Diplomatie : Arctique – Grand troll chinois contre petite sirène scandinave

Le 12 mars à Oslo (Norvège), au Sommet Arctique organisé par The Economist, Yang Huigen fit sensation, en annonçant pour cet été un convoi de cargos chinois sur la route Arctique, de Shanghai vers l’Europe. Yang, Président de l’Institut de recherche polaire chinois, évoquait l’enthousiasme des armateurs, « grâce » au réchauffement global de cet axe jusqu’à présent emprunté par 46 navires seulement, dont le Xuelong (cf photo), le brise-glace de l’Institut, acheté à l’Ukraine. 

Il faut dire que l’enjeu est fort. Pour un minéralier moyen, une seule de ces navettes signifie l’épargne de 5200 km sur la route de Suez, 15 jours, et près de 400.000 $ (40% des frais en carburant et salaires). Pour la Chine, pense Yang, faire passer entre 5 et 15% de ses échanges en 2020 par l’Arctique donnerait un volume d’affaires de près de 700 milliards $ et des centaines de cargos. 

Certes, tempère C. Bonfils, de Nordic Bulk Carriers (l’armateur danois ayant lancé 10 vraquiers en 2012 le long de la route froide), le potentiel restera limité durant des décennies par les risques de glaces errantes (imposant des coques renforcées de type « ice-class ») et par la météo : la rou-te Nord-Est n’est libre que de fin juillet à novembre, et la route centrale, passant sur le pôle Nord, que de fin août à septembre. Mais même ainsi, cette route promet le bond en avant d’industries nouvelles tel le tourisme de luxe – menaçant la paix d’un paradis fragile. Puis les glaces arctiques régressant de 10% par an, d’ici 2050, elles devraient avoir disparu. 

Dès lors débutera un « grand jeu », où les écologistes risquent de ne pas faire le poids, face aux appétits insatiables des puissances : la course aux 13% de pétrole qui restent à prendre (selon une estimation du très sérieux US Geological Survey en 2008), aux 30% de gaz naturel, sans compter les dépôts de charbon et minerais. Contrairement à l’Antarctique, l’Arctique n’a pas de Traité international. Le Conseil Arctique a quelques compétences et est composé des cinq pays riverains, Scandinavie et Russie – la mieux placée pour se tailler la part du lion dans cette future corne d’abondance dégelée. 

Aussi Pékin, comme d’autres, vise un titre d’« observateur permanent » au Conseil Arctique. Jusqu’à hier, ses chances étaient minces, les titulaires défendant jalousement leurs prérogatives exclusives. Et la grosse colère de Pékin contre la Norvège en 2010, qui avait osé octroyer le prix Nobel de la Paix au prisonnier dissident Liu Xiaobo, n’avait rien arrangé. 

Mais les choses changent. Comprenant son intérêt, la Chine a commencé par « suggérer » que si on la laissait à l’écart, elle pourrait contester la légitimité du Conseil, lui créer un concurrent avec un groupe de pays alliés – comme elle avait créé en 2010 son « prix Confucius » contre le Nobel de la paix. Puis elle paie, sans rechigner, et promet plus, en cas de satisfaction : au Groenland, elle investit 2,3 milliards de $ sur une mine de fer à Nuuk, qui lui rapportera 15 000 tonnes par an : ses 3000 mineurs chinois « pèseront » 4% de la population nationale. Tels arguments convainquent : le président d’Islande, Sauli Niinistö arrivera à Pékin (6-10/04), reçu avec « tapis rouge ». À Oslo, le MAE norvégien E.B. Eide tourne casaque, soudain favorable à l’adhésion. La décision est pour mai : le vent chaud qui la précède, semble annoncer à coup sûr la fonte de cette glace ! 

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