Petit Peuple : Kaihua (Zhejiang) – La saga du trésor caché (2ème partie)

Résumé de la Partie 1 : En 1915, Wang Dali trouve 128 pièces d’argent, et les cache dans sa maison. Cent ans plus tard, elles sont retrouvées par les maçons de Zhan Xinlong, le nouveau propriétaire. Mais qui est le véritable bénéficiaire du trésor ?

Ce matin de janvier 2015, à Kaihua, (Zhejiang) dans le mur de la bicoque que Zhan Xinlong avait achetée en 2009 à Wang Shima pour une bouchée de « mantou », les maçons trouvèrent 128 pièces d’argent.
L’apparition du trésor fit l’effet d’une bombe dans le village. Une fois la cassette dégagée des moellons du mur, il n’avait pas fallu 5 minutes à Zhan pour venir récupérer son bien.

Sur sa balance, l’apothicaire les avait pesées à 26 grammes, à 0,89% de pureté. Mais leur valeur était très supérieure au numéraire : ces rares « dollars grosse tête », éphémère monnaie de Yuan Shikai, disparue de la circulation presque aussi vite qu’elle était apparue en 1915, allaient chercher jusqu’à 2000 yuans pièce—soit 250.000 yuans au total.

Comme on le sait, les nouvelles vont vite ! Cinq heures plus tard, déboulait de Ningbo, à 364 kms de là, Wang Guiye, la furieuse épouse de Wang Shima. Tambourinant à la porte d’un Zhan abasourdi, elle s’engouffra chez lui pour lui rappeler qu’il n’avait acquis, en 2009, que la maison, les murs et le sol, mais rien d’autre ! Le trésor dans le linteau appartenait donc aux Wang, et il y resterait. Zhan devait lui restituer tout le butin et s’éviter ainsi bien des tracas : les rigueurs de la loi, frais de justice et d’avocat…

Zhan bien sûr, ne l’entendait pas de cette oreille. Les murs, les trésors, tout ce qui figurait sur place au moment de la cession, était à lui dès conclusion de la transaction d’achat. Il était poliment désolé, mais non, tout était à lui, et « bonsoir madame ».

Mais la tigresse continua de s’époumoner. Il était tard. Simple cultivateur, Zhan n’était pas coutumier des grandes phrases : de guerre lasse, la mort dans l’âme, il laissa la femme repartir triomphante, avec 14 de ses précieuses rondelles d’argent. Par pusillanimité, il oublia de réclamer en échange, une promesse écrite que son geste enterrerait le litige ! 

De toute manière, dans Kaihua, la mèche du tonnelet de poudre continuait à brûler : le comité du village se réveillait. Dame, c’était bien lui, l’allocataire de tout bien sur la commune, au nom du droit foncier issu de la Révolution, qu’avait du passé fait table rase ! C’était bien lui qui avait payé il y a 20 ans pour les vieux jours de Wang Xiaopeng (le veuf qui habitait la baraque jusqu’à sa mort en 1999). Et c’était bien lui qui avait ensuite réalloué la maison, en l’absence d’héritier direct, au neveu Wang Shima, installé à Ningbo et qui avait délaissé son oncle à son sort. Après tout cela, le maître du trésor, n’était pas Zhan, ni Wang mais le Comité, lequel saurait quoi en faire, pour ses projets au village !

L’affaire, on l’aura compris, avait réveillé une vieille souffrance, née du démantèlement du rêve d’égalitarisme par Deng Xiaoping, avec sa formule célèbre, « il est légitime que certains s’enrichissent avant les autres » ! 

Fin avril 2015, le contentieux prit un nouveau tournant : deux plaintes furent simultanément déposées, et une retirée. L’épouse de Wang réclamait les 114 pièces que Zhan avait omis de lui rendre. Le fermier réclamait la restitution des 14 pièces inconsidérément cédées, et le comité du village lui, après vérification de ses arguments juridiques, préférait – non sans un soupir – renoncer à ses droits, vu la faiblesse de ses arguments. A ce que lui assurait son avocat, son argumentation reposant sur base morale et idéologique, ne tenait pas la route, face à l’article de la loi. 

Aussi le 16 mai, tout ce beau monde se retrouva dans la salle du village, invité par un tribunal détaché de la Cour intermédiaire de Ningbo. Le cœur battant, les plaideurs affûtaient depuis des mois leurs arguments, consultaient, lisaient leur code juridique, sans se rendre compte du danger autrement plus insidieux qui rampait vers eux. 

Car le juge et les experts, l’avocat général, toute cette magistrature ambulante, fit très bientôt découvrir une argumentation totalement nouvelle, insolite et inattendue, contre laquelle nul ne pouvait rien. Le propriétaire des pièces était celui qui les avait cachées, ou ses descendants. L’équation de la propriété légitime se résolvait donc à l’identité du déposant—et aux pièces à soumettre à titre de preuve. Or, à défaut de cette preuve, la propriété devenait celle de l’Etat—autrement dit, du tribunal qui, à titre conservatoire, fit saisir séance tenante 90 pièces.

On pourra se demander pourquoi 90, et non pas toutes ? Au village, la rumeur court que Zhan, en payant davantage le juge que Mme Wang, aurait pu ainsi conserver une petite partie de son trésor. En attendant, le verdict n’est pas tombé, le procès se poursuit. 

A Kaihua, la fièvre une fois retombée, il se dit—mais un peu tard– que Zhan et Wang eussent cent fois mieux fait de s’entendre discrètement, plutôt que d’en appeler à l’autorité. Comme dit le proverbe, « quand le héron et l’huître se disputent, c’est le pêcheur qui ramasse la mise » (yùbàng xiāng zhēng, yúwēngdélì – 鹬蚌相争,渔翁得利) !

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