Inquiet de voir ses maternités se vider et ses maisons de retraite se remplir, Pékin a pris la décision historique le 31 mai d’autoriser les couples chinois à avoir trois enfants, au lieu de deux comme c’était le cas depuis 2016.
Cette politique, qui entrera en vigueur à une date encore non précisée, sera accompagnée de « mesures de soutien » aux familles pour améliorer le congé maternité, réduire le coût de l’éducation et de logement. C’est ce que révèle le communiqué publié à l’issue d’une réunion du Politburo « présidée par Xi Jinping », qui a hérité lors de sa prise de pouvoir en 2012 d’une politique de l’enfant unique restée intacte depuis 1979.
Surpris, les démographes ne s’attendaient pas à ce que le leadership assouplisse si vite le planning familial, seulement trois semaines après la publication des résultats du recensement décennal. La plupart d’entre eux anticipaient plutôt une annonce à l’issue du prochain Plenum du Parti en octobre… Cet empressement vient renforcer l’idée que la situation démographique dépeinte par le recensement de 2020 pourrait être bien plus inquiétante que celle révélée au grand public.
Cependant, plusieurs signes avaient laissé entrevoir que le sujet faisait débat en haut lieu depuis déjà plusieurs mois, comme une prise de position inhabituelle de plusieurs chercheurs de la Banque Centrale, ou encore le retard dans la publication des résultats du recensement.
Paradoxalement, la nouvelle n’a pas suscité l’enthousiasme populaire attendu. Consulté plus de 4 milliards de fois sur Weibo (#三孩生育政策来了), le sujet a fait l’objet d’une avalanche de commentaires, parfois moqueurs, souvent critiques.
« Peu importe le nombre d’enfants autorisés, 2, 3, ou 100, si les Chinois avaient vraiment voulu plus de bébés, l’assouplissement à deux enfants aurait dû porter ses fruits. Les autorités devraient prévoir des aides et subventions pour donner envie aux Chinois de concevoir », préconise un internaute. « Je veux bien faire un 3ème enfant, si le gouvernement me donne 5 millions de yuans », conditionne une utilisatrice.
Les raisons qui alimentent les réticences des parents sont multiples : le coût des écoles, la compétition scolaire qui les poussent à inscrire leurs enfants à une myriade de cours particuliers (une industrie que Pékin veut dompter), les prix prohibitifs des logements, ou encore le frein à la carrière des mères…
Reflet de ce manque d’engouement, un sondage de Xinhua – bien vite retiré – a vu 29 000 répondants sur 32 000 déclarer « ne pas du tout envisager de concevoir un 3ème enfant ».
Premiers concernés par ce changement de politique, les jeunes adultes – souvent enfants uniques eux-mêmes – ne trouvent pas de quoi se réjouir : « la nouvelle me donne encore une autre bonne raison d’adopter un style de vie minimaliste, de « m’aplatir » (躺平, « tǎng píng » nouveau terme à la mode) pour échapper aux pressions de la société, abandonner l’idée de me marier, d’acheter un appartement ou d’avoir des enfants », confesse un millennial.
Populaire sur la toile, un poème exprime ce sentiment de fatigue collective : « une famille, deux parents, donner naissance à trois enfants, tout en prenant soin de quatre personnes âgées, aller au travail à 8h, rentrer chez soi à 9h, faire dix fois plus d’efforts, et rembourser un prêt de plusieurs millions ».
Même si la presse officielle rappelle qu’il n’y aucune obligation à enfanter, certains internautes appréhendent d’éventuelles pressions faites aux femmes pour qu’elles procréent, et dénoncent l’idée que le futur de la nation repose sur les épaules des Chinoises et que si la natalité ne s’améliore pas, la faute leur incombera…
Les experts eux aussi sont sceptiques. Ils estiment que l’impact de cette mesure sera limité à 0,1 point de plus sur le taux de fécondité actuel d’1,3 enfant par femme ou encore à 300 000 naissances supplémentaires par an, en plus des 12 millions de 2020. C’est « trop peu, trop tard ». 35 ans de politique de l’enfant unique et la préférence traditionnelle pour un héritier mâle, ont fait des dégâts structurels sur la pyramide des âges et des sexes : le nombre de femmes en âge d’enfanter ne cesse de se réduire depuis 2011.
Si le tableau démographique est si sombre, pourquoi Pékin n’a-t-il pas choisi de supprimer complètement toute limite contraceptive ? Tout d’abord, car il faudrait recaser les centaines de milliers de soldats du planning familial qui se trouveraient soudainement désœuvrés…
Certains analystes interprètent également ce maintien à trois enfants comme un moyen de garder le contrôle et d’éviter un baby-boom au sein des foyers les plus pauvres et des minorités ethniques, sans à avoir à les cibler spécifiquement…
Surtout, libéraliser complètement la natalité équivaudrait à une remise en cause de la politique de l’enfant unique, qui a permis d’éviter 400 millions de naissances à grand renfort d’amendes, de biens saisis, de discrimination à l’emploi, d’avortement et de stérilisations forcées. Cela pourrait raviver de douloureux souvenirs au sein de la population. Déjà, les langues se délient : certains demandent compensation pour le traumatisme subi, d’autres partagent leur expérience d’enfant conçu « hors planning », ou se rappellent des scandales passés…
Quoi qu’il en soit, la problématique nataliste chinoise ne réside pas tellement dans le fait « d’autoriser » sa population à faire davantage d’enfants, mais plutôt de lui « donner envie » de les faire ! Une terra incognita pour le leadership…
1 Commentaire
Istana Hutan
30 juin 2021 à 17:49instructif et bien analysé, avec une pointe d’humour qui fait mouche !