Routes de la soie : L’apparent blocage des BRI

L’apparent blocage des BRI

Après 10 années d’existence, où en sont les « nouvelles routes de la soie » (BRI) dont le Président Xi Jinping annonçait en fanfare la création en 2013 ?

Très ambitieuses, leur objectif vise à sortir du pays les surplus en fer, en béton et produits semi transformés pour ramifier d’infrastructures de développement les cinq continents le long de routes terrestres, maritimes, aériennes et virtuelles. Sur leurs parcours, elles implanteraient des zones industrielles pour générer richesses et emplois. La Chine a ainsi l’espoir d’enrichir la Terre, tout en la convertissant en son arrière-pays, sa source d’énergie et de minerai, et le marché où déverser ses produits finis.

En apparence, le succès est au rendez-vous : les BRI ont suscité, dans 144 pays, des centaines de chantiers financés par 59,5 milliards de $ (en 2021). Le plus récent projet était inauguré le 7 novembre à Lekki, au Nigéria : le plus grand port en eaux profondes d’Afrique de l’Ouest (cf photo) d’une capacité annuelle d’1,2 million de conteneurs de 20 pieds pour plus d’1,5 milliard de $.

Le succès des projets BRI est venu de leurs alléchantes conditions de départ. Ils sont largement financés, le remboursement n’intervient qu’après livraison. Surtout, au nom du principe de non-ingérence, Pékin s’interdit d’assortir cette aide au développement de conditions politiques.

De la sorte, ses projets BRI ont souvent emporté des appels d’offres, face à des projets concurrents souvent plus performants : dans le cas des barrages par exemple, Sinohydro, le géant étatique, est en retard sous l’angle de la technologie, du design, voire du prix, mais pour le client tiers-mondiste, l’essentiel est l’apport de fonds, que Pékin fournit.

A l’expérience pourtant, si l’accès aux projets BRI est facile, d’autres conditions apparaissent nettement moins chatoyantes sur le long terme. Contrairement à la pratique internationale en matière d’aide au développement où les prêts sont bonifiés voire gratuits, 95% des prêts BRI affichent un taux d’intérêt de 4%. De même, les chantiers des nouvelles routes de la soie doivent être remboursés en 10 ans ou moins, face à ceux de la coopération qui vont souvent à 30 ans ou plus.

Or, comme en même temps les projets ont été choisi par des politiciens sans bagage technique ni expérience gestionnaire, ils s’avèrent souvent des chantiers « de vanité », de faible utilité, sans rentabilité, comme des palais des congrès, des parlements ou des stades que ces pays ont ensuite du mal à rembourser. Même les usines ou voies ferrées peuvent être à risque, du fait d’une étude de faisabilité accélérée et ayant négligé la question du marché réel.

Au Sri Lanka, par exemple, le seul intérêt du complexe (aéro-)portuaire et industriel de Hambantota, inauguré en 2010, était d’être construit près de la ville du président, en pleine jungle au sud de l’île. Vite en faillite, l’outil a ensuite été cédé à la partie chinoise pour 99 ans.

Même problème pour la ligne de chemin de fer entre Ethiopie (Mombassa) et Kenya (Nairobi) payée 6 milliards de $ par la Chine, aujourd’hui rongée par la corruption, et dont la rentabilité se retrouve repoussée à au moins 50 ans.

Ces choix hasardeux des nations clientes sont aussi causes de dérives au plan écologique : en 2018, plus de 44% des investissements BRI ont financé des centrales à charbon – que la Chine pourtant dès cette époque bannissait sur son propre sol.

En définitive, c’est le risque de voir l’outil en faillite et confisqué par le promoteur chinois, qui a refroidi l’ardeur du pays émergent client. Plus de dix pays ont renoncé aux projets BRI, tels Afrique du Sud, Kazakhstan, Malaisie, Maldives, Népal, ou Ouganda.

L’impact des prêts BRI sur les économies du Sud est lourd : d’après la Banque mondiale, près de 40% de sa dette connue est détenue par la Chine. 42 pays ont envers elle des dettes de plus de 10% de leur PIB, le record étant détenu avec 43% par Djibouti, mini pays dans la corne de l’Afrique, qui accueille depuis peu la première base militaire chinoise hors de Chine : Pékin assure par la dette la pérennité de cette base stratégique.

Que fait la Chine face au piège de la dette menaçant ses clients ? Vu les montants énormes qu’elle a investis dans ce plan, elle ne peut se permettre d’effacer l’ardoise. Pour l’instant, elle pense avoir encore du temps devant elle. En août 2022, elle a renoncé à 23 prêts à 17 pays d’Afrique. Toutefois, il s’agissait de prêts sans intérêts, en petits montants, une goutte d’eau par rapport au total des encours.

Comme adoucissement, la Chine offre d’allonger la période de remboursement à 20 voire 30 ans, et/ou d’octroyer aux pays en défaut des mini-prêts, pour leur maintenir la tête hors de l’eau. Mais bien sûr, ces concessions ne règlent rien : ce qu’il faudrait, c’est envisager l’abandon pur et simple d’une grosse partie du prêt, voire même, selon les experts, dans les cas les plus ingérables, abandonner l’exploitation.

Ces derniers jours, le Kenya, menaçant de publier le contrat principal de sa ligne ferrée, demande même formellement de porter le remboursement sur « 20 ans » à 50 ans – la Chine réplique en rappelant que ce partenaire a juré de respecter le secret d’affaires…

La crise des faillites des projets BRI pourrait s’aggraver, alors que le monde s’achemine vers une récession et que le temps de l’aventurisme économique semble révolu. Pékin s’en est sans doute rendu compte : en 2020, le pouvoir a cessé de vanter son plan mondial des BRI, et a en même temps promu un autre programme économique qui semble bien avoir pris leur exact contrepied, étant fondé sur des principes inverses : finie l’exportation de chantiers de développement, et bienvenue aux projets tournés vers l’intérieur chinois des provinces en retard. C’est le nouveau mot d’ordre de la « circulation duale ».

On constate donc un recul des BRI, amputées des 2/3 de leurs investissements entre 2019 et 2020, de 11 milliards de $ à 3,3 milliards. L’Exim Bank, un des gros bailleurs de fonds, refuse même en 2021 à l’Ethiopie 339 millions de $ de crédits promis, pour cause d’incapacité à rembourser ses dettes.

En conclusion, pour rectifier le tableau, il faut revenir sur l’espoir immense qu’avait suscité l’offre des projets BRI, avec leur (fallacieuse) gratuité et leur absence de pressions politiques de type « droits de l’Homme ». Ce que ces projets apportaient surtout, était une solution à un problème de développement inégalitaire à travers le monde. Depuis 50 ans, de nombreux pays d’Afrique, d’Asie, d’Amérique latine et d’Océanie manquaient de fonds et de technologies, qui restaient aux mains des pays riches. Hier comme aujourd’hui, ces nations émergentes réclament un changement de paradigme dans la relation avec l’Ouest et le passage du concept d’« aide » à celui de « partage équitable des ressources ».

Dans ce contexte, les BRI inventés par la Chine, offrent une solution nouvelle, mais qui souffre de ratages et attend des rectifications, dans un sens de transparence accrue, d’écoute, et de coopération avec d’autres fournisseurs de fonds et de technologies. La Chine saura-t-elle le faire ? Telle réforme politique, chez elle, aurait des incidences profondes, pas seulement en politique de développement, mais aussi dans ses relations tout court avec le monde.

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