Consommation : Le 11.11 se met au diapason politique

Le 11.11 se met au diapason politique

« Trois, deux, un »… Nouveau record de ventes ! Depuis 2009, c’est ainsi que le géant du e-commerce Alibaba et ses concurrents, clôturent invariablement la « fête des célibataires » tous les 11 novembre. Avec les années, le festival de promotions en ligne a pris une telle importance qu’il est devenu l’un des baromètres de la vitalité de l’économie chinoise.

Cette édition échappera-t-elle à la règle ? En effet, depuis l’an dernier, deux « importuns » sont venus jouer les trouble-fêtes : le Covid-19, qui a eu pour effet de ralentir l’économie et de freiner la consommation (quoique le e-commerce en ressorte renforcé), et le gouvernement chinois, qui a décidé de mettre le holà aux excès et abus des géants de l’internet, Alibaba en tête.

Cette édition 2021 du « 11.11 » marque ainsi l’avènement d’une nouvelle formule, plus longue, plus concurrentielle, plus nationaliste, et plus responsable.

Plus longue, car les grandes promotions ont débuté jusqu’à 20 jours plus tôt cette année, au lieu de se dérouler sur une seule journée, mettant la pression sur les vendeurs, les acheteurs et les compagnies de livraison. Déjà expérimenté l’an passé, ce format brouille les comparaisons avec les précédentes éditions qui duraient seulement 24h et a pour effet de gonfler le volume de ventes final : +85% pour Alibaba en 2020 (500 milliards de yuans) et +33% pour JD.com (272 milliards).

Ce délai supplémentaire permet aussi aux influenceurs, comme Li Jiaqi et Viya (qui réalisent à eux deux plusieurs dizaines de milliards de yuans de ventes), de tester plus longuement les produits avant de les vendre, ce qui enrichit l’expérience client.

Plus concurrentielle, car depuis l’an dernier, l’autorité de régulation des marchés (SAMR) a mis son nez dans les pratiques des grandes plateformes de e-commerce. En avril dernier, elle a infligé à Alibaba une amende historique pour avoir – entre autres – forcé les marchands à lui accorder leur exclusivité, et bloqué les liens vers ses concurrents pour favoriser son propre écosystème. Depuis, les géants de l’internet ont été sommés d’ouvrir leur « précarré » pour faciliter la vie des utilisateurs. Tencent a fait le premier pas, en permettant aux utilisateurs de WeChat de payer avec Alipay et de partager des liens Tmall, Taobao, et Douyin sur son application. En retour, Alibaba a intégré Wechat Pay sur certaines de ses applications (Damai, Ele.me YouKu …) et a permis de partager le contenu de son « caddie virtuel » dans des groupes WeChat et sur ses « moments ».

Cette « trêve » a encouragé les challengers Douyin (version chinoise de TikTok) et Kuaishou, applications de courtes vidéos, à s’engouffrer dans la brèche en mettant à profit leurs gigantesques bases d’utilisateurs (600 millions par jour et 300 millions respectivement) pour leur offrir des réductions exclusives en live-streaming à l’occasion du 11.11.

Reflet de cette diversification, plus de la moitié des consommateurs envisagent de faire leurs emplettes sur plus de deux plateformes différentes, selon une récente étude de Bain.

Plus rurale, car le taux de croissance des ventes dans les grandes zones urbaines ralentit. Les poids lourds du e-commerce, tels que Alibaba et JD.com, veulent donc augmenter leur part de marché dans les plus petites villes, marchant sur les plates-bandes de Pinduoduo, leader dans les villes de second, voire de troisième rang.

Plus « made in China », car c’est la tendance de consommation nationaliste (prénommée « guócháo »,国潮) sur laquelle surfent les plateformes et les influenceurs. Les marques chinoises gagnent indéniablement du terrain, développant des produits avant tout destinés au marché chinois, et sachant mieux communiquer auprès du public que leurs rivales étrangères, parfois victimes de boycotts pour des motifs politiques.

Enfin, plus responsable, socialement et écologiquement, car ce sont les grandes priorités du gouvernement. Pékin a été clair : seules les plateformes qui serviront les intérêts du Parti seront autorisées à prospérer. Les géants de la tech ont déjà prouvé leur bonne volonté en promettant de généreuses donations (100 milliards de yuans d’ici 2025 pour Alibaba et Tencent) au nom de la « prospérité commune ». Lors du 11.11, Alibaba offrira 1 yuan à des associations caritatives (enfants abandonnés, personnes âgées vivant seules, travailleurs migrants...) pour chaque message mentionnant ses bonnes œuvres sur les réseaux sociaux. 

Pour aider la Chine a atteindre le pic de ses émissions « avant 2030 », la plateforme Tmall va également distribuer 100 millions de yuans de coupons de réduction aux clients qui achètent des appareils électroménagers moins gourmands en énergie et des produits bios (cf capture d’écran). En sus, Alibaba va mettre en place 60 000 points de recyclage de ses colis à travers 20 villes. Une manière pour son fondateur Jack Maqui a été autorisé à quitter le pays pour aller prendre des vacances en Espagne et s’intéresser aux technologies horticoles aux Pays-Bas – de démontrer qu’il a bien compris la leçon.

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