Petit Peuple : Tangshan (Hebei) : le mariage de neige (2ème partie)

Tangshan (Hebei) : le mariage de neige (2ème partie)

A Tangshan, Liu Chang et Jia Shihan doivent se marier le lendemain – l’ambiance est fiévreuse…

Selon la tradition, Jia devrait aller à l’aube « enlever » sa belle, avant de l’épouser et de l’emmener chez lui. Ceci signifiait dès potron minet le lendemain, aller chez elle avec copains et membres de son clan, s’installer sur son palier et faire tout un ramdam sans crainte de réveiller tout l’immeuble. Chez Liu, on entre-ouvrirait alors précautionneusement la porte. Dès lors le père de Jia lirait un discours, aux parents de la dulcinée, réclamant la main de leur fille toute de rouge vêtue. Son propre père répondrait par une autre harangue, spécifiant les gages à effectuer par la cohorte des visiteurs pour mériter la donzelle. Durant tous ces palabres, deux croque-notes, l’un jouant du « gu » (tambourin) et l’autre du « luo » (flutiau) remplirait l’air de leurs trilles, et des gobelets de thé seraient distribués à la ronde, tandis que les troupes se mélangeraient en joyeux désordre…

Tout cela, c’était la théorie. Mais le lendemain 19 mars 2022 à l’aube, attendaient deux surprises qui remettrait tout en cause, à savoir pour commencer, 15cm de neige. Bon, à Tangshan, on savait faire face à ce genre d’aléa. En fait, cet imprévu comblait même d’aise les futurs époux, car en ce pays, la neige est de bon présage et évoque la fertilité : avec elle, nos amoureux pouvaient s’attendre à des enfants grassouillets et joufflus. Simplement, du fait du risque de glisser et se rompre le cou, le groupe des « ravisseurs » serait moins nombreux que prévu.

Le second imprévu était autrement plus grave : quand Jia se présenta au portail de chez lui, il trouva les deux battants bloqués d’une chaîne et d’un cadenas. « On ne passe pas », dit le portier revêche, «Ordre de la mairie, pour cause d’Omicron ».

« Mais attends, répliqua le jeune homme, ça ne vaut pas pour moi… je vais me marier ». « Tu vas te marier, mes félicitations, poursuivit le garde, mais ça ne change rien. Même si t’étais Xi Jinping, Mao ou même Marx, tu resterais ici. C’est pour la santé de la Chine, et ça ne se négocie pas. Vous êtes confinés. Le mariage attendra ».

Anéanti, Jia ne trouva plus rien à dire… Il avait l’air idiot, dans son superbe costume col noir, chemise blanche et cravate à paillettes qui transparaissaient sous la parka matelassée kaki. Les copains pas plus que lui, ne savaient que dire ni faire… Finalement, saisissant son téléphone, il appela sa dulcinée.

Entendant la mauvaise nouvelle, Liu eut un coup au cœur. Tout son être se cabra. Une fois ces noces lancées, on ne pouvait plus reculer, au risque de perdre la chance. Jouer avec le destin tracé, c’était irresponsable !

Mais Liu était fille de ressource. Par sa fenêtre, elle constata que le portail de sa résidence restait ouvert. Elle appela le planton – qui lui confirma son soupçon : dans leur rue, la vie continuait. C’est qu’elle-même était de Guye tandis que lui était de Lubei, deux districts très voisins mais administrativement différents. Dans Guye, aucun cas contact n’avait été signalé, contrairement à Lubei. Il était donc confiné et elle pas ! 

En une seconde au téléphone, elle prononça à Liu le mot libérateur : «  J’arrive » !

Il ne lui fallut alors que 10 minutes pour fourguer dans un sac la robe à traîne, les talons hauts, le bibi de dentelle, son nécessaire de maquillage et autres babioles. Puis d’un pas rapide, en sueur en dépit des moins six degrés, elle rejoignit le bloc de son soupirant. Éberlué, le gardien vint à sa rencontre : «Confinement,  on ne passe pas, hurla t-il. « Ben oui, répéta-t-elle tout aussi rondement, confinement. Mais ton règlement ne parle que des gens qui veulent sortir, et pas de ceux qui veulent rentrer. En plus, moi, c’est autre chose… faut m’laisser entrer, j’vais m’marier ! »

« Euh, attendez, je vais en référer » fit le sbire en bafouillant. Car cette fois, la stupéfaction avait changé de bord : depuis quand des gens sont-ils volontaires pour aller se faire emprisonner ? Cela dépassait le sens commun ! Dans sa cabine, elle le vit empoigner le combiné du téléphone d’urgence, appeler les responsables, l’un après l’autre vu que tous n’y pigeant rien, se renvoyaient la balle et bottaient en touche afin d’éviter tout retour de flamme ultérieur : le cadre du Parti dans la résidence, celui de la cellule « santé-Covid » du district, puis la mairie d’arrondissement. Enfin le sous-fifre ressortit casquette en travers, pour donner le verdict d’une voix mal assurée : « Tu peux entrer, mais pas ressortir. OK ? »

Mais déjà, la fille ayant repris son baluchon restait solidement campée devant le portail : « Une fois qu’on est mariés, on peut vivre ensemble autant de temps qu’on voudra. La loi n’en a plus rien à faire. Alors, où est le problème ? » Derrière les barreaux, se gelant comme elle, attendait Jia, dans les bras duquel elle se jeta. Dès lors, les plans anticipés depuis des mois s’envolèrent à la seconde, et les plans B s’improvisèrent à la minute. Armée de shampoing, ciseaux et séchoir, une voisine lui fit sa coiffe. Une autre s’apprêtait à lui faire son maquillage, quand entra un duo en scaphandre blanc, ordonnant un test PCR. Tous obtempérèrent le sourire aux lèvres, sans même maugréer, avant de poursuivre les préparatifs, une fois le résultat négatif dûment consigné.

Pendant ce temps, un troisième voisin trouvait sur internet un protocole de cérémonie civile : face aux mariés sur le canapé agrémenté de grappes de ballons rouges, il fit l’officiant – les parents de Liu firent les témoins.

Depuis le matin, sa mère et les voisines bricolaient une collation pour la quinzaine de convives racolés dans la tour. Dès 9h, les invités au banquet officiel avaient été décommandés. Pour le restaurant, un accord avait été négocié avec le chef, compréhensif vue la force majeure.

Après le déjeuner, les jeunes mariés se retirèrent pour une sieste – une avance sur la nuit de noce. Pendant ce temps, le frère de Liu qui avait filmé ce mariage atypique, l’avait mis en ligne : par son aspect insolite, la nouvelle charma la Chine, égayant la morosité du confinement national. Quand Liu et Jia se réveillèrent, ils étaient déjà célèbres, assiégés de demande d’interviews, avec des dizaines de paparazzi accrochés aux grilles, pointant vers leur balcon leurs téléobjectifs.

Depuis ce jour, loin de s’épuiser, le confinement s’étend en rangs d’oignons. Pour meubler leurs jours, après des grasses matinées non regrettées, les jeunes mariés répondent à la presse et aux internautes. Ils jouent au « Uno ». Jia donne à Liu des leçons d’anglais, qu’il maitrise pour avoir séjourné quatre printemps au Royaume-Uni.

Un grand moment de chaque journée, tous les jours, consiste à piocher, sur la pyramide des cadeaux de mariage, un paquet au hasard. La grande attraction consiste à deviner qui en est l’auteur, à partir d’indices tels son coût évalué et son style. Hier, c’était une machine à marmite mongole (qu’ils croient venu d’une collègue de Liu). Aujourd’hui, c’est un bon pour un dîner à deux dans un grand hôtel (don du patron de Jia). A ce rythme d’ouverture des cadeaux, ils peuvent tenir un mois, sans penser à sortir… manière nouvelle, mais très chinoise de s’entraîner à la patience, et à faire mentir le proverbe, 久病床前无孝子 (jiǔ bìngchuáng qián wú xiàozǐ), « quand la maladie dure, aucun enfant n’endure de rester au lit » ! 

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