Editorial : Une vague populiste

Le phénomène Donald Trump déferle aussi sur l’Asie : l’élection de  Rodrigo Duterte, à la présidence des Philippines, après une campagne émaillée d’arguments naïvement violents et de promesses intenables, en est la preuve.
Durant sa campagne, face à la Chine, l’homme a émis des prétentions contradictoires, voulant à la fois défendre les intérêts nationaux en mer de Chine du Sud, et négocier directement avec Pékin—renonçant à une défense collective avec les autres pays riverains. Il s’est dit prêt à troquer les droits maritimes pour quelques lignes de chemin de fer sur son sol, financées par Pékin. Mais il se voit aussi prêt à se rendre « en jet-ski » sur un atoll occupé par l’APL, pour y planter le drapeau des Philippines, seul contre tous… Ce faisant, il laisse l’impression d’un personnage beau parleur, mais inconsistant et fantasque. Et sa ligne de défense apparaît faible, risquant de compromettre les années d’efforts déployés par son prédécesseur…

La Chine ne connait pas de personnages de ce type, haut en couleur – avec son système sans élection, elle n’en a pas besoin. Mais plusieurs phénomènes en cours à travers le pays, procèdent de la même veine : une vague populiste déferle, nostalgique du passé, qui cherche à s’y réfugier pour mieux refuser la potion amère aujourd’hui (les mesures douloureuses imposées par la décélération de croissance).
Ainsi le 2 mai à Pékin au Grand Palais du Peuple, un gala a eu lieu devant le gratin de la capitale, offrant des reprises de chants chers à Mao, et de ballets créés par son épouse Jiang Jing. Un calicot reprenait ce slogan historique : « Peuples du monde, unissez-vous pour vaincre les envahisseurs yankee et leurs laquais »!
Très appréciée de l’aile gauche, la performance a choqué les victimes de la Révolution Culturelle telle Ma Xiaoli, fille d’un ancien ministre, qui a réclamé des comptes sur ce dérapage de la discipline du Parti.
Dans la même veine, fleurissent des  chants d’adulation du Président Xi Jinping, rebaptisé Xi Dada 习大大 (« Papa Xi »), et de son épouse Peng Liyuan, ex-chanteuse de l’Armée Populaire de Libération, désignée 彭妈妈 (« mère de la nation »).

Mais soudain, surprise : sur ordre de Pékin, les surnoms ont discrètement disparu des media, bannis par le Parti conscient de risquer le sarcasme. Le chef d’Etat a besoin de revenir à une image moins « Bisounours », plus sérieuse, plus conforme à sa mission de remettre l’économie sur ses rails, quels que soient les sacrifices nécessaires.
Tout cela le suggère, le culte de la personnalité n’émanait pas de Xi Jinping, ni du département de la Propagande, mais de la population elle-même, des villes et des villages dans l’attente d’un leader charismatique et rassurant. Dans la grisaille actuelle, le gouvernement doit avancer avec extrême prudence : donner confiance, se montrer à l’écoute des angoisses des provinces, et y répondre par du concret.

L’Etat va cette année « reloger » 2 à 3 millions de pauvres vivant dans des zones rurales, vers des zones plus développées (routes, eau courante, écoles, hôpitaux…). 1600 milliards de yuans seront déversés sur le Dongbei, région en chute libre, dû au recul de l’industrie du charbon et du commerce avec la Russie.
Notons que tous ces efforts reviennent aux régions au plus fort quotient de pauvreté – et de nostalgie « rouge ».

Un autre qualificatif de Xi, disparaît : celui de « centre » du Parti, point nodal de référence idéologique. Il y a encore deux mois, le concept était essentiel – quiconque l’oubliait, risquait sa carrière, ou plus. Aujourd’hui, la Chine se détourne d’un style de leadership solitaire et retourne à une direction collective. Xi se veut à l’écoute des autres leaders, des provinces, de la base. En ces temps incertains, le chef suprême doit partager les décisions, la responsabilité— influence populiste !

Avez-vous aimé cet article ?
Note des lecteurs:
0.43/5
21 de Votes
Ecrire un commentaire