Le Vent de la Chine Numéro 19 (XX)

du 16 au 22 mai 2015

Editorial : France/Chine – Le printemps bilatéral

La France décidément, a la cote en Chine. Depuis les crises des années ‘90, ces temps sont révolus : de longue date, la météo est au beau fixe, permettant aux diplomates des avancées significatives dans des domaines modestes, mais changeant la vie pour leurs bénéficiaires, et ces progrès tous ensemble faisant le printemps bilatéral. 

Ainsi, 600 profs de gym chinois, d’ici décembre, suivront une formation de formateurs de football à Toulouse - dans le cadre d’un plan national chinois pour créer 50.000 clubs en Chine en 10 ans. Parallèlement, un réseau se crée à Pékin, pour faire assister 15 000 Chinois à l’Euro 2016 de football, dans les 10 villes de France devant accueillir le tournoi. 15 000 billets, c’est peu, par rapport aux 2,5 millions mis en vente, mais ces fans dépenseront au moins 1500€ par personne.
Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères était les 15 et 16 mai entre Pékin et Tianjin. Il est convenu avec la vice-Premier ministre Liu Yandong, que les deux pays échangeront désormais 1000 stagiaires par an, réglant ainsi le vieux problème des visas pour les jeunes venant s’initier quelques mois en entreprise. Pour autant, les entretiens ont aussi ont permis de préparer la visite du 1er ministre Li Keqiang en France fin juin (à Paris et à Toulouse), et d’avancer dans des domaines aussi divers que la prévention de la violence conjugale, ou la coopération en matière d’urgence-santé. Les universités ne sont pas à la traîne : la Chine, sous 5 ans, financera les études de 10.000 jeunes en France, pour leur faire franchir la barre des 50.000 « avant 2020 », dit Fabius. 

Un dossier important concerne la préparation du sommet mondial climatique COP-21, à Paris fin novembre. La coopération s’emballe, avec pour L. Fabius deux rencontres en deux semaines avec Xie Zhenhua, le négociateur chinois au COP (à Pékin le 16/05, puis à Petersberg, Allemagne, avec A. Merkel). Pour ce sommet qui vise la signature d’un traité mondial de réduction des émissions de CO2, la Chine doit remettre avant l’été ses offres de coupes contraignantes. Pour L. Fabius, pas de doute, la Chine, premier pays émetteur avec 30% du total mondial, est prête à prendre des mesures « courageuses et rapides », et elle est volontaire pour aider la France à réussir « son » sommet. D’ici l’ouverture du COP-21, les échanges vont s’intensifier entre Chine et ses autres grands partenaires climatiques (USA, Union Européenne, Inde etc), à tous niveaux – présidentiel, ministériel, et des ambassades, entre autres. Dans ce ballet diplomatique, la France aura le premier rôle, en tant que pays-hôte du sommet, responsable ultime du succès ou de l’échec.
Un des fruits de ce beau temps bilatéral, est le voyage organisé de 6400 touristes du groupe privé Tiens (cf photo), de 4 jours entre Paris et la Côte d’Azur, moyennant une masse de records battus au livre Guinness : 20 millions d’€ de rentrées estimées, 140 hôtels à Paris (79 à Cannes et Nice), des soirées « privées » au Louvre et aux Galeries Lafayette, 146 bus, 84 avions…
L. Fabius annonce un autre groupe de 4000, pour septembre. Mais dès maintenant, ce tourisme chinois de masse, en entreprise, s’enflamme comme feu de poudre, avec (14-26 mai) à Pattaya (Thaïlande), 12 700 invités du groupe Infinitus, qui promet d’en faire venir 20.0000 l’an prochain ! C’est peut-être un signe de temps nouveaux et gigantesque, pour offrir la planète à une Chine désormais capable de se l’offrir.


Société : Une cartographie anathème

Vers quel bord politique tendent les Chinois ? Deux doctorants au MIT et à Harvard, J. Pan et Xu Yiqing , ont tenté de répondre à cette question anathème (pour le régime) mais légitime (pour les chercheurs). A partir d’un sondage mené par des étudiants de Beida en 2014, ils ont réalisé une carte politique du pays. 171 830 internautes anonymes de 29 provinces (localisés grâce à leurs adresses IP) ont répondu à 50 questions audacieuses pour ce pays ( « faut-il reprendre Taiwan de force ? », « peut-on aimer hors du mariage ? »...). Deux visions antagonistes de la société en ressortent : – une dans la tradition Mao, autoritariste, centralisatrice et nationale ;- une libérale, plus proche de l’Occident et des droits de l’Homme. 

On ne s’étonnera pas de trouver la 1ère à l’intérieur (en rouge sur la carte) et la 2de à la côte (en bleu). Un tiers du territoire reste inclassable, en violet (mixte) et en gris (manque de données).Sans surprise, le libéralisme est affaire d’éducation et de fortune. Les zones « ouvertes » sont celles riches telles Shanghai, Guangdong et Zhejiang. Les plus conservatrices sont les plus pauvres et excentrées –Xinjiang, Guizhou et Guangxi.
Plus en détail, l’étude dévoile une lame de fond autoritaire, animée par la peur du lendemain. Jilin et Heilongjiang, aux conglomérats frappés par la crise, se referment : les aînés y sont plus libéraux que la jeunesse. Même constat en Mongolie Intérieure aux richesses (minières) mal réparties et au peuple moins éduqué. De même, Pékin, se classant à la 4ème place des régions libérales, recule à la 6ème au classement des moins de 25 ans.
L’impact de l’histoire est également visible : quoique plutôt riche, le Hunan, patrie de Mao, garde de vieilles opinions très « gardien du temple », et à Chongqing, les campagnes rouges initiées par Bo Xilai, laissent une nostalgie auprès d’un 3ème âge rêvant d’un retour d’une gouvernance moins matérialiste et plus équitable. Enfin au Xinjiang, la violence des dernières années et l’absence probable des Ouighours au sondage, suffisent à expliquer une opinion obnubilée par un pouvoir fort, une « tolérance zéro ».

Ainsi, cette carte politique offre un précieux instantané de la société chinoise – en dépit de faiblesses tel son échantillonnage statistique contestable et l’absence de données comparatives antérieures.
Côté pouvoir, Global Times récuse l’exercice, déniant que des circonstances, économiques et autres, puissent générer des variations de perception entre les régions. Mais qu’on ne s’y trompe pas : ce travail aura nourri la réflexion, au sein du Parti et en dehors. D’autant qu’une conclusion s’impose, dérangeante mais têtue, que le pouvoir ne désavouerait pas : aujourd’hui en Chine, une démocratie « à l’occidentale » serait dangereuse, en risquant de dresser des régions contre d’autres.


Diplomatie : Chine, Russie, Inde – Le triangle asiatique

Deux missions en deux semaines définissent les rapports de la Chine avec ses puissants voisins d’Inde et Russie—des relations aux styles différents, avec pour points communs le pragmatisme et l’absence d’illusion ; la méfiance culturelle (héritage du passé) et les perspectives irrésistibles de croissance par la mondialisation. 

Les 9-10 mai à Moscou, le Président Xi Jinping assistait au défilé de la 70ème commémoration de la victoire sur le nazisme (cf photo). Surtout, assisté de ses ministres, il négociait longuement avec V. Poutine, tous deux anxieux de prouver au monde l’approfondissement de leur alliance. 

C’est que l’annexion de la Crimée se paie au prix fort : les sanctions occidentales, mettant son économie à plat, forcent la Russie à rééquilibrer ses relations vers l’Est. D’ici 2020, les leaders espèrent doubler les échanges à 200 milliards de $ : chose plus facile à dire qu’à faire, vu l’énormité du rattrapage à effectuer : en 2014, Pékin échangeait 592 milliards de $ avec les Etats-Unis, et « seulement » 95 milliards de $ avec l’allié russe. 

Les 32 contrats signés permettent de faire « quelques pas » : 6 milliards de $ prêtés par Pékin pour le tronçon initial de la première ligne de TGV russe, Moscou-Kazan (770km, en 210 minutes, au coût total de 21 milliards de $) ; 2 milliards de $ en projets agricoles ; 3 milliards de $ pour la construction de 100 avions gros-porteurs Sukhoï ; un barrage de 320MW à construire sur la rivière Bureya ; un fonds mixte d’équipement russe de 25 milliards de $ ; la déclaration d’intention pour le futur gazoduc de Sibérie orientale, et une alliance entre Polyus et China Gold Corp, pour l’exploration aurifère, y compris en Asie Centrale…

D’autres décisions apparaissent plus des effets d’annonces que des réalités tangibles : les yeux dans les yeux, Poutine et Xi se jurent de ne plus s’espionner sur internet, de s’assister mutuellement dans la lutte anti-corruption ; et depuis 8 jours (10-21 mai), 9 frégates russes et chinoises évoluent de concert en Méditerranée—une première !

Mais les limites de cette entente sautent vite aux yeux : au dernier moment, sans raison donnée, la TV chinoise a renoncé à diffuser la grande parade du 9 mai à Moscou, quoiqu’une garde d’honneur de 102 soldats chinois y ait participé. De même, quoique signé depuis 2014, l’ accord de livraison de gaz russe pour « 400 milliards de $ en 30 ans » reste en panne, faute d’accord sur le prix. Entre ces deux pays, la vieille méfiance demeure. Elle se cristallise autour de deux dossiers :
– Pékin, qui paie les additions, veut « mener la danse », et ne plus devoir se positionner en n°2.
– Tandis que Moscou redoute l’attractivité des Routes de la soie sur ses ex-Républiques telles Biélorussie et Kazakhstan – où Xi est également passé lors de sa visite, et a aussi offert des largesses. Or celles-ci, angoissées par l’affaire ukrainienne, voient désormais la Chine d’un œil plus favorable : c’est un autre prix à payer par Poutine pour son aventure militaire.

ModixijinpingxiantempleNarendra Modi,1er ministre indien, entamait une visite (14-16 mai) Xi’an- Pékin. En septembre 2014, la visite « aller » de Xi en Inde avait été perturbée par une mystérieuse incursion armée chinoise au Ladakh (frontière-Ouest), sans doute instiguée par des adversaires militaires de Xi Jinping. A présent, l’incident est donc clos, et Xi s’est rendu à Xi’an, la ville de ses ancêtres, pour accueillir l’hôte de marque. Modi apparait plus que jamais soucieux du rapprochement. A ceci, on voit deux raisons évidentes : 

– En janvier, Modi signait avec Obama un traité de « Protection de la sécurité régionale dans l’Océan Indien », aussi fait pour contester l’avancée chinoise en mer de Chine du Sud. Aussi, après cet acte de confrontation, Modi rectifiait le tir, choisissant d’aller aussi, et en même temps vers le rapprochement. Pour laisser la Chine investir sur terre indienne, il renonce désormais à un rouage essentiel de la diplomatie de ses prédécesseurs, en conditionnant toute ouverture du marché indien aux investissements lourds chinois, à un abandon par Pékin de toute revendication territoriale en Inde (Ladakh, Arunachal). Ce jeu du rebrassage des alliances, Modi le manie aussi vers la Russie, les USA, le Japon, l’Europe : jeu risqué, qui modifie les équilibres stratégiques fragiles de la région. Mais il peut rapporter gros : toutes ces puissances rivalisent pour investir en Inde et en gagner l’alliance…
La Chine veut y bâtir un axe TGV New Delhi-Chennai (1754km, 36 milliards de $), un autre Kunming (Yunnan)-Calcutta via Pakistan et Bangladesh, et les parcs industriels de Pune et Vadodara. D’ici 2020, ses financements doivent y passer des 1 milliard de $ actuels à 20 milliards, Mais les choses démarrent sur les chapeaux de roue dès cette mission, avec 22  milliards engagés sur 26 projets d’investissement notamment dans les énergies renouvelables. 

D’autres projets démesurés sont sur la table : une exploration de nodules polymétalliques au Pacifique Ouest, et l’ouverture du marché indien à une gamme de smartphones chinois à 100$ pièce, signés Xiaomi, Lenovo, Coolpad, Huawei… 

Ici aussi, enfin, entre Chine et Inde, la méfiance reste bien là : Modi n’a pas oublié l’affaire du « collier de perles » (la tentative chinoise de comptoirs navals autour de l’Inde). Depuis son arrivée au pouvoir, Modi a visité le Sri Lanka, l’île Maurice et les Seychelles afin d’y reconfirmer son influence traditionnelle, et il prétend aussi à présent obtenir de Xi Jinping une « coordination en mer de Chine du Sud » – un partage de pouvoir, auquel la Chine n’est à cet instant certainement pas prête.


Diplomatie : Conflit de mer de Chine du Sud – Le dernier tournant

Le conflit latent depuis des années entre Chine et autres riverains en mer de Chine du Sud, prend un tournant nouveau et inquiétant. Depuis 2014, Pékin qui exige la quasi-totalité de l’espace maritime, ne laissant aux voisins que 12 milles marins (20km) le long de leurs côtes, renfloue 5 atolls à étapes forcées aux Spratleys (au large de Palawan, Philippines), ayant déjà quadruplé leur taille à 800ha. 

Selon le Pentagone, image satellite à l’appui (cf photo), une des îles aurait un aéroport en cours d’aménagement, capable d’accueillir des chasseurs-bombardiers, et toutes devraient recevoir des radars, mettant l’APL en état d’imposer l’interdiction de survol ou de passage. 

Or, l’élément nouveau vient –bien tardivement– des Etats-Unis qui réagissent, soucieux de garantir la pérennité de cette « artère jugulaire » de l’humanité, par laquelle transitent 5 trillions de $ de marchandises par an, dont l’essentiel des 600 milliards de $ des échanges sino-US. 

Rompant le silence, Obama avertit par Pentagone interposé, qu’il « prépare » des patrouilles aériennes et navales vers les chantiers contestés. En avant-première du Dialogue Stratégique Economique sino-américain (17-18 mai), John Kerry, Secrétaire d’ Etat aux Affaires étrangères annonce (11/05) qu’il viendra rappeler « très clairement » le principe de la liberté de navigation. Pentagone et maison Blanche seraient « de plus en plus décidés » à exprimer « activement » leur refus de toute poursuite des travaux. « On peut monter des bâtiments sur une île, déclare en substance Kerry, mais pas la souveraineté sur elle ».

Quel objectif vise cette réponse ? Contraindre à des concessions, et suggérer que les Etats-Unis ont devant eux d’autres options futures. 

Pourtant, la Chine a tenté ces semaines passées de prévenir ce raidissement. La porte-parole Hua Chunying qualifiait ces constructions de « raisonnables et légitimes », tenté de les présenter comme « au service de la stabilité […] et de la communauté internationale ». 

Puis après l’avertissement de Kerry, elle rétorquait vertement : les pays concernés doivent « s’ abstenir de provocations risquant de fragiliser la paix », et la Chine va « résolument sauvegarder la souveraineté et sûreté de son territoire ».

Ainsi, de part et d’autre, on hausse le ton mais avec beaucoup d’effet de théâtre, et souci de ménager l’adversaire. Les patrouilles de l’US Army ne sont pas « décidées » mais au stade de la « réflexion », et en tout état de cause, elles s’arrêteraient à 12 milles de l’objectif— à peine assez pour un contact « à l’horizon », vu d’avion. 

Idem, ce Dialogue Stratégique abordera d’autres thèmes où Etats-Unis et Chine ont plus de consensus, tels la Corée du Nord et son cyclothymique dictateur Kim Jong-un (qui viendrait d’exécuter à coup d’obus son ministre de la Défense), et telle la préparation de la visite de Xi aux USA en septembre prochain. 

Il n’est d’ailleurs pas inenvisageable que la pression américaine, pour l’instant au stade verbal, ait été conçue à seule fin de rassurer les petits pays d’Asie, sur la solidité de leur alliance avec l’Oncle Sam : mais sans intention de la faire suivre d’effets, ni de compromettre le lien avec la Chine…

Ces pays, d’ailleurs, ne misent pas tout sur le parapluie militaire américain : le Vietnam s’est mis à son tour mis à renflouer « ses » atolls aux Spratleys (augmentant leur surface, à ce jour, de 25 hectares). Les Philippines viennent d’envoyer des journalistes sur l’îlot de Thitu, une de ses 9 possessions dans l’archipel, que Manille veut ouvrir au tourisme international. La Chine ne rate pas l’occasion de dénoncer les actions des deux pays, selon l’argument de « pourquoi eux et pas moi ? ». 

Elle reste muette sur l’avancée de Taiwan, en train de parachever discrètement un port à 100 millions de $ sur son unique îlot. Ainsi, chaque riverain s’est mis à développer sa part de l’archipel selon ses propres moyens – mais à ce petit jeu, aucun n’atteint l’échelle d’investissement du Céleste Empire. 

Face à ce développement, les puissances aussi –et pas que Washington– sortent de l’apathie : tous, pour soutenir les petits pays riverains. Le Japon vient de tenir des exercices navals avec la flottille philippine (12/05), et lui livrera 10 garde-côtes neufs, fin 2015. La 6ème flotte US sollicite son retour à 8 bases aux Philippines, dont Clark et Subic, qu’elle avait dû quitter en 2012. Moscou conclut avec le Vietnam un pacte de défense et (au grand dam de l’APL) lui livre 50 missiles mer-air, logeables à bord de ses sous-marins russes de classe Kilo. 

Pas de doute, le conflit s’internationalise très rapidement, et la Chine est seule contre tous. Mais c’est un isolement qu’elle connaît bien et dans lequel elle semble à l’aise… L’affaire est promise à des rebondissements dans les mois à venir : l’été pourrait être chaud.


Politique : Anticorruption – En un combat douteux

Après près de deux ans, la campagne anticorruption perd de la vapeur. La dernière arrestation d’un tigre, Zhao Liping (n°2 à la CPPCC de Mongolie Intérieure) remonte à mars. Signal négatif, le procès de Zhou Yongkang, l’ex-patron de toutes les polices et figure de proue des princes rouges sous les verrous, se voit reporté : il aurait rétracté ses aveux, pour certains. Mais pour d’autres, ses puissants acolytes tel Jiang Zemin parviendraient à bloquer la procédure. 

Faute de pouvoir coincer des hauts personnages, la CCID, police interne du Parti s’attaque à des agences. 63 bureaux locaux de l’Environnement sont mis sur la touche, accusés d’être soudoyés par les industriels. De même, elle dénonce une « nouvelle corruption » qui est en fait la paralysie administrative et la grève du zèle, pour éviter d’être punis. Après sa visite au Zhejiang (8-10 mai), Wang Qishan, président de la CCID (et fidèle de Xi Jinping) accuse ses agents de rechigner à procéder aux arrestations, et finit par comparer, en un soupir, la CCID à « un chirurgien qui s’opère lui-même ». Autre signe d’autodéfense : les conglomérats évitent l’arrivée des inspecteurs financiers en enquêtant « spontanément » sur la corruption en leur sein : Baidu, le moteur de recherche, débarque ainsi trois directeurs de département.
Dans la presse, faute de spectaculaires arrestations, on publie des chiffres de corruption, extravagants mais d’époque déjà révolue : China Railway Construction Corp est convaincu d’avoir grillé 135 millions de $ en 2012, en frais d’« hospitalité d’affaires ». 

Sur cette toile de fond morose, la bataille enregistre au moins un succès : Li Huabo, n°2 sur la liste des 100 transfuges à l’étranger (cf photo), en cavale depuis 2014 avec 94 millions de ¥ de la caisse de sa « danwei » (détournés pour une folle nuit de jeu à Macao), rentre au pays menottes aux poignets, extradé de Singapour. Mais la ficelle est un peu grosse : c’est un écran de fumée, pour redonner moral aux troupes.
Ainsi, la bataille fait rage, à l’issue incertaine. Et Xi Jinping, « chevauchant le dos du tigre », ne peut plus faire marche-arrière, l’échéance du XIX Congrès en 2017 clignotant à l’horizon.


Petit Peuple : Qilang (Chongqing) – La bergère mélomane (1ère partie)

Le matin à Qilang, hameau perché sur les collines de Yongchuan (Chongqing), Qin Feng, bergère de 25 ans, se lève aux premiers rais de lumière. Après un brin de toilette, une collation sur le pouce (petit pain-vapeur et thé), elle sort, vêtue d’une veste de grosse toile militaire ocellée gris et vert. Protégée du soleil par un chapeau de paille à larges bords, elle démarre son « bœuf de fer » (motoculteur) et s’engage sur le chemin, contournant les ornières. 

A 5 minutes de là, parvenue aux étroites terrasses de pierre sèche où elle cultive son maïs, elle se met à désherber, couper les plants les plus mûrs, en replanter d’autres. Après une heure de travail à la binette et à la serpe, elle remplit son tombereau d’une meule verte de 2 mètres de hauteur : il est temps de rentrer. À la ferme, son retour provoque la même joyeuse cavalcade de sabots sur la terre sèche, de bêlements : ses 100 chèvres brunes mouchetées de blanc se disputent les meilleures places derrière leur auge. 

À 9 heures, le moment est venu d’inspecter ses petites chéries, surveiller celles qui montent en chaleur, soigner écorchures et piqures de taons qui pourraient s’infecter. A 15 heures, elle les mène pâturer dans la vallée voisine, les écartant des plantations avec un long bambou. 

21h, après dîner (un bol de lait caillé, quelques légumes étuvés, un œuf parfois), c’est enfin son moment à elle. Elle va dans la resserre rendre visite à son vieux piano droit, qu’elle époussette d’un chiffon doux avant de relever le clapet, et s’asseoir. Elle fait silence, le temps de choisir l’air correspondant à l’ambiance de la nuit, sonate de Mozart ou Gnossienne de Satie. En plein « wuwei » (无为principe taoïste de recueillement dans l’inaction), elle laisse les notes filer, la régénérer par leur puissance magique. 

Une fois par mois, de Chengdu où il travaille, vient la rejoindre Li Zhenqiao, que son père lui a fait épouser, en un mariage de raison plus que de passion. Avec cet ex-militaire, en dépit du fait que tous deux nés sous le signe du Cheval, l’entente n’est pas toujours facile.. Faute d’avoir lui-même étudié, Li ne peut admettre que Qin Feng, diplômée de l’université, s’obstine à garder ses biquettes et ait quitté la ville, là où tout le monde rêve de migrer.

Les voisins aussi la trouvent bizarre. Au début, cela les faisait rire de la voir tenter de se faire entendre de ses chèvres en leur chantant de la musique —et des airs étrangers, en plus. Le résultat était exactement le même que pour cet idiot de la légende, qui prétendait « jouer du luth pour une vache » (对牛弹琴,duì niú tán qín). Pensez donc, même pas un chien pour l’aider à rabattre le troupeau!
Y’avait çà, et puis aut’chose. Les premiers jours, elle laissait ses bêtes crever de faim dans l’enclos, faute de savoir quoi trouver pour les nourrir. Vraiment, cette fille était aussi faite pour jouer la fermière, que nous autres pour jouer dans un orchestre. Et pis la nuit, c’était le pire, elle jouait du piano toute seule, sans personne pour l’écouter, comme des formules incantatoires : certains parmi nous la disaient un peu sorcière !

Mais bon, la p’tite, on ne pouvait pas lui ôter cela, à défaut d’avoir du savoir-faire, jamais elle n’avait baissé les bras. Le moment de vérité était arrivé à l’été 2013, quand sur une de ses chèvres, geignant, étaient apparues des plaies noirâtres sur sa robe. En trois jours, quatre bouquetins étaient morts sans que la bergère puisse réaliser ce qui se passait. 

Qin Feng savait qu’il lui faudrait se débrouiller seule. Affectant d’ignorer que l’infection était partie de leur propre cheptel, les voisins s’étaient barricadés pour la prophylaxie et ne voulaient même pas lui parler. Quant au vétérinaire, il ne fallait pas y penser : elle n’en avait pas les moyens. Prenant une des bêtes, elle l’avait disséqué sur la table de la cuisine. Puis sur internet, elle avait été sur un forum, et y avait décrit les symptômes : un collègue lui avait appris quel était le mal –la variole caprine-, comment la soigner –en désinfectant les plaies, et par des injections d’antibiotiques. Un autre lui avait fourni l’adresse en ligne de la pharmacie vétérinaire, lui permettant de se faire livrer en 24 heures. 

Tous les jours durant un mois, elle avait lutté, soignant et piquant ses malades. Peu à peu, la maladie avait commencé à reculer. Stupéfaits, les voisins l’avaient vu gagner une victoire sur laquelle nul n’aurait parié, et qui allait la faire remonter dans l’estime générale.

Cet incident lui servit de leçon. Désormais, tout moment de liberté fut mis à profit pour surfer sur la toile pour apprendre les trucs du métier : quels additifs donner pour embellir, engraisser les chèvres, à quel moment vendre au meilleurs cours… De la sorte à l’automne, par le jeu des naissances, son cheptel était bien en chair et en parfaite santé, sans compter de nombreux bouquetins, les plus beaux du canton. Au marché de Yongchuan, vendant les animaux surnuméraires sur pied ou à la livre, elle en tira 80.000 yuans—un vrai pactole, en plus de sa toute fraîche, flatteuse réputation ! 

Mais qu’est-ce qui avait arraché Qin Feng, la mélomane, à sa vie en ville et l’avait amené à cet improbable métier ? Vous le saurez au prochain numéro !


Rendez-vous : Semaine du 18 au 24 mai 2015
Semaine du 18 au 24 mai 2015

16 mai, Pékin : Marathon de la Grande Muraille

17-19 mai, Qingdao : CAHE, China Animal Husbandry Exhibition, Salon de l’élevage en Chine

18-19 mai, Pékin / 20–21mai Shanghai : OIL China, Salon de l’huile d’olive et des huiles végétales

19-21 mai, Shanghai : China Beauty Expo, Salon de la beauté

20-22 mai, Pékin : CIPATE Salon et Symposium sur les équipements de police et les technologies d’anti-terrorisme

20-22 mai, Shanghai : Wind Power Forum China: Salon et Conférence sur l’énergie éolienne en Chine

20-22 mai, Suzhou : EMEX, Salon des fabricants d’électronique

20-23 mai, Canton : Chinaplas, Salon des industries du plastique et caoutchouc

China Glass

20-23 mai, Pékin : China Glass, Salon des techniques industrielles du verre

21-22 mai, Shanghai : Payment China, Conférence sur le marché des moyens de paiement

21-23 mai, Yantai : Salon des équipements pour l’industrie manufacturière

23-25 mai, Dalian : Hospital Build & Infrastructure China, Salon des hôpitaux et de l’infrastructure de santé

25 mai, Shanghai : World’s Leading Wines, Rencontres d’affaires des importateurs et distributeurs de vins de qualité