Petit Peuple : Chongqing – Seule contre tous… (dernière partie)

Résumé de la deuxième partie : En 2000, mariée à 12 ans dans la campagne de Chongqing, à Chen Xuesheng, Ma Banyan n’a jamais accepté sa condition de captive. En 8 ans, elle rate 3 évasions avant de réussir la 4ème en 2007, après avoir accouché d’un second enfant non désiré. Débute alors pour elle sa vie de femme libre, ouvrière à Canton…

En 2008, à 20 ans, Ma Banyan avait déjà vécu le décuple des jeunes de son âge. Employée dans son usine de chaussures, elle savourait chaque seconde de sa vie : son loisir de composer ses soirées et week-ends, sans maître, ni mari. Certes cette liberté, elle la payait au prix fort, en cadences et en stress, en migraines sous les odeurs de colle. Mais à chaque fin de mois tombait son enveloppe, lui permettant de passer ses quelques heures de libre à baguenauder avec les copines, migrantes comme elle. Elle vivait une convalescence spirituelle : elle découvrait la confiance en soi, la capacité à s’aimer soi-même, à aider les autres, à faire ses choix. Après tant d’années à vivre dans l’instinct, elle se reconstruisait, consciemment désormais.

Tout ceci, jusqu’au jour de 2008 où appelant les siens, au village, elle apprit que son mari venait d’obtenir la validation officielle de leur union ! On s’en rappelle, leurs noces en 2000 à 12 ans, n’avaient aucune valeur. Mais grâce à la collusion du commissaire et du maire – amis de famille, elles venaient d’être confirmées, sans son accord à elle, et même en son absence !

Or, la prévint sa sœur aînée au bout du fil, les conséquences de cet acte pouvaient être dramatiques : sur foi de cette légalisation, son mari l’avait faite inscrire au fichier des personnes disparues, permettant de la rapatrier de force de n’importe où en Chine…

 C’en était trop, explosa Banyan. Non contents d’avoir volé sa jeunesse, voilà qu’ils tentaient de lui dérober sa vie d’adulte ! Soutenue par ses amies, elle déposa au tribunal une demande en divorce. Elle en sortit nantie d’un papier dont le tampon rouge valait de l’or : il la protégeait de l’arrestation, durant le procès.

Lequel procès débuta mal. Xuesheng acceptait la séparation de corps, mais seulement contre 20.000¥. Il réclamait la garde des enfants –surtout celle du garçon, qui valait plus que la fille en tant qu’avenir du clan. Et il refusait le divorce, redoutant que le juge, selon la loi, n’accorde à Banyan la moitié de ses biens. Or, Banyan s’en doutait bien, Xuesheng dans ce litige, pouvait plus que jamais compter sur la solidarité du maire et du commissaire. Car si une enquête était lancée, il serait clair que ni son mariage forcé alors qu’elle était mineure, ni sa restitution manu militari à sa belle-famille après chaque fuite, n’était légal ! Et que les cadres avaient lourdement fauté… La seule manière pour eux de se couvrir, était d’enterrer la plainte par 1000 artifices procéduriers ! 

Ils faillirent réussir, ayant retardé le verdict de sept longues années. Mais en décembre 2015, fut votée à Pékin la loi contre la violence au foyer : tous les cadres étaient désormais tenus de prêter assistance judiciaire à toute femme battue ou maltraitée. Police et mairie ne faisaient pas exception, et en cas de défaillance, le législateur prévoyait des sanctions !

Cette fois, on ne jouait plus ! Il ne fallut que 5 mois pour boucler le procès, tambour battant. Et le verdict créa un précédent national, abondamment cité par les media. Le mariage de 2000 était déclaré invalide, et celui de 2008 annulé. Banyan devait abandonner toute prétention aux biens de son mari, qui en aurait besoin, pour éduquer les deux enfants, la jeune mère renonçant à les reprendre. « A 28 ans, expliqua-t-elle à la sortie du tribunal, j’essaie de refaire ma vie, et je n’ai pas les moyens matériels. Je ne peux assumer la charge de ces enfants que je n’ai pas choisis ? de porter ».

Forte de cette victoire, Banyan veut poursuivre son avantage : traîner en justice les édiles de Shuanglong, le maire (qui la maria contre ses gré) et le commissaire (qui la remit à la famille du mari lors de ses trois premières fugues). 

En même temps, Ma Banyan voudrait bien reprendre sur le tard ses études, ne serait-ce que pour aider ses deux sœurs, aussi mariées à 13 et 15 ans, à recouvrer leur liberté. Elle pense aussi de plus en plus à ses enfants, qu’elle ne connaît guère,  mais qui viennent toujours plus souvent habiter ses rêves…

À 28 ans, Banyan réalise le chemin parcouru, et le secret de son sauvetage, après 16 ans de lutte solitaire, « chevauchant le vent et brisant les vagues » (chéng fēng pò làng , 乘风破浪) : refusant un destin d’esclave dans lequel les hommes prétendaient la confiner, elle a fait la preuve d’une force supérieure, seule contre tous !

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Mme Liu Neng, démographe à l’Université de Pékin, voit dans l’histoire de Banyan un cas parmi 1000, des mariages forcés en Chine. Loin de reculer sous l’avancée du progrès social, ils reprennent ces dernières années. Toujours plus de paysannes de moins de 20 ans  doivent « recevoir » (plutôt que prendre) un époux hors de la loi, sous la contrainte. Les cas de grossesses illégales explosent aussi : les adolescentes enceintes ont doublé en six ans, passant de 3,8% des filles de 15 à 19 ans en 2007, à 7,8% en 2013. Pour Mme Liu, cette tendance exprime la revanche muette et sauvage d’une société rurale sur les villes, pour les 40 ans de planning familial forcé. Frappés par la chute des naissances, menacés de mort par extinction, les villages se défendent. Un mouvement qui sera peut-être contré par la toute récente autorisation universelle aux familles, de faire deux enfants au lieu d’un…

 

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