Immobilier : Un dilemme financier nommé « Evergrande »

Un dilemme financier nommé « Evergrande »

Faut-il sauver le soldat « Evergrande » de la faillite ? C’est la question à laquelle l’État pourrait bien avoir à répondre dans un futur proche.

Fondé en 1996 à Canton par Xu Jiayin (Hui Ka Yan en cantonais), le deuxième promoteur immobilier du pays a su tirer profit de l’urbanisation galopante en déployant ses projets dans près de 280 villes. En 2017, son PDG devenait l’homme le plus riche de Chine avec une fortune évaluée à 43 milliards de $.

Fort de son succès immobilier, Evergrande, mieux connu sous le nom de Hengda (恒大), s’est lancé il y a un peu plus de cinq ans dans une diversification tous azimuts : parcs de loisirs, eau minérale, télécoms, assurances et voiture électrique….

Le conglomérat s’est également offert l’un des clubs de foot de Canton, le « Guangzhou FC », et les services du champion du monde italien Fabio Cannavaro pour mener l’équipe vers la victoire.

Pour financer cette expansion, le groupe a emprunté sans compter… Aujourd’hui, Evergrande est le promoteur le plus endetté au monde, avec un passif totalisant les 1950 milliards de yuans (250 milliards d’euros).

Si les soucis financiers d’Evergrande ne sont un secret pour personne, les choses ont commencé à sérieusement se gâter en 2020.

Parti en croisade contre les risques financiers et la spéculation immobilière, Pékin a interdit aux promoteurs immobiliers de vendre des appartements avant d’en avoir achevé la construction, privant ainsi Evergrande d’une manne financière qui lui avait jusqu’à présent permis de maintenir la tête hors de l’eau.

Surtout, le gouvernement a fixé aux groupes immobiliers « trois lignes rouges » à ne pas dépasser, limitant leurs ratios d’endettement par rapport à leur trésorerie, à leurs actifs, et à leurs capitaux propres. Se situant bien en dessus du seuil dans les trois catégories, Evergrande a vu le robinet du crédit se fermer. Comme pour espérer faire patienter Pékin, le groupe cantonais a annoncé pouvoir réussir à réduire son endettement au niveau requis par l’État d’ici 2023.

En attendant, Evergrande va devoir rembourser 93 milliards de yuans (12 milliards d’euros) de prêts arrivant à maturation d’ici 2022, selon les calculs de Yongyi Trust Research. Or, les liquidités viennent à manquer…

Inquiètes de ses capacités de remboursement, les principales agences de notation ont à nouveau dégradé sa note financière début septembre, faisant brièvement plonger le cours de son action à HK en dessous de son prix initial en 2009.

Faute d’argent frais, ses chantiers sont à l’arrêt. Depuis le début de l’année, Evergrande a fait l’objet d’au moins 427 plaintes pour impayés de la part de ses sous-traitants et fournisseurs, toutes centralisées – à la demande du gouvernement – devant un tribunal de Canton.

Les clients eux aussi s’impatientent. Sur Weibo, les doléances s’accumulent. Ils seraient plus de 1,5 million d’acheteurs à attendre la livraison de leur logement, pour une valeur totale de 1200 milliards de yuans (158 milliards d’euros).

Pour renflouer sa trésorerie, Evergrande brade ses logements et a commencé à se séparer d’une partie de ses actifs non stratégiques (son fournisseur internet Hengteng, sa banque Shengjing, sa filiale agroalimentaire Bingquan, son siège hongkongais…). Sa filiale automobile, qui n’a pour l’instant vendu aucune voiture, intéresserait le fabricant de smartphones Xiaomi, qui vient de se lancer dans les véhicules électriques, tandis que sa société de gestion immobilière fait l’objet de négociation avec ses concurrents Country Garden et Vanke, respectivement n°1 et n°3 du marché.

Le 1er septembre, le groupe a reconnu qu’il risquait de faire défaut s’il ne parvient pas à lever assez de fonds ou à céder suffisamment d’actifs – une première. 

Deux trusts ont déjà exigé un remboursement immédiat de la part du promoteur, tandis que les différentes places financières du pays n’acceptent plus les obligations « Hengda » en guise de garantie.

En un rare désaveu public, les dirigeants d’Evergrande ont été convoqués mi-août à Pékin par la Banque Centrale et la tutelle de l’assurance et de la banque (CBIRC). Celles-ci ont exhorté la compagnie à résoudre « activement » ses problèmes de trésorerie. Elles ont également enjoint le groupe à divulguer « des informations fiables », ce qui laisse entendre que cela n’a peut-être pas toujours été le cas…

Six semaines plus tôt, le milliardaire de 62 ans (cf photo) faisait encore partie des invités triés sur le volet pour assister aux festivités données Place Tian An Men à l’occasion du 100ème anniversaire du Parti.

Surnommé le « Donald Trump chinois » pour avoir bâti son empire immobilier sur une montagne de dettes, le côté flamboyant en moins, Xu Jiayin a toujours fait preuve d’une fidélité exemplaire au PCC. Xu aurait un jour déclaré que « tout ce que Evergrande possède, a été donné par le Parti ». Membre de l’assemblée consultative populaire (CCPPC), Xu est également connu pour sa philanthropie, bien avant que Xi Jinping ne remette la « prospérité commune » au goût du jour.

Cette loyauté suffira-t-elle à convaincre Pékin de renflouer le groupe, comme il l’a récemment fait pour l’organisme de défaisance Huarong ?

À la différence de Huarong qui appartient à l’État et représente un composant clé du système financier chinois, Evergrande n’est ni l’un ni l’autre…

Une restructuration des activités orchestrée par le gouvernement provincial, à la manière du conglomérat privé HNA (qui disposait pourtant de solides appuis en haut lieu), est plus probable. À moins que Pékin ne fasse un exemple d’Evergrande en laissant le navire sombrer…

La banqueroute du groupe risquerait pourtant de provoquer une réaction en chaîne dans tout le système bancaire et pourrait causer une chute dramatique des prix de l’immobilier. Sans parler des 200 000 employés et 3,8 millions d’intérimaires qui se retrouveraient au chômage. Autant de menaces pour la stabilité économique et sociale du pays. 

Face à un tel dilemme, il est possible que Pékin fasse traîner en longueur le calvaire d’Evergrande avant d’agir, ce qui présenterait l’avantage d’infliger une belle leçon au groupe. Pour l’instant, les régulateurs n’ont pas cillé.

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