Petit Peuple : Qidong (Hunan) – Le paradis inventé de Fu Daxin (1ère partie)

Qidong (Hunan) – Le paradis inventé de Fu Daxin (1ère partie)

La vie n’a jamais été un chemin parsemé de roses pour Fu Daxin, à Qidong (Hunan), hanté dès sa naissance par la misère. La province était alors sous les griffes d’un occupant nippon féroce, et d’un « seigneur de la guerre », roitelet local qui levait ses impôts sur les villages, sans hésiter à faire usage de la force si nécessaire.

La révolution avait certes éliminé les oppresseurs, mais aussi apporté la collectivisation des terres et l’obligation aux paysans de participer aux actions d’agit-prop, qui devaient les déposséder de leur terre.

Puis à l’âge de se marier, la révolution culturelle avait forcé Fu Daxin comme tous les jeunes à se constituer en « brigades paysannes » pour creuser un canal, un barrage, un abri antinucléaire, lui volant ainsi les plus précieuses années de sa jeunesse.

Quand Deng Xiaoping avait pris le pouvoir au début des années 80, Fu avait 41 ans. Dès le relâchement de l’embrigadement révolutionnaire, les filles avaient commencé à partir à la ville, attirées par l’embauche et la liberté. Même Yiji, la cadette de Daxin avait disparu une belle nuit d’été sans laisser d’adresse, pour refaire sa vie.

C’était le premier moment où il pouvait rechercher une épouse, et il était ingrat. Ses parents déjà âgés avaient cherché en vain : avec ses deux « mu » de terre (0,3 hectare) et son air d’éternel perdant, Fu Daxin ne faisait pas rêver.

En s’endettant lourdement, ses parents avaient acheté à un gang de passeurs une fillette terrifiée et maigrelette, kidnappée au Vietnam. La gamine n’avait rien d’une affaire, sans aucune force pour le dur labeur de la terre, et beaucoup trop jeune pour porter un héritier avant plusieurs printemps.

Pire encore : au bout de quelques jours, la « fiancée » évidemment moins sotte qu’elle n’y paraissait, avait réussi à tromper la surveillance pour jouer les filles de l’air : une battue de toute la communauté n’avait pas réussi à remettre la main sur elle…

Depuis lors, Fu Daxin s’était résigné à finir sa vie comme célibataire, à l’instar de 20 millions de vieux garçons frappés comme lui par le déséquilibre de la balance des naissances.

Les années avaient passé, avec leurs récoltes maigres de sorgho, de millet et de riz, à peine suffisantes pour nourrir la famille. Une vieille télévision, un réfrigérateur hors d’âge, c’était là tout leur luxe. Plus il avançait en âge, plus il devait peiner pour nourrir ses vieux parents, et puis à l’automne de 2001, les enterrer sous un monticule de terre, sans pierre tombale ni ruban multicolore suivant la tradition – il n’en avait pas les moyens.

Vivant seul désormais, « chaussures trouées et talons percés » (lǚ chuān zhǒng jué, 履穿踵决), il n’avait plus la force de retourner la terre faute de posséder ni buffle, ni « tiě niú » (铁牛« bœuf de fer »), motoculteur. Devant chez lui, il avait encore la force d’entretenir un minuscule potager, loin de subvenir à ses besoins.

Compatissants, les voisins lui apportaient parfois quelques galettes de maïs cuites à l’étuvée, ou un kilo de riz. Une fois par an, la mairie lui portait 300 yuans d’aide aux vieux célibataires, puis 600 à partir de 2003, mais il restait très en deçà du seuil de subsistance : à 3 yuans le kilo de riz, et 26 yuans celui du porc, que voulez-vous faire ?

Ainsi durant l’essentiel des années 2000, un Fu Daxin très amaigri subsistait avec un repas par jour, qui se réduisait à un petit bol de riz blanc parfois additionné d’une poignée d’arachides. Désormais, il manquait de force pour s’occuper du jardin infesté de vermine qui dévorait ses malingres rangs de rave et de choux…

Un jour de mars 2008, n’y tenant plus, Fu Daxin osa se faire cuire quelques champignons ramassés aux alentours. Il avait agi par désespoir, n’ayant plus rien à manger et son porte-monnaie vide. Deux heures plus tard, il fut pris d’une forte fièvre, suivie de suées qui lui firent perdre connaissance. Le lendemain, il se réveilla surpris d’être toujours en vie. Personne n’était venu pour s’enquérir de sa santé. Il se rendit alors compte que s’il voulait voir se poursuivre son existence après 69 printemps, il allait devoir concevoir une stratégie entièrement nouvelle. Personne dans Qidong n’était bien riche, mais de tous, c’était lui le plus à plaindre. Il avait honte de posséder si peu, et d’être à son âge aussi vulnérable aux revers de fortune. Il se reprochait comme un échec de n’avoir jamais trouvé la bonne formule.

Un jour d’août de cette année-charnière, au marché où il récupérait les journaux pour les revendre au poids, il tomba en page intérieure sur l’histoire d’un homme aussi pauvre que lui, atteint d’une maladie invalidante, parce que non soignée, et qui avait trouvé moyen de se faire traiter en passant par la case prison : un délit fictif lui avait permis de se faire condamner, incarcérer et trouver que l’État prenait dès lors en charge tous ses besoins, lui permettant quelques mois plus tard de recouvrer sa santé en même temps que sa liberté.

Ce fut pour lui le moment de l’illumination : Fu Daxin allait faire de même, et entrer en prison. Au moins là, il passerait l’hiver au chaud, à l’ombre, sous la protection du socialisme !

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1 Commentaire
  1. severy

    Sordide histoire de sort qui s’acharne sur un mort en puissance impuissant à s’en sortir. Coquin de sort!

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