Diplomatie : Les mauvaises affaires chinoises du Président Poutine

La rencontre à Pékin du Président Vladimir Poutine (25-27 juin) avec son homologue chinois Xi Jinping s’est faite dans la continuité des 14 précédentes depuis 2013 – teintée d’amitié personnelle et d’une unité idéologique de façade, unis dans la défense d’un leadership à poigne, contre une démocratie à l’occidentale.

Aussi, la visite a permis à la Chine de jouir du soutien russe à son expansion en mer de Chine du Sud, et à la défense de la Convention de l’ONU du droit de la mer… telle qu’interprétée par ces deux puissances ! Poutine a aussi validé la critique de Pékin envers les Philippines pour avoir porté plainte à ce sujet, devant la Cour Internationale de La Haye (le verdict est attendu pour le 12 juillet).

À l’unisson, les hommes dénoncèrent le déploiement en cours par les Etats-Unis d’un bouclier antimissiles « partout sur la planète », à commencer par la Corée du Sud. À l’issue de la visite, ils se déclaraient d’accord sur « presque tous sujets », dans un « esprit de coopération stratégique et d’amitié éternelle » !

Sur le plan économique cependant, l’unité est moins brillante : l’investissement chinois a reculé de 85% par rapport à 2014. Les années 2003-2012 sont loin, où les échanges portés par le pétrole cher augmentaient de 26,4% par an. En 2015, ils manquaient l’objectif des 100 milliards de $, n’atteignant que 65 milliards, en récession par rapport à 2014. De janvier à mai 2016, ils remontaient à 25,8 milliards de $, soit une hausse de 2,7%. Cette quasi-stagnation est causée par la chute du pétrole, et par les sanctions commerciales du camp occidental suite à l’annexion russe de la Crimée confisquée à l’Ukraine en 2014. Ainsi, elles étranglent lentement la Russie, la forçant à dévaluer son rouble de plus de moitié.

Face à ce partenaire dont l’économie fond à la manière des « poupées russes » (cf illustration empruntée au New York Times), la Chine ne peut que réduire ses investissements. Cette visite aboutit, en terme de contrats, à un butin (toujours plus) faible.

Les leaders ont signé 30 accords bilatéraux en matière de technologie, commerce, media ou sports. Ils se promettent d’ici 2020 un –improbable – volume d’échanges de « 200 milliards de $ ». Poutine se targue d’avoir signé avec Xi, 58 lettres d’intention pour « 50 milliards de $ »… mais ce ne sont pas des contrats. Parmi elles, figure la ligne de TGV de 770 km Moscou-Kazan, à fournir par la Chine, avec des rames pouvant rouler à 400km/h, pour 6,2 milliards de $.

En avril, deux banques politiques chinoises acceptaient de prêter à un oligarche russe 12 milliards de $ pour développer le gisement gazier en presqu’île de Yamal (Russie arctique), en échange de 20% des parts pour la CNPC.

De plus, la CNPC, avec le groupe indien ONGC, négocie la reprise de 19,5% de parts de Rosneft pour 11 milliards de $. Rosneft va aussi céder 40% de son futur complexe pétrochimique sibérien à ChemChina, tout en lui livrant en 12 mois d’ici juillet 2017, 2,4 millions de tonnes de brut. Deux autres groupes chinois (Beijing Enterprise, Sinopec) sont pressentis reprendre des parts minoritaires dans diverses filiales. Toutes ces cessions de parts minoritaires signifient deux choses:

– avec un cours du pétrole désormais à 48$/baril, qui va continuer à s’effriter sous l’effet « Brexit », la Russie ne parvient plus à en vendre, et pressée par ses échéances, doit se résoudre à céder des bribes de son patrimoine producteur;

– après avoir glané depuis 15 ans des sources d’or noir à travers toute la planète, la Chine ne voit plus d’urgence d’en acheter davantage —sauf en cas d’affaires particulièrement favorables. Et c’est le cas de ces rachats en Sibérie – et aussi celui d’une déclaration d’intention juste signée au Nigéria par un consortium chinois pour 50 milliards de $, en développement de gisements et pipeline.

En somme, la relation sino-russe est inéquitable, car Moscou a le plus besoin du partenariat économique. Et la Chine, dans les faits, soutient ses intérêts dans la région plutôt que ceux de leur binôme : Pékin avait promis d’orienter ses projets de « nouvelle route de la soie » vers « l’union économique eurasienne », sous influence russe, mais en pratique, c’est en bilatéral, avec chaque pays d’Asie Centrale qu’elle négocie directement, Kazakhstan notamment.

De rares alliances technologiques ne changent guère le tableau, tel ce consortium sino-russe annoncé lors de la visite pour construire un avion civil gros porteur de 300 places, concurrent des plus gros modèles d’Airbus et de Boeing. Un tel projet ne pouvant aboutir avant 20 ans.

Sur le plan militaire de même, la Chine vient d’acheter un lot de missiles sol-air S-400 de dernière génération, et sa marine vient de faire des manœuvres communes à la limite des îles Diaoyu-Senkaku en mer de Chine de l’Est, sous contrôle japonais. Toutefois même en ce domaine, la coopération marque le pas, faute de confiance mutuelle. Car l’expansion chinoise, y compris vers la façade Nord de la Russie, inquiète Poutine. En Arctique, 68% des équipements de forages nécessités par la Russie, sont sous embargo : la Chine est devenue irremplaçable comme investisseur, partenaire technologique, voire comme acheteur de pétrole. Mais à mesure que fondent les glaces arctiques et que la route maritime nordique devient navigable, la Chine commence à revendiquer des droits. Et la Russie, en toute éventualité, maintient ses puissantes flottes de l’Est à Vladivostok, du Nord à Mourmansk…

Ainsi la Russie poursuit une relation duale, inconfortable avec la Chine, dont elle a besoin économiquement, mais en qui elle voit se profiler un formidable rival à moyen terme.

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