Agriculture : La « Récolte Partagée », une AMAP pékinoise modèle

A Shunyi, à une heure de route du centre de Pékin, se trouve la petite ferme de 20 hectares de « Shared Harvest » (la Récolte Partagée, 分享收获). A première vue, rien ne la distingue des autres fermes environnantes, si ce n’est son modèle plutôt innovant en Chine. En effet, elle fonctionne comme une Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne (AMAP, ou CSA en anglais). Shi Yan (石嫣), sa fondatrice, diplômée d’un doctorat en gestion agricole de l’université Renmin, a découvert ce concept lors d’un séjour de six mois dans le Minnesota (USA) en 2008. Ce fut un déclic : plus qu’un modèle d’exploitation agricole, elle découvrait un nouveau mode de vie !

Quatre ans plus tard, à Pékin, Shi Yan débutait ses livraisons hebdomadaires de paniers de fruits et légumes de saison, œufs et viande, à un réseau d’adhérents-consommateurs. A ce jour, ils sont distribués à 1000 foyers aisés de la capitale pour un chiffre d’affaires annuel de 10 millions de yuans. Chaque commande passée sur WeChat ou l’application mobile vient en déduction d’une cotisation payée à l’avance (l’une à 3000 yuans, l’autre à 8000 yuans) par les membres. Un avantage majeur pour les agriculteurs, car cela leur garantit que leur production sera achetée et les met à l’abri des fluctuations des prix ou des désastres naturels. Pour les clients, les prix sont certes trois fois plus chers que dans le commerce classique, mais ils savent qu’ils paient avant tout pour la qualité de produits bios, alors que divers scandales alimentaires ont mis la confiance des consommateurs chinois à rude épreuve. En effet, pas simple de convaincre ces derniers de payer plus cher pour du bio, car ils craignent de se faire avoir : à quoi reconnaît-on un légume bio ? Est-il petit et abimé, ou appétissant et bien emballé ? Voilà pourquoi ces livraisons directes sont tellement importantes : elles créent un lien de confiance et de proximité entre le producteur et ses clients, qui sont d’ailleurs les bienvenus à la ferme lors d’activités éducatives organisées notamment pour les enfants le week-end.  

Les trois fermes de Shi Yan (deux à Shunyi et une à Tongzhou – dans la banlieue de Pékin) se revendiquent biologiques, privilégiant les alternatives naturelles, comme de l’eau savonneuse ou du spray au poivre, aux pesticides et herbicides largement utilisés dans les exploitations chinoises. En guise d’engrais, elles utilisent du compost et du biogaz liquide, produits dans leurs fermes.

Impossible toutefois d’obtenir une certification bio : pour chaque produit, il faudrait débourser 10 000 yuans, et la renouveler tous les ans. « On cultive une quarantaine de légumes, on ne peut donc pas se le permettre. C’est hors de portée pour toutes les AMAP », déplore Shi. Pour compenser, un système participatif de garantie a été mis en place, dans lequel les membres du réseau inspectent les fermes des autres. Cela permet aussi de s’échanger les bonnes pratiques.

« Shared Harvest » est également un lieu de formation pour les jeunes diplômés qui veulent retourner dans les campagnes cultiver la terre de leurs ancêtres. On les appelle les « nouveaux paysans » (新农人). Depuis 2017, ils seraient quelques centaines à être passés par la ferme pékinoise et à avoir lancé leur propre exploitation. Aujourd’hui, il existe plus de 1500 AMAP à travers le pays, un chiffre qui ne cesse d’augmenter chaque année, notamment grâce au dynamisme de Shi Yan et de son équipe. Wang Yang, actuel n°4 du Parti et ancien vice-premier ministre chargé de l’agriculture, lui avait même commandé un rapport à ce sujet. Toutefois, le véritable enjeu n’est pas tellement de faire revenir ces nouveaux paysans dans les campagnes, mais de les y garder : quand ces jeunes deviendront parents à leur tour, les campagnes seront-elles en mesure d’offrir une éducation et des soins de qualité à leurs enfants ? Voilà où réside la clé des champs.

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