Diplomatie : Chine, Russie, Inde – Le triangle asiatique

Deux missions en deux semaines définissent les rapports de la Chine avec ses puissants voisins d’Inde et Russie—des relations aux styles différents, avec pour points communs le pragmatisme et l’absence d’illusion ; la méfiance culturelle (héritage du passé) et les perspectives irrésistibles de croissance par la mondialisation. 

Les 9-10 mai à Moscou, le Président Xi Jinping assistait au défilé de la 70ème commémoration de la victoire sur le nazisme (cf photo). Surtout, assisté de ses ministres, il négociait longuement avec V. Poutine, tous deux anxieux de prouver au monde l’approfondissement de leur alliance. 

C’est que l’annexion de la Crimée se paie au prix fort : les sanctions occidentales, mettant son économie à plat, forcent la Russie à rééquilibrer ses relations vers l’Est. D’ici 2020, les leaders espèrent doubler les échanges à 200 milliards de $ : chose plus facile à dire qu’à faire, vu l’énormité du rattrapage à effectuer : en 2014, Pékin échangeait 592 milliards de $ avec les Etats-Unis, et « seulement » 95 milliards de $ avec l’allié russe. 

Les 32 contrats signés permettent de faire « quelques pas » : 6 milliards de $ prêtés par Pékin pour le tronçon initial de la première ligne de TGV russe, Moscou-Kazan (770km, en 210 minutes, au coût total de 21 milliards de $) ; 2 milliards de $ en projets agricoles ; 3 milliards de $ pour la construction de 100 avions gros-porteurs Sukhoï ; un barrage de 320MW à construire sur la rivière Bureya ; un fonds mixte d’équipement russe de 25 milliards de $ ; la déclaration d’intention pour le futur gazoduc de Sibérie orientale, et une alliance entre Polyus et China Gold Corp, pour l’exploration aurifère, y compris en Asie Centrale…

D’autres décisions apparaissent plus des effets d’annonces que des réalités tangibles : les yeux dans les yeux, Poutine et Xi se jurent de ne plus s’espionner sur internet, de s’assister mutuellement dans la lutte anti-corruption ; et depuis 8 jours (10-21 mai), 9 frégates russes et chinoises évoluent de concert en Méditerranée—une première !

Mais les limites de cette entente sautent vite aux yeux : au dernier moment, sans raison donnée, la TV chinoise a renoncé à diffuser la grande parade du 9 mai à Moscou, quoiqu’une garde d’honneur de 102 soldats chinois y ait participé. De même, quoique signé depuis 2014, l’ accord de livraison de gaz russe pour « 400 milliards de $ en 30 ans » reste en panne, faute d’accord sur le prix. Entre ces deux pays, la vieille méfiance demeure. Elle se cristallise autour de deux dossiers :
– Pékin, qui paie les additions, veut « mener la danse », et ne plus devoir se positionner en n°2.
– Tandis que Moscou redoute l’attractivité des Routes de la soie sur ses ex-Républiques telles Biélorussie et Kazakhstan – où Xi est également passé lors de sa visite, et a aussi offert des largesses. Or celles-ci, angoissées par l’affaire ukrainienne, voient désormais la Chine d’un œil plus favorable : c’est un autre prix à payer par Poutine pour son aventure militaire.

ModixijinpingxiantempleNarendra Modi,1er ministre indien, entamait une visite (14-16 mai) Xi’an- Pékin. En septembre 2014, la visite « aller » de Xi en Inde avait été perturbée par une mystérieuse incursion armée chinoise au Ladakh (frontière-Ouest), sans doute instiguée par des adversaires militaires de Xi Jinping. A présent, l’incident est donc clos, et Xi s’est rendu à Xi’an, la ville de ses ancêtres, pour accueillir l’hôte de marque. Modi apparait plus que jamais soucieux du rapprochement. A ceci, on voit deux raisons évidentes : 

– En janvier, Modi signait avec Obama un traité de « Protection de la sécurité régionale dans l’Océan Indien », aussi fait pour contester l’avancée chinoise en mer de Chine du Sud. Aussi, après cet acte de confrontation, Modi rectifiait le tir, choisissant d’aller aussi, et en même temps vers le rapprochement. Pour laisser la Chine investir sur terre indienne, il renonce désormais à un rouage essentiel de la diplomatie de ses prédécesseurs, en conditionnant toute ouverture du marché indien aux investissements lourds chinois, à un abandon par Pékin de toute revendication territoriale en Inde (Ladakh, Arunachal). Ce jeu du rebrassage des alliances, Modi le manie aussi vers la Russie, les USA, le Japon, l’Europe : jeu risqué, qui modifie les équilibres stratégiques fragiles de la région. Mais il peut rapporter gros : toutes ces puissances rivalisent pour investir en Inde et en gagner l’alliance…
La Chine veut y bâtir un axe TGV New Delhi-Chennai (1754km, 36 milliards de $), un autre Kunming (Yunnan)-Calcutta via Pakistan et Bangladesh, et les parcs industriels de Pune et Vadodara. D’ici 2020, ses financements doivent y passer des 1 milliard de $ actuels à 20 milliards, Mais les choses démarrent sur les chapeaux de roue dès cette mission, avec 22  milliards engagés sur 26 projets d’investissement notamment dans les énergies renouvelables. 

D’autres projets démesurés sont sur la table : une exploration de nodules polymétalliques au Pacifique Ouest, et l’ouverture du marché indien à une gamme de smartphones chinois à 100$ pièce, signés Xiaomi, Lenovo, Coolpad, Huawei… 

Ici aussi, enfin, entre Chine et Inde, la méfiance reste bien là : Modi n’a pas oublié l’affaire du « collier de perles » (la tentative chinoise de comptoirs navals autour de l’Inde). Depuis son arrivée au pouvoir, Modi a visité le Sri Lanka, l’île Maurice et les Seychelles afin d’y reconfirmer son influence traditionnelle, et il prétend aussi à présent obtenir de Xi Jinping une « coordination en mer de Chine du Sud » – un partage de pouvoir, auquel la Chine n’est à cet instant certainement pas prête.

Avez-vous aimé cet article ?
Note des lecteurs:
0/5
17 de Votes
Ecrire un commentaire