Le Vent de la Chine Numéro 17 (2021)

du 9 au 15 mai 2021

Editorial : Une fête du travail « laborieuse »
Une fête du travail « laborieuse »

Comme si le Covid-19 n’était plus qu’un lointain souvenir, tous les sites touristiques chinois ont été pris d’assaut à l’occasion de la « fête du Travail » (劳动节, láodòng jié). Le 1er mai, ils étaient 50 000 à jouer des coudes sur la Grande Muraille de Badaling (cf photo). Libérés des restrictions de déplacements sur le territoire national et vaccinés à plus de 20% (plus de 300 millions de doses administrées au 8 mai), les touristes ont pris leur revanche durant ces congés de cinq jours, après avoir été incités à rester chez eux durant le Nouvel An lunaire pour motif sanitaire.

230 millions de voyages ont été réalisés durant la période des vacances (1er au 5 mai). C’est plus du double que lors du festival de Qingming début avril, signalant une solide reprise touristique. Découragés de s’envoler à l’étranger, de nombreux vacanciers se sont rabattus sur l’île tropicale de Hainan, ersatz de la Thaïlande. Pour s’y rendre, les touristes ont dû payer leur billet d’avion en moyenne 22% plus cher. Cela ne les a pas empêchés d’y dépenser 993 millions de yuans (127 millions d’euros) en produits duty-free. Les salles obscures ont également réussi à tirer leur épingle du jeu : ils ont été 45 millions à se presser pour voir l’un des douze nouveaux films à l’affiche, rapportant 1,6 milliard de yuans au box-office (200 millions d’euros) – autant qu’en 2019.

Cependant, ces congés du 5.1 (五一, wǔyī) n’ont pas été à l’abri de quelques couacs. En un remake de l’incident ferroviaire de Montparnasse, une panne électrique dans la province du Hebei a bloqué des dizaines de trains en gare de l’Ouest à Pékin le premier jour des vacances, suscitant le mécontentement de dizaines de milliers de voyageurs. Les mauvaises habitudes ont, elles aussi, fait leur grand retour : plusieurs sites ont été vandalisés par des touristes peu respectueux, escaladant les remparts des vieilles villes, ou gravant leur nom sur des stèles centenaires.

Exceptionnellement, les vacances ont duré cinq jours au lieu de trois habituellement (un jour férié suivi d’un week-end). Pour bénéficier de ces deux jours supplémentaires, les travailleurs ont été contraints de sacrifier deux de leurs samedis. Si les arrangements consistant à travailler le week-end pour rallonger les vacances (调休, tiáoxiū), sont relativement fréquents, ils sont loin de faire l’unanimité. Selon un sondage en ligne réalisé auprès de 840 000 personnes, 4 Chinois sur 5 auraient préféré des vacances écourtées plutôt que de travailler le week-end. Ainsi, les plaintes ont afflué sur la toile : « La fête du Travail a été créée en commémoration des acquis sociaux. Mais aujourd’hui, certains activistes sont réprimés et nous travaillons les week-ends pour pouvoir ‘célébrer’ cette fête ! Quelle ironie… », se lamentait un internaute, alors que le hashtag « réformer le système de congés » gagnait en popularité sur Weibo.

C’est que les citoyens ne sont pas dupes : le véritable objectif de ces congés à rallonge pour le gouvernement est de stimuler la consommation, un des rares indicateurs économiques qui résiste encore aux politiques de relance. À Pékin, les autorités ont financé pour 4,5 milliards de yuans de coupons de réduction pour inciter les habitants à dépenser. Mais l’accueil du public n’a pas été aussi enthousiaste que prévu : « les Pékinois préféreraient conserver leur week-end et avoir moins de jours de congés plutôt que de courir après des bons d’achat financés par la municipalité ».

Avant même le début des vacances, les médias officiels avaient déjà proclamé que les effets de l’épidémie appartenaient désormais au passé, et que la consommation durant ces cinq jours (113,2 milliards de yuans) dépasserait celle de 2019. À y regarder de plus près, les données restent en fait toujours en dessous des chiffres de deux ans plus tôt. En moyenne, le nombre de voyages réalisés chaque jour est 5,6% moins élevé en 2021 (46 millions) qu’en 2019 (48,8 millions). Il en va de même pour la consommation quotidiennne moyenne (22,6 milliards de yuans), ne représentant que 77% des montants dépensés avant la pandémie (29,4 milliards). Signe qu’il reste encore du chemin à parcourir avant de rétablir pleinement la confiance des consommateurs.


Santé : 300 millions de doses de vaccin injectées en Chine
300 millions de doses de vaccin injectées en Chine

Œufs, savons, tubes de dentifrice, parapluies, autographes de pop-star, véhicule électrique… C’est avec ces récompenses, plus ou moins attractives, que les localités chinoises espèrent convaincre leurs habitants de se faire vacciner. Pour rendre ludique la vaccination auprès des jeunes, des cadres du Shandong envisageraient même de mettre en place un code de santé « doré » pour ceux ayant reçu deux doses de vaccin.

Au 8 mai, 308 millions de doses ont été administrées à travers le pays, la Chine dépassant ainsi les États-Unis en nombre d’injections (257 millions). Rapporté au nombre d’habitants, 22 Chinois sur 100 ont reçu une dose de vaccin, c’est presque quatre fois moins qu’aux USA.

Pour le seul mois d’avril, les autorités chinoises ont administré 144 millions de doses, soit 4,8 millions chaque jour en moyenne. C’est un peu moins que les 5 millions requis pour espérer atteindre un taux de vaccination de 40% d’ici fin juin.

D’après Zheng Zhongwei, cadre chargé de la coordination de la campagne de vaccination, le rythme de production serait un frein, les labos n’arrivant pas à répondre à la demande domestique, mais aussi internationale (240 millions de doses exportées sur 500 millions promises par Pékin). « Le pays manque de doses », a admis le président du groupe Sinovac, Yin Weidong. Une situation qui devrait s’estomper « après le mois de juin ».

Autre challenge : si la Chine se contente de vacciner avec des sérums chinois, réputés moins efficaces que leurs cousins à ARN messager, la Chine devrait avoir besoin de vacciner plus que les 70% de la population recommandés pour atteindre l’immunité collective. Sous cet angle, elle aurait tout intérêt à reconnaître des vaccins étrangers de technologie innovante pour s’immuniser plus rapidement. Celui de BioNTech serait le premier approuvé par la Chine d’ici juillet. Fosun se tiendrait prêt à débuter la production de 100 millions de doses sur territoire chinois dans la foulée.

Sur le plan de la reconnaissance des vaccins chinois à l’international, la Chine vient de franchir deux étapes importantes. La première est le feu vert de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) accordé le 7 mai au vaccin de Sinopharm (dans sa version pékinoise). Réputé efficace à 78%, les experts de l’OMS notent toutefois avoir « un faible niveau de confiance » dans les données fournies par Sinopharm sur les sexagénaires (et plus) et « très peu confiance » en celles documentant les risques d’effets indésirables graves. Si les résultats fournis à l’OMS par le laboratoire Sinovac sont plus étayés, les écarts d’efficacité relevés dans différents pays (de 51% Brésil à 84% en Turquie) restent inexpliqués. L’OMS ne s’est d’ailleurs pas encore prononcée au sujet de CoronaVac. C’est pourtant le vaccin candidat de Sinovac qui a été soumis le premier à l’Agence Européenne du Médicament (AEM) le 4 mai, seconde étape importante dans la reconnaissance des vaccins chinois à l’étranger.

Malgré les doutes qui subsistent au sujet de leur efficacité, notamment au regard de la recrudescence du virus aux Seychelles (dont la population a été vaccinée aux deux tiers avec du Sinopharm), cette approbation par l’OMS signifie que les vaccins chinois pourront être distribués dans le cadre de l’initiative COVAX, véritable bouée de secours pour de nombreux pays qui n’ont pas accès aux vaccins.

Autre main tendue : celle du Président Xi Jinping au Premier ministre indien Narendra Modi, offrant le 30 avril ses condoléances et de l’aide matérielle (ventilateurs, générateurs d’oxygène…) pour faire face à ce désastre sanitaire aux portes de la Chine. En effet, le nombre de nouvelles infections en Inde a dépassé les 400 000 cas par jour et le nombre de décès, la barre des 4000.

Alors que les tensions territoriales demeurent fortes avec New Delhi, c’est le moment choisi par la Commission Centrale des Affaires Politiques et Légales du Parti, supervisant tous les organes de justice, de police et de renseignements du pays, pour publier sur son compte Weibo deux photos, l’une illustrant le lancement dans l’espace du premier module de la future station spatiale chinoise, l’autre l’incinération de corps en Inde, accompagné du message : « mise à feu en Chine, mise à feu en Inde ». Une autre publication, sur le compte du ministère de la Sécurité Publique cette fois, comparait un hôpital d’urgence construit à Wuhan en 2020, baptisé « Montagne du Dieu du Feu » (火神山) et les crémations de masse en Inde. Reprenant la même ligne, ces posts sont probablement le fruit d’une directive de propagande interne visant à discréditer l’Inde et valoriser le modèle chinois de lutte contre le virus.

Face à l’indignation massive des internautes chinois, les messages ont été rapidement supprimés, sans toutefois présenter d’excuses. Même le rédacteur en chef du quotidien nationaliste Global Times, Hu Xijin, pourtant adepte des provocations, a jugé que les comptes officiels du gouvernement doivent « faire preuve d’une morale irréprochable au nom de la société chinoise » a-t-il tweeté, tout en s’interrogeant sur les limites acceptables pour de tels comptes. Alors que Pékin persiste et signe dans sa diplomatie « combattante », cet incident va-t-il contribuer à lui faire réaliser que ces politiques peuvent être contreproductives, amenant à douter de la sincérité de la Chine lorsqu’elle affirme être « une puissance responsable et capable de compassion avec le reste de l’humanité » ?


Finance : Pékin démantèle Ant, champion de la fintech
Pékin démantèle Ant, champion de la fintech

Finance et technologie ne font pas bon ménage. C’est le message que les régulateurs ont fait passer à Ant, bras armé financier du géant du e-commerce Alibaba, au lendemain de l’amende record de 2,8 milliards de $ infligée à sa maison mère pour pratiques monopolistiques.

Grâce à son application de paiement en ligne Alipay aux 711 millions d’utilisateurs actifs par mois, Ant s’est imposé en quelques années comme le champion de la fintech, en proposant des crédits à la consommation et des placements à des conditions plus avantageuses que celles offertes par les banques traditionnelles.

Inquiètes du « risque » que représentent ces activités pour le secteur bancaire, les autorités exigent aujourd’hui que la firme fondée par le milliardaire Jack Ma en 2014 procède à une restructuration complète de ses activités, six mois après avoir annulé à la dernière minute son entrée en bourse qui s’annonçait pourtant historique.

Pour se conformer aux exigences des régulateurs, Ant devra se transformer en une « holding financière » sous contrôle du gouvernement, et compartimenter chacune de ses activités. Son offre de crédit sera soumise aux mêmes règles que celles qui s’appliquent aux banques : Ant devra financer de sa poche au moins 30% du montant des prêts, ce qui devrait nécessiter une injection de capital frais de près de 30 milliards de $.

Le groupe devra également renoncer à faire la publicité de ses services financiers (Huabei 花呗et Jiebei借呗) sur son application Alipay et réduire les sommes investies par ses clients dans son fonds de placement Yu’e Bao (余额宝, « Solde Précieux » en chinois). Les actifs de Yu’e Bao auraient déjà fondu de 18% au premier trimestre 2021 pour s’élever à 972 milliards de yuans, Ant incitant ses clients à placer leurs économies ailleurs… Dépourvu de tous ses services financiers, le nouveau visage d’Alipay s’annonce déjà beaucoup moins attractif pour les utilisateurs et devrait freiner l’expansion de ce business très lucratif pour Ant. En 2020, le groupe tirait 40% de ses revenus des prêts en ligne.

Mais le véritable nerf de la guerre, ce sont les quantités colossales de données financières amassées par Ant. Elles ont permis à la firme de mettre au point l’un des systèmes de notation de crédit personnel les plus performants du pays, Zhima Credit. Depuis 2019, les régulateurs avaient gardé une dent contre Ant et Tencent, qui avaient refusé de partager leurs données avec Baihang Credit, la première agence de notation lancée un an plus tôt par la Banque Centrale.

Aujourd’hui, les autorités semblent avoir obtenu gain de cause. Ant aurait consenti à transférer ses données à une nouvelle société de notation de crédit contrôlée par l’État, ce qui permettrait à tous les autres acteurs bancaires d’y accéder. En échange, la Banque Centrale chinoise serait prête à octroyer à Ant une licence de notation de crédit, devenant ainsi la troisième entreprise du pays à obtenir ce sésame tant convoité.

Dernier impératif des régulateurs : que Jack Ma cède sa participation de 10% dans Ant et de 34% dans Yunbo, véhicule d’investissement qui détient indirectement 50,5% d’Ant. Même si Ant a nié ces informations, l’éviction de son fondateur lui permettrait finalement de réaliser son introduction en bourse, à un tiers de la valorisation escomptée en novembre dernier. 

Si les régulateurs mettent un point d’honneur à démontrer que cette reprise en main d’Ant n’a rien à voir avec la disgrâce de Jack Ma et qu’elle servira de modèle aux autres acteurs de la fintech, ils enquêtent depuis plusieurs mois sur les raisons qui ont permis à Ant d’obtenir le feu vert des autorités – malgré les inquiétudes de Pékin – pour faire son entrée au marché STAR de la bourse de Shanghai, lancé en juillet 2019 avec le soutien du Président Xi Jinping.

Pour arriver à ses fins, les inspecteurs soupçonnent Jack Ma d’avoir usé de l’influence des puissants actionnaires d’Ant, comme le fonds souverain CIC et l’assureur China Life Ses liens avec une faction politique rivale de Xi Jinping sont également scrutés. Dans ce climat délétère, pas moins de 76 entreprises de la tech ont préféré renoncer à s’introduire sur ce « Nasdaq chinois » pour le seul mois de mars… Aucun doute, les retombées de cette enquête seront tout aussi intéressantes que les conséquences du remaniement de Ant.


Economie : Feu rouge pour Meituan
Feu rouge pour Meituan

Après Alibaba, c’est au tour de Meituan, le spécialiste de la livraison de repas à domicile, d’être dans le collimateur de l’autorité anti-trust.

Sans même attendre la fin du décompte de 30 jours accordé le 12 avril aux firmes de la tech pour « rectifier » leurs pratiques, l’Administration d’État de Régulation des Marchés (SAMR) a annoncé le 26 avril ouvrir une enquête pour pratiques anti-concurrentielles à l’encontre de Meituan, dont le géant Tencent possède 17,7%.

La plateforme aux 4,7 millions de livreurs vêtus de jaune, est accusée d’avoir imposé des accords d’exclusivité aux restaurateurs (le fameux « èrxuǎnyī », 二选一) pour qu’ils refusent de travailler avec son compétiteur, Ele.me (casaques bleues), détenu par Alibaba.

Cette nouvelle mise sous enquête vient confirmer que Alibaba ne sera pas la seule cible de la reprise en main des géants de la tech orchestrée par Pékin. Son grand rival Tencent devrait d’ailleurs recevoir une amende conséquente (autour de 10 milliards de yuans cumulés) pour n’avoir pas correctement déclaré ses acquisitions passées (notamment musicales) à la SAMR.

Selon la loi anti-trust, Meituan risque une amende pouvant aller jusqu’à 10% de son chiffre d’affaires annuel. Alibaba lui, s’est vu taxé de 4% de son revenu de 2019, soit 18,2 milliards de yuans. Si Meituan écope de la même peine qu’Alibaba, l’amende s’élèverait à 4,6 milliards de yuans.

La sévérité du verdict dépendra de nombreux facteurs : de la volonté de coopérer de Meituan aux preuves dont dispose la SAMR. À sa décharge, Meituan jouit d’une profitabilité moindre que celle d’Alibaba, et son fondateur, Wang Xing, n’a pas provoqué publiquement les régulateurs comme l’a fait Jack Ma

Dans tous les cas, comme pour Alibaba et Tencent, cette amende, aussi salée soit-elle, n’aura qu’un impact limité sur le leader de la livraison de repas, qui détient déjà plus de deux tiers du marché. Pour les régulateurs, il s’agit de dompter « l’économie de plateforme », pas de la tuer.

Pour autant, différents signes laissent penser que Meituan ne devrait pas s’en sortir si facilement. Le fait que le Président Xi Jinping en personne, promette de « protéger les intérêts légitimes des routiers, des coursiers, et des livreurs de repas », au lendemain de l’annonce de l’ouverture de l’enquête sur Meituan, ne présage rien de bon…

24h plus tard, une vidéo réalisée incognito par l’un des directeurs adjoints du bureau des affaires sociales de Pékin (cf photo), dénonçait les conditions de travail harassantes des livreurs employés par Meituan. En une journée, le cadre n’a gagné que 41 yuans pour cinq courses. « Avant, je me demandais pourquoi les livreurs acceptaient autant de commandes, maintenant je comprends ! S’ils veulent gagner leur vie, ils n’ont pas le choix », se désolait le vice-directeur Wang, qui a enchaîné par une enquête auprès des chauffeurs de Didi Chuxing.

Si les efforts de terrain du cadre ont été salués par les internautes, ces révélations ont choqué le grand public et poussé Meituan et son concurrent, Ele.me à s’excuser et à promettre de revoir leurs pratiques. Un mea culpa qui rappelle celui fait suite à la polémique provoquée par un long reportage sur l’algorithme « diabolique » qui rythme la cadence des livreurs, publié par le magazine « People » (人物) en septembre 2020.

Le directeur adjoint n’est pas le seul à dévoiler les réalités du métier de livreur de repas. Un véritable employé de Ele.me se trouve derrière les barreaux depuis février pour avoir créé une alliance entre livreurs et dénoncé leur situation précaire sur internet. Il risque cinq ans de prison pour avoir « troublé l’ordre public ». Si les autorités sont bien conscientes des difficultés de ces travailleurs payés à la tâche, c’est surtout la menace que représente leur mécontentement pour la stabilité sociale, qui les inquiètent. Et il n’est pas question de tolérer le moindre syndicalisme. Le gouvernement va préférer régler le problème à sa manière, en s’assurant du soutien de l’opinion publique, en punissant les firmes coupables sans trop impacter l’économie, voire en procédant à certains ajustements réglementaires si nécessaire.


Podcast : 15ème épisode des «Chroniques d’Eric» : «Ciel, l’Empire du ciel chute !»
15ème épisode des «Chroniques d’Eric» : «Ciel, l’Empire du ciel chute !»
Venez écouter le 15ème épisode des « Chroniques d’Eric », journaliste en Chine de 1987 à 2019 et fondateur du Vent de la Chine.
 
« A la veille de l’annonce des résultats du grand recensement décennal mardi 11 mai, j’évoquerai dans cet épisode ce qui compte le plus pour l’avenir de la Chine, sa population. Pour la première fois dans son histoire, la plus grosse roue du monde, celle de sa production de bébés s’enraie, passe en marche arrière. Je vous dirai pourquoi, et ce qu’il faut attendre comme conséquences. Le plus surprenant est sans doute la manière dont la femme se libère dans l’Empire du Ciel, dans un style aussi efficace qu’extrême et inattendu. Enfin, mes fidèles auditeurs auront droit au cours de cette histoire, à une petite surprise musicale !  »
 
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Petit Peuple : Zhengzhou (Henan) – La révolution de Su Min
Zhengzhou (Henan) – La révolution de Su Min

Toute sa vie, Su Min a cherché les joies simples du partage, mais s’est retrouvée repoussée par ses proches.

Née en 1968 à Qamdo au Tibet, elle passa son enfance à 3280m d’altitude. Ses parents traditionalistes lui avaient vite fait comprendre que fille, elle valait moins que les garçons. A 10 ans, elle devait accompagner ses deux petits frères à l’école, puis au retour, les laisser s’amuser à dévaler la colline enneigée – elle devait garder les cartables puis de retour, laver les pantalons sales. Telle ambiance infantilisante l’empêchait de grandir : à 13 ans, la découverte d’un mot doux dans ses affaires l’affola : elle le remit au maître, qui punit le garçon, coupant ainsi court à l’amourette. Ce message serait la seule lettre d’amour de toute sa vie.

En 1983, ils repartirent pour Zhengzhou (Henan). Elle pouvait espérer une fin d’adolescence sous ces cieux plus cléments. Mais ses parents, ses frères continuaient à la traiter en semi-domestique, la faisant rêver d’évasion. En 1986, après le gaokao réussi de justesse (la faute aux corvées familiales qui l’avaient empêché de bien réviser), elle s’enticha d’un camarade de classe, Li Weimin. Doué au ping-pong, il avait gagné quelques tournois, lui donnant la stature d’un athlète. Son tempérament taciturne pouvait le faire passer pour un beau ténébreux. Lui cependant savait repérer un être sans défense, bientôt à sa merci. Aussi il lui avait proposé le mariage.

À peine mariés en 1990, à 22 ans, Weimin obtenait pour eux deux un job dans une usine d’engrais. Mais elle devait vite le constater, elle n’avait fait que troquer une servitude pour une autre. Désormais, Weimin n’exprimait envers elle qu’indifférence, mépris et bientôt violence. En plus de sa tâche à l’usine, elle devait s’acquitter des courses, de la cuisine, du lavage, repassage et ravaudage du linge, du nettoyage de la chambre. La vie entière devait être à son diapason à lui : le soir, la commande de la TV n’était que dans sa main, zappant de matches sportifs aux journaux télévisés, tandis que les repas devaient se centrer sur le poisson et des recettes fades– tant pis pour elle qui adorait les plats pimentés.

En 1991 naissait leur fille Huahua, et un an plus tard, la boîte ayant fermé (le recasant, lui seul, ailleurs), elle se retrouvait mère au foyer. Bientôt, Weimin se mit à lui réclamer des comptes : à la fin du mois, toutes les dépenses de la maison devaient être justifiées jusqu’au moindre « fen », suite à quoi il la punissait en coupant le denier du ménage. Il la critiquait sur tout et dans la rue, la laissait marcher devant avec sa fille, se tenant à distance. Par ses manœuvres insidieuses, il démolissait ainsi sa confiance et son estime de soi. En 1997, quand la petite partit pour le pensionnat, il déserta le lit conjugal pour occuper sa chambre.

Ce départ cependant libérait Su Min de sa charge de mère. Elle se remit à chercher à s’occuper, prenant au fil des ans tous les jobs à portée, couturière, balayeuse, serveuse ou livreuse de journaux. C’était sa dernière tentative, désespérée, pour reconquérir l’estime du mari en gagnant de l’argent, puisque seule cette valeur semblait compter pour lui. Mais en même temps, elle apprenait à se protéger : son salaire, elle le gardait pour elle, et ne faisait les commissions que s’il lui donnait l’argent. Quand il le refusait, prétextant ses dépenses « folles », elle faisait la grève de cuisine. Seul lui avait un compte en banque : un jour qu’elle avait acheté sur sa carte de crédit, des médicaments pour sa mère malade, il se prit d’une violente colère et la frappa, avant de changer – sans l’en avertir- le code confidentiel. Dès lors, le couple ne se parla plus guère.

En 2012, Huahua revint vivre parmi eux, avec son mari. Weimin dut alors réintégrer la chambre matrimoniale, mais en dormant dos à dos. Une question lancinante revenait chez Su Min : « Pourquoi me détestes-tu ainsi ? ». Il répondait par cette triste boutade : « mais tu t’es déjà regardée ? ». Elle soupçonnait que la vraie réponse soit toute autre, liée au fait qu’elle lui ait donné une fille au lieu du garçon attendu. Mais même quand Huahua en 2013 accoucha de deux beaux garçons, tout ce qu’il trouva à faire, fut de reprocher à Su Min ses baisers : ils risquaient de les contaminer !

Un jour qu’elle était sortie dîner avec ses anciennes copines, il pénétra soudain au restaurant, le regard halluciné pour s’écrier à la tablée : « ma femme a des accès de folie… faut pas la croire… si elle vous réinvite, ignorez-la ! ». Après le départ de ce mari si « fourbe et machiavélique » (鬼鬼祟祟, guǐ guǐ suì suì), les copines abasourdies lui suggérèrent de divorcer, mais elle ne répondit que d’un pauvre sourire – chez ces gens-là, on ne divorçait pas ! À présent qu’elle avait abandonné tout espoir en lui, elle se prit à détester tout de lui, jusqu’à son odeur. Il était temps de trouver quelque chose à faire pour refaire sa vie !

Un jour de 2018 sur internet, elle trouva un témoignage de feu, l’exemple d’une autre mal mariée, qui avait trouvé la solution. En un éclair de détermination géniale, elle résolut d’en faire de même. C’était pour elle l’occasion de saisir à bras le corps tout ce qui lui avait manqué toute sa vie, amitiés, rencontres, autonomie, décision… En même temps, cela faisait d’elle une célébrité nationale. Quel était ce chemin ? Un peu de patience ami lecteur, jusqu’au prochain épisode !


Rendez-vous : Semaines du 10 mai au 6 juin
Semaines du 10 mai au 6 juin

10-12 mai, Canton : ASIAN FLOWER INDUSTRY EXPO, Salon asiatique de l’industrie des fleurs

10-12 mai, Pékin : CISILE, Salon chinois international des instruments scientifiques et des équipements de laboratoire

12-15 mai, Shanghai : BIOFACH CHINA, Salon mondial des produits bio

12-15 mai, Shanghai : CHINA BEAUTY EXPO, Salon asiatique international de la beauté

12-15 mai, Canton : PHARMCHINA, Salon international de l’industrie pharmaceutique

13-16 mai, Shanghai : CMEF – CHINA MEDICAL EQUIPMENT FAIR, Salon chinois international des équipements médicaux

14-16 mai, Canton : CPF – INTERNATIONAL PET FAIR, Salon chinois international des animaux de compagnie

17-19 mai, Pékin : CIHIE – CHINA INTERNATIONAL HEALTHCARE INDUSTRY EXHIBITION, Salon international dédié à la santé, la naturopathie, la nutrition et à l’alimentation santé, aux cosmétiques naturels et aux boissons de santé, aux produits sans sucre

17-19 mai, Pékin : NGV CHINA, Salon international du gaz naturel et des équipements pour stations-service

17-19 mai, Pékin : SBW EXPO, Salon professionnel dédié à l’eau potable et à l’eau de source en bouteille

18-20 mai, Nanchang : CAHE – CHINA ANIMAL HUSBANDRY EXHIBITION, Rencontre internationale pour les professionnels de l’élevage en Chine

18-20 mai, Shanghai : SIAL CHINA, Salon international de l’alimentation, des boissons, vins et spiritueux

21-23 mai, Yantai : YANTAI EQUIPMENT MANUFACTURING INDUSTRY EXHIBITION, Salon des équipements pour l’industrie manufacturière

27-31 mai, Canton: TEA EXPO GUANGZHOUSalon du thé

28-31 mai, Shanghai: INTERNATIONAL TEA TRADE (SPRING) EXPO, Salon international du commerce du thé

3-5 juin, Canton: INTERWINE CHINA, Salon chinois international du vin, de la bière, et des procédés, technologies et équipements pour les boissons