Environnement : Inondations de Zhengzhou (Henan), l’heure des comptes

Inondations de Zhengzhou (Henan), l’heure des comptes

C’est un véritable déluge qui s’est abattu fin juillet dans les environs de Zhengzhou, capitale du Henan, province agricole située au centre-est du pays. Malgré la demi-douzaine d’alertes émises par les services météorologiques les heures précédant la catastrophe, les autorités n’ont pas pris à temps les dispositions qui s’imposaient. Habitués à essuyer des inondations plus ou moins importantes durant l’été, les 12 millions d’habitants ne se sont pas méfiés outre mesure.

Alors que la ville était victime de pluies torrentielles depuis trois jours (617mm, l’équivalent d’un an de précipitations), des centaines de résidents se sont retrouvés coincés dans des rames de métro le 20 juillet, avec de l’eau jusqu’au cou. Quatorze y ont laissé la vie. Dans les campagnes environnantes, de nombreuses digues ont cédé sous la violence des pluies, submergeant des villages entiers. Bilan des intempéries : plus de 300 morts et 14 millions d’habitants affectés, sur les 99 millions que recense le Henan. Comparé aux 4000 décès liés aux crues exceptionnelles de 1998, force est de constater que la réponse s’est sensiblement améliorée. Mais les dégâts matériels, estimés à 114 milliards de yuans, restent immenses, sans parler des 580 000 hectares de champs ravagés par les flots.

En un élan de solidarité, les géants de la tech (Alibaba, Tencent, Bytedance, Xiaomi…), victimes d’un sévère tour de vis de Pékin, ont tenté de se racheter une conduite en offrant technologies (GPS, carte interactive répertoriant les zones inondées et relayant les appels au secours…) et en réalisant de généreuses donations.

Pour leur part, les médias d’État ont « inondé » l’internet de formules d’encouragement (« Henan, soyez fort », « tenez bon »…) et de vidéos larmoyantes de certains actes d’entraides héroïques, de manière à détourner l’attention des vrais problèmes et à focaliser le discours sur des sentiments positifs. Une tactique déjà employée lors du début de l’épidémie à Wuhan en 2020.

Cela n’a pas suffi à apaiser la colère du public qui réclame des explications : pourquoi les alertes météos ont-elles été ignorées ? Pourquoi les évacuations, du métro notamment, n’ont-elles pas été ordonnées plus tôt ? Pourquoi les autorités n’ont-elles pas divulgué qu’un réservoir environnant avait relâché de l’eau ? Pourquoi le système de « ville-éponge » (海绵城市), consistant à augmenter les capacités d’absorption, de drainage, d’écoulement et de stockage des eaux de pluie, dans lequel Zhengzhou aurait investi 53 milliards de yuans (8,26 milliards de $) depuis 2016, n’a-t-il pas permis de limiter les dégâts ?

Face à ce torrent de critiques, les cadres locaux ont tenté de minimiser leurs responsabilités en qualifiant ces précipitations de « sans équivalent depuis 5000 ans » (plus exactement depuis 1951, date du début des relevés). Les experts ont également expliqué que le système de « ville-éponge » n’est pas conçu pour absorber des pluies diluviennes. Mais pas un mot pour justifier la lente réaction des autorités… Cette paralysie est d’origine systémique : les cadres craignent de prendre des initiatives de peur d’être sanctionnés, préférant attendre une décision venue d’en haut. Une passivité qui peut se révéler extrêmement dangereuse en cas d’urgence, épidémie comme catastrophe naturelle…

Ce qui est sûr, c’est qu’il faudra faire mieux pour convaincre une opinion sceptique, qui s’interroge sur l’ampleur réelle de la catastrophe en voyant le bilan initial tripler dix jours plus tard, soupçonnant une tentative de dissimulation des autorités locales. Dos au mur, le Conseil d’État a annoncé le 2 août l’ouverture d’une enquête. Mais il a fallu attendre un long mois après le désastre, juste après la fin du conclave de Beidaihe, pour que le Premier ministre Li Keqiang qui connait bien le Henan puisqu’il y a été posté de 1998 à 2004 lors du scandale du sang contaminé et de trois incendies ravageurs – fasse le déplacement (cf photo), chaperonné par le secrétaire du Parti provincial Lou Yangsheng (un fidèle de Xi Jinping) et le nouveau gouverneur Wang Kai. « Ce désastre a eu un impact considérable sur la société (…) nous devons réaliser un examen approfondi (…) quiconque aura failli à ses obligations sera tenu pour responsable », a averti le 1er Ministre. Aucun doute, des têtes vont tomber…

Alors que les inondations sont devenues récurrentes dans le pays durant l’été, le calvaire des passagers du métro de Zhengzhou a profondément choqué l’opinion et déclenché un vif débat sur la manière de prévenir ces catastrophes. De mémoire, le public ne s’était plus autant intéressé au problème depuis 2012. Cet été-là, des pluies torrentielles avaient causé la mort de 77 personnes à Pékin.

Pour autant, le gouvernement a du mal à admettre un lien entre le réchauffement climatique et la fréquence croissante de ces désastres, craignant de voir certaines de ses politiques remises en cause. C’est ainsi que dans la presse officielle, le dérèglement de la planète est souvent présenté comme un problème que la Chine peut contribuer à résoudre, et qui affecte d’autres parties du monde, mais qui n’a pas d’incidence directe sur la vie des citoyens chinois. Le terme est d’ailleurs absent des rapports officiels pour « éviter de susciter des inquiétudes inutiles ». Lors des inondations de l’été 2020, tout lien entre les deux phénomènes avait été ouvertement réfuté. Cette position, à la limite du « climatoscepticisme », tranche avec les ambitions internationales du Président Xi, de faire de la Chine un leader dans la lutte contre le réchauffement global.

Pourtant, deux études récentes viennent de sonner l’alarme : la première, réalisée par Greenpeace, date de mi-juillet et avertit que le réchauffement climatique risque d’aggraver la fréquence et l’intensité des inondations comme des vagues de chaleur en Chine, particulièrement dans les grandes villes. Un second rapport gouvernemental publié mi-août affirme que les températures en Chine ont augmenté plus vite durant les dernières décennies que la moyenne mondiale. À l’avenir, les grandes régions de Pékin, Shanghai et Canton risquent de connaitre des étés plus longs (un mois de plus) et plus chauds.

Face à ces prédictions, le public et les cadres seraient, sans aucun doute, mieux en mesure de se préparer aux intempéries qui les attendent si l’urgence climatique était officiellement admise par le gouvernement central, et si un débat public sur le sujet était autorisé. Pékin y gagnerait un soutien accru à son agenda vert.

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