Petit Peuple : Splendeur d’une « millionnaire » (1ère partie)

Depuis son arrivée à Pékin en 2008, Jiajia, native de Xiamen, suivait sans hésiter sa voie vers la fortune – une voie parsemée de pétales de roses, aux côtés de jeunes adultes nés une paire de baguettes en argent dans la bouche.

Avant de monter à la capitale, cette fille gracile et toujours élégante, avait étudié à Singapour, aux frais d’un père millionnaire. Et depuis son entrée à Pékin, à 25 ans, elle était dans les « affaires ».

En Chine, la finance est l’apanage d’une élite en un club exclusif entre gens bien nés, où l’on rentre coopté. Avec son charme naturel, Jiajia s’était insérée sans difficulté dans ce microcosme aux mœurs faciles. Elle y gagnait sa vie comme dans un rêve, brassant 10 projets en même temps, immobilier, soja du Brésil, porte-conteneurs… Ces contrats en millions de dollars animaient ses journées, et finançaient ses loisirs nocturnes, sorties en Ferrari ou en avion privé, à Pékin ou ailleurs, avec une ribambelle d’autres joyeux fêtards.

Dans un séminaire international en 2011, Jiajia avait rencontré Oliver, économiste européen, plutôt bel homme sur sa quarantaine. Le trouvant à son goût, elle l’avait revu, puis introduit dans son cercle privé. De longues heures ce soir-là, elle avait papillonné entre ses amis et son hôte. Tous grignotaient d’un air blasé les mets importés les plus chers du monde, homard, caviar gris de Sibérie ou huîtres de Nouvelle Zélande, tout en sirotant à la paille le Château Lafitte de 20 ans d’âge.

À minuit soudain, dans un coin d’ombre, elle avait pris la main d’Oliver, et les yeux dans les yeux, d’un ton de petite fille sage, lui avait fait valoir ceci : lasse des coureurs de jupons qui n’en voulaient qu’à son argent, elle cherchait un amant plus romantique (làngmàn, 浪漫). S’il voulait, il n’avait qu’à venir s’installer chez elle ! « Et mon emploi  ? », avait objecté Oliver éberlué. « Tu n’en auras plus besoin, je te donnerai tout ce qu’il te faut », avait-elle rétorqué. « Mais… je suis marié », avait-il ajouté, croyant couper court à la proposition. « Tu n’as qu’à divorcer, ce sera sans peine : c’est moi qui paie », lui avait-elle alors dit d’un gracieux sourire, comme une évidence.

Non sans sagesse, Oliver avait décliné l’offre. Ils étaient pourtant restés en contact amical, ce qui lui permit de la retrouver en mai 2016.

Elle lui apparut plus posée et assagie, dans sa villa cossue, dans une villégiature pour expatriés et nouveaux riches hors de Pékin.

À 33 ans, elle avait gardé ses traits enfantins, un peu innocents, un peu vulnérables de poupée faite femme. Une série régulière de retouches chirurgicales avaient aidé à protéger son beau visage de toute ride.

Jiajia restait dans les affaires, active en bourse et dans l’import-export. De son agenda cependant avaient disparu les sorties en bolides et les nuits blanches en club privé. Car désormais, elle était chargée d’âme, mère célibataire, la forçant à quelques compromis face à la vie.

Le matin était réservé à son bien-être, avec des cours de yoga intensifs. Vers midi, elle sortait déjeuner en ville, rejoignant ses amies ou relations d’affaires. L’après-midi était consacrée aux rendez-vous avec les clients, aux visites d’expositions, musées, galeries d’art ou encore défilés de mode.

Matin et soir, elle voyait Xiaodou, son fils de 2 ans, quoique pour un laps de temps invariablement bref. Dès 7h30 du matin, dans sa chambre, se reproduisait le même rituel : une fois rafraichie, Jiajia sonnait la ayi n°1 pour se faire coiffer, puis se mettait en tenue. Puis vers 8h moins le quart, elle passait au salon, où l’attendaient sa mère et l’enfant, en train de prendre leur petit-déjeuner, assisté par l’ ayi n°2.

La collation durait un quart d’heure, sans cajoleries – un soin réservé à la grand-mère. Puis la « ayi-chauffeur » n°3, l’emmenait en BMW à l’école pré-maternelle. Là, avec la vingtaine d’autres élèves, Xiaodou était pris en main par une armée de puéricultrices étrangères qui les occupaient de jeux informatiques, comptines et chants en chinois et en anglais, de siestes et de dinettes. Cette école sélectionnait évidemment ses enfants par ses prix exorbitants. En leur offrant quatre ans d’avance sur « l’enfant moyen », elle les préparait à des rôles de futurs maîtres d’empires d’affaires, et leur promettait de leur enseigner les talents pour reprendre le moment venu les rênes du pays.

Un samedi après-midi, Oliver rendit visite à sa chère amie. Alors qu’on servait le thé dans le salon, le smartphone de Jiajia sonna soudain. Une expression d’alerte au visage, elle décrocha et tout de suite, changea de ton, de la femme d’affaires à succès, à une vassale pétrie de respect et d’obéissance aveugle : « oui, oui, je viens tout de suite avec Xiaodou –je serai chez toi dans une heure– le temps du trajet ». 

« Il faut que j’y aille », s’excusa-t-elle, prenant brusquement congé, « le maître m’attend ». Marchant vers la berline où l’attendait la chauffeur, moteur en marche, elle expliqua qu’en prévision de ces appels, elle avait une valisette de toile toujours prête dans le coffre.

Chez Oliver, cette scène stupéfiante dynamita soudain l’aura d’autonomie et d’opulence que Jiajia s’était forgée au fil des années. Mais qui était ce « maître » ? Pourquoi vivait-elle seule sans lui ? Était-il vraiment le prince charmant ? Et cette existence qu’il lui réservait,  était-ce vraiment le « bonheur tombé du ciel », (xǐ cóng tiān jiàng, 喜从天降) ?

Vous saurez le fin mot de l’histoire la semaine prochaine !

 

 

 

 

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