

Selon Zuo Dajie, professeur à l’Université Jiaotong de Chengdu (Sichuan), les LGV du Centre et de l’Ouest sont « sous-utilisées et déficitaires » faute d’une forte densité de peuplement. C’est une des causes de l’explosion de la dette des gouvernements locaux. Elle sera aggravée à long terme par des coûts exponentiels de maintenance du matériel roulant et des voies, dépenses incontournables pour raisons de sécurité.

Au plan national par ailleurs, le déclin démographique sera une cause supplémentaire de baisse de la fréquentation ferroviaire, et donc du revenu global de la CRC (LGV et lignes classiques).

Autre question : cet investissement massif dans des LGV ne se fait-il pas au détriment du fret ferroviaire ? Selon Zuo Dajie, la réponse est non, puisque le trafic passager est transféré de la ligne classique vers la nouvelle LGV, libérant des créneaux horaires pour le fret. Si les parts de marché du fret ferroviaire ont chuté ces dix dernières années (50% en 2005 à 17,1% en 2016), c’est plutôt lié à l’apparition simultanée des autoroutes, favorisant un trafic marchandises routier, plus flexible sur les horaires et doté de l’atout imbattable du « porte à porte ».

Pour rectifier le tir, Zhao préconise de maintenir l’investissement sur les lignes classiques, qui permet au fret ferroviaire de transporter des marchandises dans les zones excentrées.

De plus, conserver les trains régionaux à vitesse maximum de 100 km/h dans ces zones, est également essentiel pour désenclaver les populations rurales. L’Etat leur octroie 4 milliards de yuans de subventions par an. Pourtant, les gares ferment dans les zones les plus reculées. De plus, l’expert suggère d’améliorer les correspondances entre ces trains régionaux et les CRH (équivalent des TGV) dans les gares « hubs ».

Enfin, une dernière recommandation serait de réorienter une part des crédits vers le ferroviaire interurbain, un maillage de la région Jing-Jin-Ji (Pékin-Tianjin-Hebei) ou du grand-Shanghai (entre ses gares et aéroports) par exemple, pour soulager la pression sur les épicentres des métropoles.

Ces problématiques du rail chinois (fermeture des lignes régionales, société nationale endettée) ne sont pas inédites : Japon et France entre autres, en sont passés par là. Après avoir bénéficié de leurs technologies, la Chine a l’opportunité de s’inspirer de leurs expériences (et de leurs rectifications) de gouvernance. Le ferroviaire chinois arrive donc à une étape cruciale de son développement et peut éviter de s’endetter de manière incontrôlable en révisant sa stratégie actuelle, qui s’avère indéniablement non durable.

Par Jeanne Gloanec

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1 Commentaire
  1. severy

    Si j’ai bien compris, au train où il va, le réseau TGV en Chine va dans le mur à toute vapeur.

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