Culture : Une cité du cinéma à l’avenir incertain

Une cité du cinéma à l’avenir incertain

Dans le nouveau district de Huangdao, à 1h de route du centre de Qingdao (Shandong), se trouve une ville sortie de terre après seulement 1679 jours de travaux. Elle est d’abord née dans les rêves du tycoon Wang Jianlin, patron du groupe immobilier Wanda. Le roi des salles obscures, avec plus de 500 cinémas à travers le pays, initia un rapprochement avec Hollywood dès 2013, racheta la chaîne américaine de cinémas AMC en 2012 et les studios californiens Legendary Pictures début 2016. Surtout, il installa ses propres studios « Wanda Oriental Movie Metropolis » (万达青岛东方影都) dans la capitale économique du Shandong. Située sur les rives de la mer Jaune, à équidistance de Pékin et Shanghai, Qingdao est mieux connue pour ses longues plages et sa bière, que pour son cinéma.

Dans la vidéo promotionnelle des studios, présentée par Wang Jianlin devant le gratin hollywoodien en octobre 2016, c’est la voix off de l’acteur américain Matt Damon qui vantait les mérites du lieu. Avec l’expertise des studios britanniques Pinewood, 32 ateliers de production et 40 studios ont été construits. Hauts de 18 mètres, chacun des studios dispose de ses propres loges pour les costumes, la coiffure et le maquillage, et d’une salle de mixage. Le studio n°22 est surnommé le « 10K », au vu de ses 10.000 m2 de superficie, le plus grand au monde ! Autre record : un bassin extérieur de 10.000 m3 à température constante (jusqu’à 32°C), long de 150m et d’une profondeur pouvant aller jusqu’à 3,6m. Un autre bassin, intérieur cette fois, complète le champ des possibilités aquatiques, avec ses 21m de long et ses 6m de fond. Les technologies sont dernier cri : filtres à base de sable de quartz et désinfection à rayons ultraviolets, pour une eau de première qualité ! En moyenne, Wanda déboursa 10.000 yuans au mètre carré pour ces studios gigantesques, aux équipements n’ayant rien à envier à Hollywood.

En complément, de luxueux hôtels, appartements, villas, un centre commercial, un parc d’attractions, un grand théâtre, un centre des expositions, une école bilingue, un hôpital et même un yacht club ! L’ensemble du projet, dont une partie située sur une île, s’étale sur 376 hectares.

Surtout, pour attirer les producteurs, chinois comme étrangers, Wang Jianlin leur promit 40% de réduction sur certains coûts de production comme la location des studios, les décors et l’hébergement des équipes de tournage, financés par un fonds de 750 millions de $ sur 5 ans.

Le vent tourna à l’été 2017. Pékin força Wanda à vendre l’ensemble de ses projets liés au tourisme et à la culture—parcs à thème et studios y compris— pour renflouer ses caisses après que le conglomérat ait été pris d’une fièvre acheteuse d’actifs à l’étranger. Il devenait donc urgent pour la Chine d’enrayer la fuite des capitaux et de contrôler le niveau d’endettement du groupe. Wanda ne fut pas le seul dans ce cas, les assurances Anbang et le groupe HNA ont aussi subi les foudres de l’Etat chinois.

Alors, dans un méga deal de 9,3 milliards de $, incluant hôtels et parcs d’attractions, le complexe de Qingdao fut racheté fin octobre 2018 par le rival Sunac (融创), groupe plus familier avec l’immobilier qu’avec le 7ème art. Sun Hongbin, le fondateur milliardaire, voudrait y voir naître une école de cinéma de classe internationale et serait en négociation avec la Toronto Film School.

Dans une tentative de relancer la bobine, le 1er mars dernier, le gouvernement local renouvelait les promesses de distribuer 5 milliards de yuans (650 millions d’euros) de subventions, soit 1 milliard de yuans (130 millions d’euros) par an, pendant 5 ans. Chaque film peut obtenir jusqu’à 120 millions de yuans (15 millions d’euros), avec un financement pouvant couvrir jusqu’à 40 % des coûts de production. Ainsi, quatre chèques pour un montant total de 36 millions de yuans (4,7 millions d’euros) ont été remis à quatre films en partie tournés à Qingdao : les blockbusters chinois The Wandering Earth, Crazy Alien, The Island, et l’américain des studios Legendary, Pacific Rim: Uprising. Au total, une douzaine de films sont passés par les studios de Qingdao depuis leur ouverture en avril 2018. Seraient en cours de tournage la trilogie Fengshen et le film Space Intellectual.

Pourtant, les allées des studios sont désertes… En effet, seules les grosses productions ont les moyens d’y tourner. De plus, suite au scandale Fan Bingbing, l’industrie cinématographique a pris un coup de massue sur la tête, coupant les budgets et remettant à plus tard leurs projets.

C’est sans compter sur la censure, qui complique la tâche aux cinéastes. Les grands ciseaux réduisent encore un peu plus le champ des sujets qu’il est possible d’aborder. Bientôt, il ne sera plus possible de mettre en scène un détective privé menant l’enquête seul, une maitresse d’un personnage influent, un policier violent ou véreux, la mafia chinoise, et de dépeindre les pays occidentaux comme des ennemis… Au contraire, les thématiques suivantes doivent être valorisées : les 70 ans de la fondation de la RPC (2019), l’aboutissement à une société de « moyenne aisance » (2020), les 100 ans de la fondation du Parti (2021), les Jeux Olympiques d’hiver (2022), les projets Belt & Road Initiative, le développement de la zone Jing-Jin-Ji… Il est nécessaire donc de « bien raconter la Chine ».

Finalement, le contraste est saisissant entre les studios vides de Qingdao, une censure toujours plus forte, et un box-office chinois qui explose tous les records. Quant au rêve de Wang Jianlin de faire de Qingdao le Hollywood asiatique, il pourrait bien ne jamais voir le jour… Mais devenir une autre zone touristique, pourquoi pas ?

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1 Commentaire
  1. severy

    Très bon article.
    Quel gâchis! C’est à croire que fabriquer du rêve, c’est du vent.

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