Le Vent de la Chine Numéro 36 (2021)

du 8 au 14 novembre 2021

Editorial : Bruits et rumeurs hivernales
Bruits et rumeurs hivernales

Ces derniers jours, le moulin à rumeurs a été particulièrement actif, alimenté par un climat général d’incertitude.

Alors qu’une vague de froid s’abat sur le pays, que l’approvisionnement énergétique peine à suffire, que quelques dizaines de cas de Covid-19 ont été détectés dans une vingtaine de provinces, et que les tensions montent dans le détroit de Taïwan, le ministère du Commerce a cru bon de publier le 1er novembre, une notice officielle priant les autorités locales de faire le nécessaire pour s’assurer « du bon approvisionnement des produits alimentaires et de la stabilité des prix ». Cette consigne est habituellement passée quelques semaines avant le Nouvel An chinois afin de s’assurer du bon déroulement des fêtes de fin d’année.

Mais c’est le passage encourageant « les familles à stocker certains produits de première nécessité afin de faire face aux besoins de la vie quotidienne et aux urgences » qui a déclenché une vague de panique un peu partout en Chine. Craignant le pire, les habitants se sont rués dans les supermarchés pour faire des provisions de riz, d’huile, de nouilles et de farine…

Le rétropédalage a été quasi-immédiat, la presse officielle affirmant qu’il s’agissait simplement de rappeler la nécessité de se préparer « en cas de quarantaine dans son quartier » tout en assurant que les stocks alimentaires sont « amplement suffisants ».

Néanmoins, ces derniers mois, des inondations catastrophiques ont ravagé les cultures dans le nord et le centre du pays, provoquant l’inflation de plusieurs produits alimentaires (+16% en octobre sur les prix de gros d’une trentaine de légumes).

Si les habitants ont réagi au quart de tour, c’est que bon nombre d’entre eux ont interprété cette consigne comme une manière de préparer la population à une guerre imminente contre Taïwan. Une théorie alimentée par des rumeurs sur les activités de l’Armée Populaire de Libération (APL) dans différentes provinces et par des déclarations d’experts affirmant que la Chine est capable d’envahir l’île « dès à présent ».

Plus inquiétant : les appels à la réunification par la force avec « l’île rebelle » se sont répandus comme une trainée de poudre sur les réseaux sociaux. C’est le prix à payer pour avoir encouragé un nationalisme « va-t-en-guerre » : il dérape parfois hors contrôle

Même si la possibilité d’un conflit armé dans un futur proche avec Taïwan a été réfutée par la presse officielle, cet emballement est le reflet d’une opinion publique craintive, apparemment convaincue que la possibilité d’une guerre est bien réelle. Le contraste est saisissant avec l’autre rive du détroit : la moitié des Taïwanais ne croient pas en un conflit armé à court terme, selon les derniers sondages. 

De fait, le Président Xi Jinping a bien d’autres choses en tête pour l’instant. Absent du G20 de Rome et de la COP26 à Glasgow (tout comme les leaders russe, brésilien, et turc), le dirigeant est sans doute accaparé par le 6ème Plenum8 au 11 novembre – qui devrait adopter une troisième résolution sur l’histoire du Parti et ses réalisations passées et futures (surtout celles de Xi Jinping).

Le Quotidien du Peuple a déjà préparé le terrain la semaine précédente, en publiant une série thématique prénommée « les choix cruciaux de la nouvelle ère », vantant les réalisations du Président, de l’éradication de la grande pauvreté à la victoire dans la guerre contre le Covid-19.

Cette résolution est l’une des dernières étapes qui séparent le leader d’un troisième mandat à la tête du pays qui lui serait accordé à l’automne 2022, lors du XXème Congrès, durant lequel il pourrait bien ressusciter le statut de Président du Parti. En attendant, au moins huit provinces ont vu débarquer leurs nouveaux secrétaires. Alors que les analystes ne cessent de spéculer sur le degré d’opposition auquel le leader fait face au sein du Parti, ces chaises musicales donneront une indication générale sur son degré d’influence.

Mais, surprise à six jours de l’ouverture du Plenum : l’ancienne championne de tennis Peng Shuai, 35 ans, est venue accuser l’ancien n°7 du Parti et ex-vice-premier ministre Zhang Gaoli (jusqu’en 2018) d’avoir abusé d’elle lorsqu’elle n’avait que 19 ans, avant d’en faire sa maîtresse… jusqu’à une récente dispute.

Évidemment, le message de la vainqueure en double à Roland-Garros en 2014 a fait l’effet d’une bombe et a été vite censuré, tout comme le nom des deux protagonistes. Une telle accusation contre l’ex-dirigeant de 75 ans, allié de l’ancien vice-président Zeng Qinghong, pourrait venir affaiblir certains opposants à Xi Jinping qui entretenaient encore des espoirs de promotion ou qui auraient pu s’opposer aux projets du leader. Alors, cette accusation doit-elle être interprétée comme un épisode MeToo sans précédent, ou comme une nouvelle expression des luttes intestines qui agitent le Parti ? Et pourquoi pas les deux ?


Consommation : Le 11.11 se met au diapason politique
Le 11.11 se met au diapason politique

« Trois, deux, un »… Nouveau record de ventes ! Depuis 2009, c’est ainsi que le géant du e-commerce Alibaba et ses concurrents, clôturent invariablement la « fête des célibataires » tous les 11 novembre. Avec les années, le festival de promotions en ligne a pris une telle importance qu’il est devenu l’un des baromètres de la vitalité de l’économie chinoise.

Cette édition échappera-t-elle à la règle ? En effet, depuis l’an dernier, deux « importuns » sont venus jouer les trouble-fêtes : le Covid-19, qui a eu pour effet de ralentir l’économie et de freiner la consommation (quoique le e-commerce en ressorte renforcé), et le gouvernement chinois, qui a décidé de mettre le holà aux excès et abus des géants de l’internet, Alibaba en tête.

Cette édition 2021 du « 11.11 » marque ainsi l’avènement d’une nouvelle formule, plus longue, plus concurrentielle, plus nationaliste, et plus responsable.

Plus longue, car les grandes promotions ont débuté jusqu’à 20 jours plus tôt cette année, au lieu de se dérouler sur une seule journée, mettant la pression sur les vendeurs, les acheteurs et les compagnies de livraison. Déjà expérimenté l’an passé, ce format brouille les comparaisons avec les précédentes éditions qui duraient seulement 24h et a pour effet de gonfler le volume de ventes final : +85% pour Alibaba en 2020 (500 milliards de yuans) et +33% pour JD.com (272 milliards).

Ce délai supplémentaire permet aussi aux influenceurs, comme Li Jiaqi et Viya (qui réalisent à eux deux plusieurs dizaines de milliards de yuans de ventes), de tester plus longuement les produits avant de les vendre, ce qui enrichit l’expérience client.

Plus concurrentielle, car depuis l’an dernier, l’autorité de régulation des marchés (SAMR) a mis son nez dans les pratiques des grandes plateformes de e-commerce. En avril dernier, elle a infligé à Alibaba une amende historique pour avoir – entre autres – forcé les marchands à lui accorder leur exclusivité, et bloqué les liens vers ses concurrents pour favoriser son propre écosystème. Depuis, les géants de l’internet ont été sommés d’ouvrir leur « précarré » pour faciliter la vie des utilisateurs. Tencent a fait le premier pas, en permettant aux utilisateurs de WeChat de payer avec Alipay et de partager des liens Tmall, Taobao, et Douyin sur son application. En retour, Alibaba a intégré Wechat Pay sur certaines de ses applications (Damai, Ele.me YouKu …) et a permis de partager le contenu de son « caddie virtuel » dans des groupes WeChat et sur ses « moments ».

Cette « trêve » a encouragé les challengers Douyin (version chinoise de TikTok) et Kuaishou, applications de courtes vidéos, à s’engouffrer dans la brèche en mettant à profit leurs gigantesques bases d’utilisateurs (600 millions par jour et 300 millions respectivement) pour leur offrir des réductions exclusives en live-streaming à l’occasion du 11.11.

Reflet de cette diversification, plus de la moitié des consommateurs envisagent de faire leurs emplettes sur plus de deux plateformes différentes, selon une récente étude de Bain.

Plus rurale, car le taux de croissance des ventes dans les grandes zones urbaines ralentit. Les poids lourds du e-commerce, tels que Alibaba et JD.com, veulent donc augmenter leur part de marché dans les plus petites villes, marchant sur les plates-bandes de Pinduoduo, leader dans les villes de second, voire de troisième rang.

Plus « made in China », car c’est la tendance de consommation nationaliste (prénommée « guócháo »,国潮) sur laquelle surfent les plateformes et les influenceurs. Les marques chinoises gagnent indéniablement du terrain, développant des produits avant tout destinés au marché chinois, et sachant mieux communiquer auprès du public que leurs rivales étrangères, parfois victimes de boycotts pour des motifs politiques.

Enfin, plus responsable, socialement et écologiquement, car ce sont les grandes priorités du gouvernement. Pékin a été clair : seules les plateformes qui serviront les intérêts du Parti seront autorisées à prospérer. Les géants de la tech ont déjà prouvé leur bonne volonté en promettant de généreuses donations (100 milliards de yuans d’ici 2025 pour Alibaba et Tencent) au nom de la « prospérité commune ». Lors du 11.11, Alibaba offrira 1 yuan à des associations caritatives (enfants abandonnés, personnes âgées vivant seules, travailleurs migrants...) pour chaque message mentionnant ses bonnes œuvres sur les réseaux sociaux. 

Pour aider la Chine a atteindre le pic de ses émissions « avant 2030 », la plateforme Tmall va également distribuer 100 millions de yuans de coupons de réduction aux clients qui achètent des appareils électroménagers moins gourmands en énergie et des produits bios (cf capture d’écran). En sus, Alibaba va mettre en place 60 000 points de recyclage de ses colis à travers 20 villes. Une manière pour son fondateur Jack Maqui a été autorisé à quitter le pays pour aller prendre des vacances en Espagne et s’intéresser aux technologies horticoles aux Pays-Bas – de démontrer qu’il a bien compris la leçon.


Monde de l'entreprise : Lorsque Elon Musk cite un poème classique
Lorsque Elon Musk cite un poème classique

On ne connaissait pas à Elon Musk, le PDG de Tesla et l’homme le plus riche au monde selon Forbes, un penchant pour la poésie de la Chine ancienne.

Dans un tweet intitulé « Humankind » daté du 2 novembre, l’excentrique milliardaire américain a partagé un poème allégorique prénommé « Quatrain des sept pas » 《七步诗》attribué à Cao Zhi (曹植), célèbre poète de l’époque des Trois Royaumes (192 – 232) et fils d’un seigneur de guerre.

Zijian (子建), de son prénom de lettré, a été écarté du pouvoir par son frère ainé Cao Pi, qui le soupçonnait de vouloir usurper le trône et exigea de lui d’écrire ce poème pour prouver son innocence. Ce quatrain est aujourd’hui enseigné dans toutes les écoles primaires du pays pour souligner la nécessité de bien s’entendre avec ses pairs.

Traduction :

Des tiges furent mises sur le feu pour faire cuire des haricots, du fond de la marmite s’élevèrent des pleurs : « Nous naquîmes de la même racine et de la même branche,
pourquoi tant d’acharnement à vouloir nous faire bouillir ? »

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Comment interpréter le tweet de Musk ? C’est la question qui a alimenté toutes les discussions sur Weibo, avec un hashtag vu plus de 100 millions de fois.

-Évoquait-il la querelle entre les cryptomonnaies Dogecoin et Shiba Inu, ou encore la rivalité existante entre son programme spatial SpaceX et Blue Origin, fondé par Jeff Bezos ? 

-Faisait-il une allusion aux relations entre la Chine continentale et Taïwan ? Sachant que ce même poème avait déjà été employé par le Président Jiang Zemin en 2000, lorsqu’il discutait de la réunification avec l’île rebelle…

-Etait-ce une façon de se faire bien voir par les autorités et le public, alors que Tesla a récemment connu un coup de frein dans l’Empire du Milieu pour cause de défaillances techniques ?

En général, lorsque des personnalités publiques ont recours à des poèmes classiques en Chine, c’est plutôt pour exprimer indirectement leurs doléances, pour éviter de se retrouver dans le collimateur des autorités. 

Il y a six mois, Wang Xin, le fondateur du géant de la livraison de repas Meituan, s’était illustré en citant un poème qui critiquait l’autodafé ordonné par l’empereur Qin Shi Huang afin de consolider son pouvoir. Dans un contexte de reprise en main des entreprises de la tech, cette publication avait été interprétée comme une critique de la politique du gouvernement. L’homme d’affaires s’en est ensuite défendu en expliquant qu’il faisait référence à la concurrence. Ce post malheureux avait tout de même coûté plusieurs milliards de $ de capitalisation boursière à Meituan…

-Dernière hypothèse, la préférée de Weibo : Elon Musk faisait référence à sa prise de bec avec le directeur du Progamme Alimentaire Mondial, qui a appelé le milliardaire à faire davantage preuve de générosité. Si la plupart des internautes ont défendu le patron américain et son droit de disposer librement de son argent, d’autres n’ont pas manqué de souligner la différence de traitement entre les patrons de la tech chinoise (Jack Ma, Pony Ma, Lei Jun…) qui ont réalisé de généreuses donations au nom de la « prospérité commune », mais qui restent pourtant considérés comme des « capitalistes, ennemis du peuple ». Un « deux poids, deux mesures » en faveur de l’étranger assez rare ces derniers temps pour être souligné.


Société : Le rideau tombe sur Li Yundi, « prince du Piano »
Le rideau tombe sur Li Yundi, « prince du Piano »

Hier encore surnommé « le prince du Piano » (钢琴公子), Li Yundi (李云迪) a été arrêté par la police de Pékin pour avoir fréquenté une prostituée (嫖娼 ; piáochāng).

Si le Bureau municipal de la Sécurité publique a dévoilé à demi-mot l’identité du prévenu le 21 octobre, le Quotidien du Peuple n’a pas tardé à confirmer qu’il s’agissait bien du virtuose du clavier. « Le piano a des touches noires et blanches, qui ne peuvent être teintées de jaune [couleur à la symbolique pornographique]. (…) Seules les personnalités moralement intègres et qui respectent la loi, ont un avenir » a taclé le journal officiel du Parti.

La nouvelle a fait l’effet d’un raz-de-marée sur la toile chinoise, le hashtag en lien avec son arrestation ayant été vu plus de 3,6 milliards de fois sur Weibo. C’est en devenant le plus jeune lauréat du prestigieux concours Chopin à l’âge de 18 ans, que le pianiste de Chongqing voit sa carrière propulsée à l’international, se produisant au Carnegie Hall (New York) ainsi qu’avec l’orchestre philharmonique de Berlin et de Vienne. Fierté de son pays d’origine, Li Yundi a été invité cinq fois à se produire lors du gala du Nouvel An lunaire de la CCTV, qui a la réputation de sélectionner uniquement les artistes « politiquement corrects » au « comportement exemplaire ». 

Les circonstances de l’arrestation du musicien de 39 ans restent floues. Officiellement, des membres des comités de quartier du district de Chaoyang reconnaissables à leurs brassards rouges – auraient anonymement dénoncé Li Yundi et sa péripatéticienne de 29 ans à la police…

Ces volontaires n’en sont pas à leur 1er coup d’essai : en 2014, leurs informations avaient apparemment conduit à l’interpellation d’une quinzaine de célébrités (chanteurs, écrivains, acteurs, réalisateurs… cf photo) pour diverses offenses (drogue, prostitution, jeux d’argent…). Un tableau de chasse qui leur a valu auprès du public, le surnom de « 5ème plus grande agence de renseignement au monde » (第五大情报组织), après la CIA, le MI6, le KGB et le Mossad…

Certains internautes ont toutefois du mal à croire en cette version des faits, cette accusation étant régulièrement utilisée en politique pour écarter des opposants… Le pianiste aurait-il été piégé ? Aurait-il fait les frais de la chute de quelqu’un d’influent ? Le recours à du sexe tarifié cacherait-il un crime plus grave ?

La rumeur voudrait que la police ait d’abord arrêté la « call-girl », puis aurait trouvé le contact de Li Yundi dans son téléphone, parmi ceux d’autres clients… Il se murmure que le pianiste aurait déjà été arrêté une fois en début d’année pour la même infraction, mais que l’affaire n’avait pas été rendue publique.

Cette fois-ci, les forces de l’ordre auraient donc délibérément révélé l’identité de Li Yundi afin de faire de lui un exemple, dans un contexte de reprise en main généralisée du monde du divertissement. Depuis cet été, une demi-douzaine de célébrités « immorales » sont tombées en disgrâce pour des motifs différents (viols, évasion fiscale…) ou encore non divulgués. C’est le cas du chanteur Kris Wu, de l’acteur Zhang Zhenan, de la comédienne Zheng Shuang, de l’actrice et femme d’affaires Zhao Wei, et du compositeur Gao Xiaosong

Li Yundi devrait connaître le même sort. Le prodige du piano s’est déjà vu retirer ses titres honorifiques et son statut de membre au sein des associations artistiques officielles. Ses comptes sur les réseaux sociaux ont été suspendus, son visage dans le dernier épisode d’une émission de télé-réalité a été flouté, et ses posters accrochés aux murs des écoles de musique ont été mis à la poubelle… C’est la fameuse « culture de l’effacement » (ou « cancel culture » en anglais, 取消文化 ; qǔxiāo wénhuà) si caractéristique de l’internet chinois.

Même s’il n’encourt que 5000 yuans d’amende et 15 jours de détention, le virtuose de 39 ans pourrait bien voir sa carrière brisée – du moins en Chine. Quelques musiciens et commentateurs ont tout de même osé prendre la défense de l’artiste, arguant que même s’il mérite d’être sanctionné, la vindicte publique dont il a été victime n’est pas justifiée. « La société chinoise devrait faire preuve d’un peu plus de tolérance, surtout pour un talent de son calibre », écrit l’un d’entre eux.

Talent ou pas, il parait improbable que ce paramètre entre en ligne de compte pour les autorités, qui paraissent déterminées à poursuivre leur campagne de « rectification » du secteur dans les mois à venir. Dans un tel contexte, il est encore plus crucial pour les marques (étrangères notamment) de bien choisir leurs ambassadeurs et ainsi éviter tout faux pas…


Chiffres de la semaine : « 2 experts, 14 pays chaque année, 400 habitants au km2, 40% de fermetures…»
« 2 experts, 14 pays chaque année, 400 habitants au km2, 40% de fermetures…»

2 experts français font partie des 8 lauréats étrangers (chimiste, agronome, géologue, astronome…) récompensés par le Prix national de la Coopération internationale en science et technologie.

Il s’agit de Jacques-Philippe CAEN (94 ans), éminent médecin hématologue et ancien président du conseil scientifique de la Fondation France-Chine pour la science et ses applications depuis 2002. Docteur honoris causa des universités de Suzhou, de Shanghai, de Fuzhou, de Tianjin et de Nankin, il est aussi membre de l’Académie chinoise des sciences des ingénieurs depuis 2001.

Le second lauréat est : Alain BECOULET, physicien et ancien directeur de recherches au CEA et chef de l’institut de recherche sur la fusion magnétique (IRFM), nommé directeur du domaine Ingénierie d’ITER en 2020. Sa première visite à l’institut des sciences physiques de Hefei (Anhui – HFIPS), entité liée à l’Académie chinoise des Sciences (CAS), remonte aux années 90. Depuis, il s’est rendu dans le pays plus d’une trentaine de fois et a fortement contribué à la collaboration franco-chinoise en ce domaine.

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14 pays : c’est le nombre de pays que le Président Xi Jinping visitait chaque année avant la pandémie, passant en moyenne 34 jours à l’étranger par an, soit davantage que les deux derniers Présidents américains (Trump et Obama). Depuis son voyage en Birmanie il y a 21 mois, le leader chinois n’a plus mis les pieds hors frontières. Pour compenser, Xi Jinping passe beaucoup plus de temps au téléphone et en visioconférence.

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400 habitants au km2 : c’est le nombre de volontaires issus des comités de quartier dans le district de Chaoyang à Pékin. Au total, ils seraient environ 190 000 (soit 5% de la population) et fourniraient près de 20 000 renseignements à la police chaque mois, des vols de scooter aux dénonciations de célébrités

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40% des 128 000 entreprises de soutien scolaire que recensait le pays, ont fermé depuis le début de la mise au pas du secteur par le gouvernement cet été. Ce pourcentage s’élèverait à 50% pour les 263 firmes de tutorat en ligne, également victimes de la campagne des « deux réductions » ( de la pression à l’école et de la charge de travail à la maison, 双减政策) ). Plus de 3 millions d’employés sont affectés par cette restructuration du secteur : les plus chanceux sont réaffectés, les autres licenciés…


Photo de la semaine : Ayayi, première employée virtuelle d’Alibaba
Ayayi, première employée virtuelle d’Alibaba

Son visage ne vous dit probablement rien, et pourtant ! AYAYI est la première employée virtuelle du géant du e-commerce Alibaba. « Vous pensiez peut-être que les métahumains n’ont pas besoin de travailler ? », a-t-elle lancé lors de sa naissance en mai 2021.

Cette jolie jeune femme qui n’existe que dans le monde virtuel, est déjà l’égérie de marques comme Guerlain et Bose (cf photo). AYAYI « organise et anime » également la première exposition « artistique » dans le métaverse (元宇宙 ; yuán yǔ zhòu) d’Alibaba, à l’occasion de la « fête des célibataires » le 11.11.

Une quinzaine de marques sont exposées, telles que Burberry, les voitures électriques Xiaopeng, les PC Alienware et le baijiu Wuliangye. Elles offriront à certains de leurs clients des crypto-GIFs à collectionner, ou plutôt des « NFT » – nouveau symbole de richesse virtuelle parmi les jeunes consommateurs chinois.

Avoir recours à des ambassadeurs virtuels tels que AYAYI présente plusieurs avantages pour les marques. Ces avatars digitaux (数字人 ; shùzì rén) ne dorment jamais : ils sont donc disponibles 24h/24, 7 jours sur 7, pour interagir avec les clients.

Surtout, ces idoles virtuelles ne fraudent pas le fisc, ne font pas de déclarations hasardeuses sur le Japon ou Hong Kong, ne se droguent pas et n’abusent pas sexuellement de leurs fans ou de leurs employés… À l’inverse des stars réelles, leur comportement est « exemplaire » et c’est ce qui rassure les marques.

Encore faut-il arriver à les modeler à leur image, à leur construire une personnalité qui résonne avec le public, à choisir les bons produits… Un faux pas est vite arrivé, mais il est tout aussi risqué de décevoir les attentes de la génération Z !


Vocabulaire de la semaine : « Piano, tennis, Tesla, métaverse… »
« Piano, tennis, Tesla, métaverse… »
  1. produit de première nécessité : 生活必需品; shēnghuó bìxū pǐn
  2. tennis : 网球 ; wǎngqiú
  3. piano : 钢琴 ; gāngqín
  4. prince (ou fils de) : 公子; gōngzǐ
  5. « culture de l’effacement » (ou « cancel culture » en anglais) : 取消文化 ; qǔxiāo wénhuà
  6. solliciter les services d’une prostituée : 嫖娼 ; piáochāng
  7. Tesla : 特斯拉; tèsīlā
  8. voiture électrique :电动车; diàndòng chē
  9. (un) poème : (一首)诗; yī shǒu shī
  10. metaverse : 元宇宙 ; yuán yǔ zhòu
  11. avatar digital : 数字人 ; shùzì rén
  12. « le ciel s’effondrait sur leurs têtes », un désastre, une calamité : 大祸临头 ; dà huò líntóu

Podcast : 25ème épisode des «Chroniques d’Eric» – «Lihua – ou les mots neufs du COVID chinois»
25ème épisode des «Chroniques d’Eric» – «Lihua – ou les mots neufs du COVID chinois»

Venez écouter le 25ème épisode des « Chroniques d’Eric », journaliste en Chine de 1987 à 2019 et fondateur du Vent de la Chine.

La Chine devient une « terra incognita », un monde mystérieux coupé du reste de la planète par un régime qui a trouvé dans ces deux ans de Covid-19, l’occasion inespérée de supprimer le contrepoids naturel que l’étranger offrait à sa propagande. Faute des 150 millions de touristes chinois qui se déversaient chaque année sur les cinq continents et sont aujourd’hui coincés sur leur territoire national, le Parti n’a plus la moindre contradiction. Que va donner cette situation inédite auprès de sa population ? C’est ce que Lihua, chinoise de France, va découvrir en retournant au pays de son enfance

Cela dit, la jeunesse chinoise réagit d’une manière inattendue de tous, à commencer par Pékin-même : en « se couchant« , refusant l’offre favorisée par le système de « travailler plus pour gagner plus« . Cette génération nouvelle est en train de s’inventer de nouveaux mots, pour décrire sa situation et poursuivre son aspiration vers la liberté. Mais attention, dans cette quête libératoire, pas que le pouvoir, mais tout le monde en prend pour son grade, y compris nous-mêmes…

Suivez dès à présent les « Chroniques d’Eric » via le flux RSS ou sur Apple Podcast !
 
 


Petit Peuple : Pingtai (Fujian) – Le drame de désespoir de Ou Jinzhong (1ère partie)
Pingtai (Fujian) – Le drame de désespoir de Ou Jinzhong (1ère partie)

À Pinghai, presqu’île du Fujian, au début octobre 2021, dans sa bicoque de tôle ondulée qu’il partage avec sa famille, Ou Jinzhong, 55 ans, a vécu toute sa vie dans le besoin. Loin d’être naturelle, cette quasi-misère est d’origine politique, ou idéologique, comme on voudra…

30 ans plus tôt, son père pêcheur a osé émigrer clandestinement vers Taïwan, à bord de sa barque de pêche, à 140km de haute mer exactement en face de Pingtai. Aidé par les courants, sa parfaite connaissance du détroit et aussi il faut bien le dire, par la chance, il a su éviter grillages et herses protégeant le rivage de l’île nationaliste, pour débarquer au port de Tongxiao. Après quelques mois d’interrogatoires du contre-espionnage taiwanais, il a reçu son permis de résidence et s’est établi, refaisant sa vie. Dans ce projet d’évasion, il espérait venir rechercher ultérieurement sa famille – mais l’occasion ne s’est jamais présentée…

Pour les siens par contre, les conséquences ont été dramatiques. Classée « anti-parti », la famille s’est retrouvée au ban de la société. Privé d’école, un Jinzhong encore adolescent a dû, du jour au lendemain, travailler dur pour nourrir sa mère, sa jeune femme et bientôt Benben, son fils.

Tous les matins avant l’aube, il se rend au port où il achète le poisson à quai. Mais connaissant son statut de pestiféré, les pêcheurs n’osent lui céder que le poisson invendable ailleurs, abîmé ou défraîchi… Jinzhong est interdit d’accès à la criée, où se négocient les meilleurs prix. Comme clients, il doit se contenter des gargotes qui lui reprennent ses cageots pour quelques piécettes.

La famille vit en marge, en bordure de plage sur une maigre étendue herbeuse. Jinzhong n’a qu’un bien d’un peu de valeur, hérité du père : un « mou » de terre où se dressaient dans les années 2000 ses 20m² de maison familiale, où tous s’entassaient et se bousculaient.

À force de privations, Ou Jinzhong avait quand même mis de côté de quoi rebâtir. En 2017, il a déposé le plan, parlementé dur avec une mairie peu favorable, réglé toutes les taxes et droits qu’on a trouvé à lui opposer. Après de longs mois de palabres, il a fini par obtenir le permis.

Aidé par Benben, il a monté en deux jours une bicoque provisoire en tôle ondulée de récupération, puis à la masse, a démoli la maison, évacuant à la brouette les moellons vers une décharge à ciel ouvert, à 300m de là. C’était en novembre 2017. Une fois l’espace libéré, à la pelle et à la pioche, il a creusé ses fondations, installé son ferraillage, coulé son béton.

C’est quand il a voulu monter les murs que les choses ont commencé à se gâter. Arrivé avec Benben à l’embranchement du sentier menant chez lui, pédalant pour faire avancer son antique triporteur lourdement chargé de briques, il a trouvé deux agents qui l’attendaient, l’air mauvais. Ils lui ont demandé le permis de construire. Une fois ce document entre leurs mains, sortant de sa poche un gros marqueur noir, le chef du groupe l’a rayé de deux traits en croix, tout en annonçant à Ou Jinzhong trop stupéfait pour protester, qu’il était annulé.

« Mais c’est impossible… balbutia le malheureux mareyeur, « je suis ici chez moi… et puis, avec ma femme, ma vieille-mère, où allons-nous vivre ? »

Les sbires gardaient le silence. Juste le plus petit d’entre eux, homme râblé et à moustache leur désigna du doigt leur cahute : « ben, vous n’êtes pas à l’air libre, non » ?

Mais pourquoi vous faites çà ?  demanda encore Ou, faiblement – déjà vaincu.

« Ça, demandez à votre voisin. Il a porté plainte, et la demande a été jugée recevable », fut la sèche réponse assénée, suite à quoi les hommes en uniforme repassèrent sans saluer à bord de leur Honda bleu et blanc, et disparurent en un nuage de poussière.

Cette nuit-là dans la chaumière, le moral était bas : « le ciel s’effondrait sur leurs têtes » (大祸临头 , Dà huò líntóu). Benben, le plus scandalisé, proposa d’ignorer l’interdiction. Ou Jinzhong acquiesça – il n’avait rien à perdre. Le lendemain à 5h, au lieu de se rendre à la jetée pour acheter son poisson, il retourna au triporteur à 300m de là, accompagné par son fils qui séchait l’école. Mais sur place, bloquant le sentier l’attendait Chen Wuxin, le voisin que depuis l’enfance, il avait appris à éviter.

Pas seul, Chen était accompagné de son fils, un malabar de 36 ans et de deux autres types à mines patibulaires : « halte », s’écria-t-il, « on ne va pas plus loin ».

Ou Jinzhong tenta de parlementer. Mais Chen l’interrompit : « t’as pas compris le message ? Ton chantier est interdit, fini ! Et puis t’es chez moi ici. Un pas de plus, et je verse tes briques et casse ton vélo ».

Les dents serrées de rage, Ou Jinzhong n’avait plus qu’à repartir. Le chemin était sur le terrain de Chen, qui imposait son droit de passage. Pour les humains, c’était oui, pour les briques, non.

Un peu plus loin, le mareyeur dit à son fils : « une nuit chaque semaine, Chen reçoit sur la plage un chargement transbordé d’un chalutier taiwanais. C’est de la contrebande – électronique, vêtements, voire de la drogue, peut-être… La police ferme les yeux, car elle touche sa part du trafic. C’est pour ça qu’elle valide sa prétention d’être propriétaire du chemin. Ce qu’il veut, c’est nous désespérer et qu’on disparaisse, pour que son trafic ne soit pas dénoncé. Et puis il aurait tort de se gêner : comme nous sommes au ban de la société, personne ne voudra nous défendre ! »

Comment le malheureux Ou Jinzhong allait-il se tirer de cette dangereuse affaire ? On le saura… au prochain numéro !


Rendez-vous : Semaines du 8 novembre au 5 décembre
Semaines du 8 novembre au 5 décembre

5-10 novembre, Shanghai : CIIE, CHINA INTERNATIONAL IMPORT EXPO, 4ème édition de la foire aux importations de Shanghai.

8 novembre, Bruxelles : Conférence par Eric MEYER, et dédicace de son dernier ouvrage, la BD “Robinson à Pékin ».

9-11 novembre, Shanghai : PROWINE CHINA, Salon international du vin et des spiritueux en Chine.

17-19 novembre, Canton : PHARMCHINA 2021, Salon international de l’industrie pharmaceutique.

17-21 novembre, Shenzhen : CHINA HI-TECH FAIR, Salon international des ordinateurs et des télécommunications, des applications et services logiciels, de l’électronique grand public, et pour l’automobile.

18-20 novembre, Canton : POWER EXPO 2021, Salon international des équipements et technologies de l’énergie en Asie-Pacifique.

23-25 novembre, Shanghai : BOILER SHANGHAI 2021, Salon international des technologies de chauffage.

24-26 novembre, Shanghai: ITB CHINA, Salon de voyage interentreprise spécial   EN LIGNE

30 novembre-2 décembre, Shanghai: EP SHANGHAI 2021, Salon international pour la production et la distribution d’énergie

30 novembre-2 décembre, Shanghai: EPA (ELECTRIC AUTOMATION) 2021, Salon international des équipements et techniques d’automation des réseaux de distribution électrique d’énergie

1-5 décembre, Shanghai: CIIF, Foire industrielle internationale de Shanghai

4-6 décembre, Canton: GUANGZHOU INTERNATIONAL TRAVEL FAIR 2021, Salon international du voyage