Petit Peuple : Pékin, Jiangxi – le surdoué misanthrope

À Xinyuan (Jiangxi), Shen Xiushan est un surdoué de naissance. Dès l’enfance il fut le premier de la classe, adorant apprendre, sans effort. Inutile de ressasser les leçons jusqu’à minuit comme les copains : rien qu’à entendre le maître, il les savait d’avance. Les devoirs, il les faisait au propre tout de suite et obtenait « 20 », invariablement. Dès le premier jour, Xiushan s’ était montré capable de dériver l’essence de la leçon. Seul parmi tous, il savait associer ses cours, même entre différentes matières et trans-poser, associer, induire, inventer. Son esprit libre inquiétait ses professeurs ou les remplissait de fierté, selon les cas. 

Avec de tels dons, il obtenait à 17 ans, au bac (gaokao) de 2005 le second plus haut score de la province, conquérant ainsi de haute lutte sa place dans toutes les universités. Séduit par l’ouverture d’esprit, la liberté de pensée qu’on lui y promettait, il avait choisi Beida (Pékin), l’assurant du droit de continuer à pratiquer son bouddhisme, dont il était déjà adepte. 

C’est ainsi qu’à Pékin, en marge de sa maitrise de droit et d’anglais, il avait continué son initiation au temple de Longshanzi – centre spirituel dont le prieur, membre du Parti, attire de longue date les cohortes de jeunes, avenir de la nation. Ces derniers souhaitant connaître en même temps les deux pouvoirs dans l’existence, le temporel (en guignant la carte du Parti, qui vous ouvre les meilleurs emplois publics) et le spirituel (en suivant dès maintenant les préceptes de Bouddha Sakyamuni pour s’assurer une meilleure position dans le cycle des réincarnations).

C’est au cours d’une des retraites auxquelles il s’astreignait dans les collines autour de la capitale (prétextes à exercices de veille, de jeûne et autres épreuves cathartiques) que Xiushan avait rencontré la belle Ji Meiren en 2009. Diplômé, il travaillait désormais dans un des meilleurs cabinets de traduction de Pékin. D’abord charmé par la modestie de Meiren, sa concentration dans la prière, son sourire espiègle face au prieur, Xiushan l’avait provoquée en débat théologique. L’amourette avait gentiment grandi, plus rêvée qu’assumée – « fleur bleue ». 

Un an après, tout bascula. Maladroit, il s’était montré insistant. Et Meiren, si elle l’ aimait bien en camarade, ne le voyait pas du tout en « pe-tit ami ». Lui qui s’évertuait à la voir «parfaite » et «unique » se retrouva rembarré, confronté au premier échec de sa vie. Un peu oiseuse, la donzelle lui conseilla de « se concentrer sur les exercices spirituels, quitter les voies de la passion et de la chair ». 

En fait, soupçonnait Mme Liu, la patronne de Xiushan, tout cela n’était chez Meiren que pure coquetterie : profitant de sa supériorité, elle s’amusait cruellement à faire courir le pauvre Xiushan à perdre haleine. 

Voilà donc le flirt rompu. Mortifié, Xiushan décida de se retirer au Gansu, finir ses jours dans un cloître pour 觉照心念 (jué zhào xīn niàn), « apprendre à maîtriser son cœur ». Parfois à vrai dire, en pleines affres de sa nuit, il rêve de la voir venir le rechercher en haut de sa montagne du Gansu, le ramener à la ville et lui, son lion superbe et généreux, pardonner à l’infidèle. Sauf qu’en ce film qu’il se joue, Xiushan a oublié un paramètre : ses parents, qui ne l’entendent pas du tout de cette oreille ! Depuis leur Jiangxi, ces braves paysans n’ont pas fait ces sacrifices pour voir leur fils disparaître, les laissant sans soutien pour leurs vieux jours. 

Si Xiushan persiste dans sa lubie, ils l’avertissent : papa se tuera aux pesticides, et maman en jeûnant. Alors face au chantage, Xiushan conclut un accord : avec son baluchon, il partira 12 mois, puis reviendra épouser « n’importe qui », la fille de leur choix, pour leur donner l’héritier qu’ils exigent. 
Tout cela sonne bien imma-ture, commente Mme Liu. Ce jeune connaît l’étude, l’univers des concepts, mais il ne sait rien des choses du corps, des plaisirs, et reste sans défense face aux manipulations des autres, de l’égoïste péronnelle, comme de ses parents qui, c’est évident, n’auraient pas mis leurs menaces à exécution. C’était sa vie, et non la leur ! 

Aussi, quelle différence entre Xiushan et la Chine antique, éprise d’harmonie du corps, de l’âme et de l’esprit ! N’étant qu’une âme pure, non formé à l’écoute, il devra vivre seul en lui-même. Xiushan, pourtant si brillant, finira desséché et sans amour… Sauf si le ciel s’en mêle et rectifie le tir. Il le fera peut-être, le Ciel : on dit sa compassion infinie, surtout envers des jeunes en souffrance d’avoir tout appris – sauf à vivre.

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