Editorial : Une fête du travail « laborieuse »

Une fête du travail « laborieuse »

Comme si le Covid-19 n’était plus qu’un lointain souvenir, tous les sites touristiques chinois ont été pris d’assaut à l’occasion de la « fête du Travail » (劳动节, láodòng jié). Le 1er mai, ils étaient 50 000 à jouer des coudes sur la Grande Muraille de Badaling (cf photo). Libérés des restrictions de déplacements sur le territoire national et vaccinés à plus de 20% (plus de 300 millions de doses administrées au 8 mai), les touristes ont pris leur revanche durant ces congés de cinq jours, après avoir été incités à rester chez eux durant le Nouvel An lunaire pour motif sanitaire.

230 millions de voyages ont été réalisés durant la période des vacances (1er au 5 mai). C’est plus du double que lors du festival de Qingming début avril, signalant une solide reprise touristique. Découragés de s’envoler à l’étranger, de nombreux vacanciers se sont rabattus sur l’île tropicale de Hainan, ersatz de la Thaïlande. Pour s’y rendre, les touristes ont dû payer leur billet d’avion en moyenne 22% plus cher. Cela ne les a pas empêchés d’y dépenser 993 millions de yuans (127 millions d’euros) en produits duty-free. Les salles obscures ont également réussi à tirer leur épingle du jeu : ils ont été 45 millions à se presser pour voir l’un des douze nouveaux films à l’affiche, rapportant 1,6 milliard de yuans au box-office (200 millions d’euros) – autant qu’en 2019.

Cependant, ces congés du 5.1 (五一, wǔyī) n’ont pas été à l’abri de quelques couacs. En un remake de l’incident ferroviaire de Montparnasse, une panne électrique dans la province du Hebei a bloqué des dizaines de trains en gare de l’Ouest à Pékin le premier jour des vacances, suscitant le mécontentement de dizaines de milliers de voyageurs. Les mauvaises habitudes ont, elles aussi, fait leur grand retour : plusieurs sites ont été vandalisés par des touristes peu respectueux, escaladant les remparts des vieilles villes, ou gravant leur nom sur des stèles centenaires.

Exceptionnellement, les vacances ont duré cinq jours au lieu de trois habituellement (un jour férié suivi d’un week-end). Pour bénéficier de ces deux jours supplémentaires, les travailleurs ont été contraints de sacrifier deux de leurs samedis. Si les arrangements consistant à travailler le week-end pour rallonger les vacances (调休, tiáoxiū), sont relativement fréquents, ils sont loin de faire l’unanimité. Selon un sondage en ligne réalisé auprès de 840 000 personnes, 4 Chinois sur 5 auraient préféré des vacances écourtées plutôt que de travailler le week-end. Ainsi, les plaintes ont afflué sur la toile : « La fête du Travail a été créée en commémoration des acquis sociaux. Mais aujourd’hui, certains activistes sont réprimés et nous travaillons les week-ends pour pouvoir ‘célébrer’ cette fête ! Quelle ironie… », se lamentait un internaute, alors que le hashtag « réformer le système de congés » gagnait en popularité sur Weibo.

C’est que les citoyens ne sont pas dupes : le véritable objectif de ces congés à rallonge pour le gouvernement est de stimuler la consommation, un des rares indicateurs économiques qui résiste encore aux politiques de relance. À Pékin, les autorités ont financé pour 4,5 milliards de yuans de coupons de réduction pour inciter les habitants à dépenser. Mais l’accueil du public n’a pas été aussi enthousiaste que prévu : « les Pékinois préféreraient conserver leur week-end et avoir moins de jours de congés plutôt que de courir après des bons d’achat financés par la municipalité ».

Avant même le début des vacances, les médias officiels avaient déjà proclamé que les effets de l’épidémie appartenaient désormais au passé, et que la consommation durant ces cinq jours (113,2 milliards de yuans) dépasserait celle de 2019. À y regarder de plus près, les données restent en fait toujours en dessous des chiffres de deux ans plus tôt. En moyenne, le nombre de voyages réalisés chaque jour est 5,6% moins élevé en 2021 (46 millions) qu’en 2019 (48,8 millions). Il en va de même pour la consommation quotidiennne moyenne (22,6 milliards de yuans), ne représentant que 77% des montants dépensés avant la pandémie (29,4 milliards). Signe qu’il reste encore du chemin à parcourir avant de rétablir pleinement la confiance des consommateurs.

Avez-vous aimé cet article ?
Note des lecteurs:
2.95/5
21 de Votes
Ecrire un commentaire