Xinjiang : Simoun au Xinjiang

Après 25 mois, l’affaire des camps ouighours au Xinjiang s’internationalise. À l’été 2018, une agence des Nations Unies dénonçait l’ouverture de dizaines de camps et la réclusion d’un million de membres de cette ethnie. La Chine récusait le terme de « camps d’internement », mais parlait de « centres de formation et d’éducation », tout en les justifiant par le besoin de stabilité dans la région, et d’ « éradiquer l’extrémisme ».

De multiples voix sont venues s’ajouter, confirmant la détention jusqu’à 10% des Ouïghours du Xinjiang, soumis à une rééducation forcée toute la journée, répétant slogans et chants du régime.

Jusqu’à ce jour, le monde islamique évitait de critiquer la Chine pour l’atteinte aux libertés et droits économiques de ses frères en religion. Des pays tels Arabie Saoudite, Iran ou Pakistan gardaient le silence. Malaisie et Indonésie exprimaient leur désapprobation en sourdine, soucieux de ne pas compromettre les forts achats chinois de leurs denrées, et les projets d’investissements chinois « BRI » (Belt & Road Initiative) sur leur sol.

Or, le 9 février, la Turquie de Recip Erdogan accusait soudain Pékin de créations massives de « camps d’internement » et de prisons, d’y pratiquer « arrestations arbitraires », « détentions massives », « tortures » et « lavages de cerveau ». La réintroduction de ces pratiques « au XXI. siècle et la politique d’assimilation systématique seraient une grande honte pour l’humanité ». Ankara appelle le monde et le Secrétaire général de l’ONU à réagir pour mettre un terme à cette « tragédie humaine ».

La réaction chinoise ne s’est pas faite attendre. Pékin diffusait la vidéo d’Abdurehim Heyit, poète et chanteur ouighour, vivant, alors que le communiqué turc le déclarait mort en deuxième année de captivité. Le journal Global Times évoque la « déception de nombreux Chinois » face à l’attitude « superficielle et vaine » d’Ankara. Selon Pékin, ses mesures « temporaires et efficaces » auraient épargné au Xinjiang le sort de la Tchétchénie de la fin du XX. siècle, en proie aux violences séparatistes, avant d’être reconquise à feu et à sang par l’armée russe. La mise en camp aurait aussi été le moyen « le moins cher » d’éviter la guerre : depuis leur introduction en 2017, le Xinjiang (et la Chine entière) n’auraient plus connu un seul attentat terroriste.

Les critiques turques seraient inspirées par Washington, mais Ankara serait aussi agitée par son rêve pan-turc : Erdogan espérerait conquérir les voix d’extrême-droite pour emporter ses élections de mars prochain. Global Times prédit enfin que la déclaration immature d’Ankara sera sans lendemain. Cette dernière pique fait allusion aux 3,6 milliards de $ récemment prêtés à la Turquie par la banque ICBC, au titre de projets d’énergie et de transports. De fait, la Turquie, en froid avec les USA et l’Union Européenne pour cause de droits de l’homme et du traitement de la question kurde, ne peut se mettre à dos un ennemi de plus—ce qu’elle vient pourtant de faire…

Mise bout à bout, la somme de tous ces arguments hétéroclites est révélatrice d’un fort embarras chinois, face au front critique de sa politique au Xinjiang, qui s’étale inexorablement vers le monde musulman. La Turquie avait déjà protesté contre la Chine à propos du Xinjiang en 2016, avant de rentrer dans le rang. Sa nouvelle explosion devrait en toute logique forcer d’autres nations à se désolidariser à leur tour de la Chine.

Si les gouvernements restent pour l’instant cois, les peuples réagissent, quand les prisonniers sont de leur pays. Au Kirghizstan, A. Kojobekov, n°2 du Comité de sécurité nationale annonce que « les rassemblements antichinois (contre les internements au Xinjiang) s’élèvent dans tous les pays de l’ex-URSS ». L’ambassadeur chinois Xiao Tsinghua rétorque par des arguments sortis du même moule que ceux opposés à la Turquie : le Kirghizstan n’aurait rien à dire sur le Xinjiang, affaire interne chinoise ; les camps seraient des « institutions pédagogiques » où « nul ne retient » les pensionnaires, et les kirghiz internés « sont des citoyens chinois ».

Cependant, quand les troubles prennent de l’ampleur, on négocie. En 2018 au Kazakhstan, 2000 Kazakhs ont été sortis de camps et autorisés à émigrer vers le pays de leurs origines.

A noter que des minorités ouïghoures ont émigré partout, y compris aux USA, au Canada, en France ou en Allemagne. Certains, naturalisés étrangers, sont retournés en visite familiale et se sont faits arrêter : 17 Ouighours australiens sont aujourd’hui en prison, en résidence surveillée ou en camps – autant de sources de contentieux pour l’avenir.

Dernier point, probablement sans lien direct, mais plus qu’insolite : Erik Prince, barbouze privé américain, est lié à un projet de camp de formation de mercenaires au Xinjiang. Frontier Service Group (FSG) de Hong Kong, fournit depuis 2014 une assistance logistique, d’aviation et de sécurité (mais non d’intervention paramilitaire) entre des pays, tels la Somalie ou le Kenya. Prince détient 9% de l’entreprise cotée en bourse, et CITIC 26%. Le camp pourrait former 8000 hommes par an, destinés à la protection de projets BRI hors de Chine. Prince, qui a troqué en décembre sa position de président de FSG pour celle de n°2, dément l’existence de ce projet au Xinjiang – mais la cérémonie de signature a bien eu lieu, en présence d’officiels de la CITIC et de XPCC, complexe militaro-affairiste du Xinjiang, aussi impliqué dans l’affaire. 

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1 Commentaire
  1. severy

    Les barbouzes bien baraqués barbotent dans la bière brune de beaux bars bons bardés de bouts de barbelés.
    On retrouvera un jour le corps mommifié d’Erik Prince dans les sables du Taklamakan, la gorge obturée par un rouleau de sapèques.

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