Technologies & Internet : Trois mariages arrangés

Trois mariages arrangés

C’est une étrange scène qui s’esquisse dans le paysage de l’internet chinois : le 2 novembre était annoncé le mariage de chacun des trois plus grands groupes privés de la toile chinoise, avec un des trois consortia étatiques gestionnaires des réseaux télécoms. Tencent est apparié avec China Unicom, JD.com avec China Mobile, tandis qu’Alibaba prendrait pour époux China Telecomau conditionnel car l’annonce est contestée par le groupe public.

Les trois alliances se présentent comme des coentreprises. Celle Unicom/Tencent concède 48% des parts à Unicom, 42% à Tencent et les 10% restants « au personnel » – un souci de répartition « équitable » qui rappelle les appels du régime à une meilleure répartition du produit social.

Toutes ces alliances sont encore à l’état d’ébauche : les permis sont accordés, mais les entreprises ne sont pas encore constituées. De même, leur raison sociale reste encore vague, brassant des domaines très larges. Selon les présentations, les entreprises futures devront « renforcer la sécurité et l’autocontrôle de l’infrastructure digitale », « soutenir l’innovation des smart cities, du gouvernement digital, des bases de données, des big data et de l’internet en nuage », et œuvrer dans « le traitement des communications, du commerce international, et de la domotique (smart home) ».

En fait, ces concentrations qui s’esquissent serviront à accélérer la digitalisation des services de l’Etat, à commencer par la sécurité. Elles pourraient par exemple permettre aux 600 millions de caméras disséminées à travers les provinces à mieux communiquer avec les bases de données de la police, et donc identifier plus vite les sujets filmés. Elles serviront aussi à mettre au point des logiciels pour l’administration, de gestion des populations civiles. Les groupes privés disposent du matériau de base nécessaire, à savoir les données individuelles. Via son service WeChat immensément populaire, Tencent brasse les données de plus d’un milliard de Chinois, permettant de modéliser leurs habitudes et traits de caractère. Alibaba et JD.com, n°1 et 2 du commerce digital, peuvent également fournir des portraits de chaque citoyen sur la base de leurs comportements de consommation tels qu’enregistrés lors de leurs achats en ligne.

A y regarder de plus près, ces rapprochements ne datent pas d’hier. Tencent et Unicom ont échangé des postes de direction depuis des années, et Alibaba et China Telecom sont liés depuis 2017 par un accord.

Cependant le jour de l’annonce de ces alliances, le 2 novembre, n’a rien de fortuit. Deux ans plus tôt jour pour jour, Jack Ma, le fondateur d’Alibaba était convoqué pour « prendre le thé » (recevoir des remontrances) après avoir critiqué les contrôles sur l’internet comme désuets et inefficaces. Par suite, son projet d’entrée en bourse de Shanghai et Hongkong de Ant Financial, le bras financier d’Alibaba, avait été suspendu : la plus grande levée de fonds de tous les temps était compromise.

Le mariage China Telecom/Alibaba est donc annoncé le jour anniversaire du recadrage de Jack Ma. De plus, ce renforcement d’alliance se fait en son absence : le fondateur d’Alibaba se trouve au Japon, et n’a pas réapparu en Chine depuis des mois. Quelle plus explicite manière de faire comprendre que désormais, sur les destinées du premier groupe commercial de Chine, c’est l’Etat qui est aux manettes ?

Annoncé juste après le XXème Congrès, ce pas en avant est interprété par les experts comme l’indice que l’Etat prépare la nationalisation de ces groupes privés, dont il a besoin pour renforcer l’appareil sécuritaire du pays, et tout simplement pour garantir une discipline absolue hors du Parti.

Chang Yu, analyste à Hangzhou, précise que les préparatifs étaient visibles dès 2021, le pouvoir critiquant alors « l’expansion désordonnée du capital, et se promettant d’enrayer la croissance des groupes privés ». Wu Jiang, expert pékinois de l’internet, renchérit : « durant le Congrès, le message est passé, interdisant à quiconque de faire du lobbyisme en faveur du privé… Une fois le Congrès terminé, les dernières défenses du privé ayant sauté, l’Etat peut aller plus loin ».

Si cette grille de lecture se confirme, on assiste aux premiers pas d’une mainmise sur les consortia privés, à commencer par ceux de l’internet, les plus influents aux yeux du Parti. Ce dernier d’ailleurs ne s’en cache pas : en juillet 2021, Peng Huagang, porte-parole de la SASAC (l’agence de supervision des consortia publics) communiquait sa volonté d’accélérer les fusions privées/publiques « par acquisitions, par nationalisations non compensées ou par transferts de parts ».

Conclusion d’un témoin anonyme : « c’est le retour aux années 50 qui se profile, à Mao qui avait achevé le contrôle du secteur privé ». Certes, on n’en est pas encore là, et de nombreuses pièces du puzzle manquent encore pour dégager une vision irréfutable du processus en cours. Mais dès maintenant, le mouvement inquiète les capitalistes chinois, qui cherchent à vendre et quitter le pays.

Autres indices qui inquiètent, ce mouvement va parallèlement avec la réintroduction des cantines publiques, et un appel le 9 novembre par Li Shulei, le nouveau patron de la propagande, à « laisser pousser 100 fleurs et 100 écoles de pensées » : une référence voilée à la campagne de Mao en 1956-57, qui avait amené à détecter et punir toute dissidence…

Évidemment, si la Chine mène à bien cette campagne de renationalisation de l’économie, elle risque d’en souffrir les conséquences : un recul de la productivité, de la motivation et de la liberté d’action… Mais ceci est une autre histoire !   

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La « fête des célibataires » continue de perdre en vapeur

Inventée en 2009 par le groupe Alibaba, la fête des « célibataires » mobilise chaque 11 novembre (11.11) toutes les plateformes de e-commerce et toutes les marques à travers le pays, offrant des millions de produits à prix cassés durant 24h, dans une ambiance de jeu et de paillettes. Chaque année, ce festival commercial pulvérise ses propres records de ventes et cette année ne devrait pas échapper à la règle : 1 000 milliards de yuans de ventes sont attendus. Cependant, plusieurs courants perturbateurs viennent ralentir la croissance de ce chiffre d’affaires, pronostiquée à « seulement » 5%. En cause, le ralentissement économique et la politique « zéro Covid » confinant à tour de rôle des dizaines de millions de Chinois, se retrouvant incapables de travailler et donc de consommer.

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