Le Vent de la Chine Numéro 11

du 24 au 30 mars 2013

Editorial : Russie, Afrique : deux priorités de Xi Jinping

À peine dans son siège de Président, Xi Jinping éprouve le besoin urgent de parler au monde après 6 mois de gel diplomatique : avec les USA, la Scandinavie, l’Asie… Le 22/03, il s’envole en Russie et en Afrique (25-30/ 03) régions unies par le lien ténu des 5 BRICS, pays émergents qui tiennent leur 5ème sommet à Durban (26-27/03). Que Xi choisisse ces 2 destinations pour sa première sortie à la tête de l’Etat, c’est expliciter une profonde priorité non occidentale, pour la « Chine renouvelée » qu’il veut créer durant ses 10 ans de mandat. 

Sur la Russie, il faut revenir au voyage de Xi à Shenzhen en décembre 2012, où il fustigeait la chute de l’URSS et l’« erreur fatale » de Gorbatchev qui avait risqué une réforme politique. Traumatisé par la perte du « jardin d’Eden » rouge planté par Lénine et Staline, le PCC semble conclure que soutenir le régime autoritaire de V. Poutine est une des stratégies efficaces contre la démocratie de l’Ouest, sa bête noire. Par exemple : leur coopération à l’ONU sur des positions anti-américaines ou leurs vastes efforts en cours pour brider la liberté de l’internet en Chine et en Russie . 

En deçà de la sensibilité idéologique, les deux pays partagent une rare complémentarité économique, entre une Russie riche en énergies fossiles et une Chine riche en bras et en équipements low-cost. En 2012, les échanges s’élevaient à 88 milliards de $ (+11%) : d’ici 2020, Pékin et Moscou veulent passer à 200 milliards de $, surtout par les hydrocarbures. Sous réserve d’in-ventaire, Poutine et Xi pourraient boucler 10 ans de palabres en convenant de livraisons russes de 68 milliards de m3 de gaz (45% des besoins chinois de 2012) et 50 millions de tonnes de pétrole par an d’ici 2018, triplant le volume présent. 

D’autres secteurs seraient encouragés, tel le tourisme, dont Xi vient lancer « 2013 en Russie » – programme de visites des lieux saints de la révolution communiste par les nostalgiques chinois. De commun accord, l’enjeu économique premier est d’équiper la Sibérie, porteu-se d’immenses richesses exploitées, que Moscou ne peut développer seul. 

Dernier sens de la mission russe de Xi : quoique Moscou ait du mal à l’admettre, par rapport aux années ‘50, le rapport s’est inversé, Pékin est devenu le nouveau Grand Frère. La preuve, ces 30 milliards $ que Pékin doit prêter à Rosneft, remboursable avec sa manne pétrolière. 

Puis Xi se rend au Sommet de Durban. Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud y négocieront une banque de développement, capitalisée peut-être (au début) de 10 milliards $ par pays membre. Qu’on ne s’y trompe pas, l’ambition sino-russe est forte : « transformer l’architecture financière internationale vieillissante ».

Xi se rendra aussi en Tanzanie puis au Congo, comme pour exprimer au bloc africain la volonté de son pays d’accélérer leur émergence et d’exposer ses puissants moyens. Xi doit annoncer (ou plutôt confirmer) 20 milliards $ en financement de chantiers chinois en Afrique. Les prêts de la seule CDB s’élèvent déjà à 16 milliards de $, dont 700 millions $ à des PME. Les échanges se montent à 200 milliards de $ en 2012, surtout en minerais et hydrocarbures, où la Chine investit par ailleurs. En Namibie, une filiale du groupe ECE (Nankin) ouvre une mine de fer à Kunene, pour en extraire « 3MMt de minerai en 100 ans ». Au Sierra Leone, la SISG (Shandong) paie 1,5 milliard de $ pour 25% de la mine de Tonkolili. La Chine en fait, s’apprêterait, selon un expert, à réduire des 2/3 sa production de minerai de fer, à 100 millions de tonnes, pour importer le reliquat –à moindre prix et moindre pollution. 

Bien sûr, la démarche ne va pas sans bavures : pollution des sites et export des produits en privant les pays africains de la valeur ajoutée en transformation. Mais l’histoire évolue vite : l’Afrique se prépare déjà à voir en la Chine « un rival » autant que « un sauveur ». Et Pékin commence à adjurer ces pays, autant que ses groupes industriels, de pratiquer le « commerce équitable », au nom d’une « vision à long terme ». Sans doute, assiste-t-on à un genre de passage à l’état adulte, de part et d’autre ! 

Légende photo : Xi Jinping et son épouse, Peng Liyuan, à Moscou le 22 mars 2013.


Dernière minute : Typhon dans le Sud de la Chine

Dernière minute !

Débutée le 19/03, la tempête sur cinq provinces du Sud de la Chine se poursuit : pluies diluviennes, grêlons de la taille d’œufs. Le typhon endommage 248.000 structures à Dongguan (Canton), fait chavirer un bac à Nanping (Fujian). Au 22 au soir, 24 morts, 215.000 évacués, et pour 210 millions de $ de dégâts étaient enregistrés.


Défense : Hackers du monde entier, unissez-vous !

Des Etats-Unis, une onde de choc jaillit contre la Chine le 19/02, quand Mandiant, firme de cyber sécurité, accusa l’unité 61398 de l’APL, de vol de centaines de téraoctets des ordinateurs de 141 sociétés et organes de pays de l’Ouest. Mandiant rassemblait un faisceau de présomptions à partir des adresses IP et des horaires d’action : 8h à 24h, du lundi au vendredi. Quoique supposés être des hackers isolés, ces centaines, voire milliers d’employés travaillaient dans une tour de Datong Lu à Shanghai, et se reposaient le week-end. Ils avaient aussi un profil rare et traçable, spécialistes en informatique et anglophones. China Telecom aurait également équipé l’ unité 61398 (alias APT-1) de fibre optique dernier cri, pour « des besoins de sécurité nationale ». L’espionnage a duré des mois, voire jusqu’à 4 ans, permettant de dériver des données confidentielles de ministères, multinationales…

L’accusation suscita de fortes réactions. Depuis, le Pentagone a créé un « Cyber Command », prêt à agir « contre d’autres nations, en cas d’une attaque majeure », dit son créateur le Général K. Alexander. Le 11/03, T. Donilon, Conseiller-sécurité d’Obama, déclare que les frappes chinoises ont dépassé le seuil critique : – Pékin est priée de Œ reconnaître la gravité du problème, – prendre des mesures, -Ž négocier un code de conduite acceptable. Obama lui-même, ose confirmer en interview que des entreprises piratant des intérêts américains sont « commissionnées par des puissances étrangères ».

Classiquement, la Chine réagit en niant de front, du ministère de la Défense à celui des Affaires étrangères. Les adresses IP ne constitueraient pas une preuve. Et même s’il y avait hacking, il n’y avait pas « espionnage », faute de normes légales. Puis Pékin se dit aussi victime de hackers : 144.000 cas par mois, dont deux tiers émanant des USA. Le Général Wang Hongguang, n°2 à la région de Nankin, traita les Etats-Unis de « voleur qui crie au voleur ». 

Enfin le 12/03, Pékin saute le pas, admet l’existence d’un problème et se dit prêt à négocier. Non sans subtilité, il propose d’élargir le dialogue « dans un esprit de respect mutuel et de confiance », à l’ensemble de la communauté internationale, « pour maintenir la sécurité, l’ouverture et la paix » de l’internet. Pragmatisme ou duplicité ? En tout cas, l’offre arrive au bon moment. Depuis les années ‘90, les nations laissent croître un internet sans foi ni loi, laissant la partie belle au piratage. Voici l’occasion de normaliser, pour prévenir entre elles une série de guerres informatiques. 

Par ailleurs, on constate un autre volet de l’action du régime sur l’internet : la cybercensure, créée de toutes pièces par Liu Yunshan il y a 10 ans. Une enquête récente de l’université de New Mexico évalue à 4200 le nombre des policiers filtrant Weibo, le twitter chinois, à l’aide d’un appareillage importé, très sophistiqué. Ils balayeraient en permanence 12% des messages. Depuis novembre, « la grande muraille de feu » s’en prend aux VPN, services permettant à des millions d’internautes d’obtenir des données non censurées. Le système chinois bloque chaque compte VPN et est capable d’apprendre automatiquement de sa surveillance. « Tout se passe comme si, dit cet expert, la Chine tentait de couper du monde l’internet chinois « . 
En tout cas, le travail de Liu Yunshan, semble être apprécié « en haut » à sa juste valeur : au XVIII. Congrès en novembre, il a été promu à l’organe suprême du Comité Permanent, au poste de Li Changchun.


Diplomatie : Etats-Unis et Chine : le dialogue plus fort que jamais

Le dialogue avec les USA, qui reste le plus essentiel pour Pékin, n’a pas tardé à reprendre. Après son « élection » du 15/03, Xi Jinping recevait l’appel d’un B. Obama, le félicitant ET lui signalant ses soucis sur le taux de change du yuan et sur le massif hacking chinois contre des centaines de sites américains. Puis arrivait le Secrétaire d’Etat au Trésor J. Lew (18-19/03) (cf photo) suivi de l’appel à Wang Yi, ministre des Affaires étrangères, de J. Kerry (20/03) précédant sa venue en avril, ainsi que celle du Général M. Dempsey, patron de l’état-major américain interarmes. C’est une ruée de négociateurs américains qui débute. Reçu au «top niveau », Lew a rencontré Xi Jinping, Li Keqiang, Lou Jiwei (ministre des Finances) et Zhou Xiaochuan (Gouverneur de la Banque Populaire de Chine). 

Lew réclame la « réduction » des barrières au commerce et à l’investissement – il ne va pas jusqu’à espérer leur levée, qui mettrait les géants US de l’internet, de la banque ou de la bourse, sur pied d’égalité avec leurs homologues chinois sur le marché chinois, et supprimerait les nombreux cas de dumping à l’export. Le côté chinois lui, brandit un langage plus militant, offrant de « bâtir l’avenir dans une vision stratégique et de long terme ». On sent une fenêtre d’opportunité chez ces nouveaux gouvernements, ces hauts cadres, dont la démarche vers l’autre est souvent la première dans leur nouveau poste. 

Comme la vague porte le surf, la coopération déjà intense des années passées porte cette demande de rapprochement. Par ses achats massifs de bons du Trésor, Pékin est de facto le banquier des USA (d’où la visite de Lew, ancien expert des finances). Les USA en 2012 haussaient de 4,5% leurs IDE en Chine, quand ceux du monde reculaient (–3,7%), et le commerce bilatéral progressait à 485 milliards de $ (+8,5%). 

Bien sûr, ces espoirs d’entente sont tempérés de méfian-ce réciproque. La plus forte est militaire : un peu comme la Russie sur sa côte d’Extrême Orient, et pour les mêmes raisons, les USA réarment. Ils équipent la Corée du Sud en missiles « pour se défendre de la Corée du Nord », et S. Locklear, commandant de l’US-Army en Asie Pacifique, discute avec le chef des forces nippones, S. Iwasaki, de réactions groupées en cas d’invasion chinoise des îles Diaoyu-Senkaku. 

Une autre action est législative : la 3ème tentative au Congrès pour forcer la Chine, par rétorsion sur ses exports, à laisser son yuan flotter selon la loi du marché. Essai pas forcément légitime, et peu dangereux : deux projets du même type ont échoué en 2011 et 2012, le yuan s’étant apprécié de 16% depuis lors. 

Dernier contentieux, le projet américain de Traité de libre échange (TPP) entre 11 pays du Pacifique (dont Philippines et Vietnam) devrait se conclure en 2013, laissant la Chine dehors. Par la voix du vice-représentant au Commerce, D. Marantis, Washington joue l’ambigüité, affirmant que le TPP reste « ouvert à la Chine, mais qu’il lui faudra pour réussir, maintenir de hauts standards de négociation ». 

Au final, ce qu’il faut retenir, est l’évidente volonté des partenaires de s’entendre. Vu les moyens déployés, ils ne peuvent que réussir. L’inconnue est jusqu’où ils veulent aller, moyennant quelles concessions réciproques, et en intégrant où non les autres nations, leurs partenaires… Les rênes sont dans les quatre mains de Xi Jinping et d’Obama ! 


Diplomatie : Arctique – Grand troll chinois contre petite sirène scandinave

Le 12 mars à Oslo (Norvège), au Sommet Arctique organisé par The Economist, Yang Huigen fit sensation, en annonçant pour cet été un convoi de cargos chinois sur la route Arctique, de Shanghai vers l’Europe. Yang, Président de l’Institut de recherche polaire chinois, évoquait l’enthousiasme des armateurs, « grâce » au réchauffement global de cet axe jusqu’à présent emprunté par 46 navires seulement, dont le Xuelong (cf photo), le brise-glace de l’Institut, acheté à l’Ukraine. 

Il faut dire que l’enjeu est fort. Pour un minéralier moyen, une seule de ces navettes signifie l’épargne de 5200 km sur la route de Suez, 15 jours, et près de 400.000 $ (40% des frais en carburant et salaires). Pour la Chine, pense Yang, faire passer entre 5 et 15% de ses échanges en 2020 par l’Arctique donnerait un volume d’affaires de près de 700 milliards $ et des centaines de cargos. 

Certes, tempère C. Bonfils, de Nordic Bulk Carriers (l’armateur danois ayant lancé 10 vraquiers en 2012 le long de la route froide), le potentiel restera limité durant des décennies par les risques de glaces errantes (imposant des coques renforcées de type « ice-class ») et par la météo : la rou-te Nord-Est n’est libre que de fin juillet à novembre, et la route centrale, passant sur le pôle Nord, que de fin août à septembre. Mais même ainsi, cette route promet le bond en avant d’industries nouvelles tel le tourisme de luxe – menaçant la paix d’un paradis fragile. Puis les glaces arctiques régressant de 10% par an, d’ici 2050, elles devraient avoir disparu. 

Dès lors débutera un « grand jeu », où les écologistes risquent de ne pas faire le poids, face aux appétits insatiables des puissances : la course aux 13% de pétrole qui restent à prendre (selon une estimation du très sérieux US Geological Survey en 2008), aux 30% de gaz naturel, sans compter les dépôts de charbon et minerais. Contrairement à l’Antarctique, l’Arctique n’a pas de Traité international. Le Conseil Arctique a quelques compétences et est composé des cinq pays riverains, Scandinavie et Russie – la mieux placée pour se tailler la part du lion dans cette future corne d’abondance dégelée. 

Aussi Pékin, comme d’autres, vise un titre d’« observateur permanent » au Conseil Arctique. Jusqu’à hier, ses chances étaient minces, les titulaires défendant jalousement leurs prérogatives exclusives. Et la grosse colère de Pékin contre la Norvège en 2010, qui avait osé octroyer le prix Nobel de la Paix au prisonnier dissident Liu Xiaobo, n’avait rien arrangé. 

Mais les choses changent. Comprenant son intérêt, la Chine a commencé par « suggérer » que si on la laissait à l’écart, elle pourrait contester la légitimité du Conseil, lui créer un concurrent avec un groupe de pays alliés – comme elle avait créé en 2010 son « prix Confucius » contre le Nobel de la paix. Puis elle paie, sans rechigner, et promet plus, en cas de satisfaction : au Groenland, elle investit 2,3 milliards de $ sur une mine de fer à Nuuk, qui lui rapportera 15 000 tonnes par an : ses 3000 mineurs chinois « pèseront » 4% de la population nationale. Tels arguments convainquent : le président d’Islande, Sauli Niinistö arrivera à Pékin (6-10/04), reçu avec « tapis rouge ». À Oslo, le MAE norvégien E.B. Eide tourne casaque, soudain favorable à l’adhésion. La décision est pour mai : le vent chaud qui la précède, semble annoncer à coup sûr la fonte de cette glace ! 


Energie : Suntech – Grandeur et ruine du « soleil d’or »

En 2011, Suntech, de Wuxi, était n°1 mondial de la cellule photovoltaïque, avec une capacité de production de 2400 mégawatts. Le 20/03, faute de rembourser une obligation de 541 millions $, il fait faillite avec 1,14 milliard $ de dettes.

Raison : la surproduction, induite par un plan trop généreux de subventions chinoises (le plan « Soleil d’or »). En 2012, les prix des cellules baissaient de 68%… À l’automne, un ministre a estimé le besoin de fermer les 2/3 des capacités pour assainir le secteur. De fait, tous souffrent, tels d’autres géants comme LDK Solar ou Yingli Green Energy. 

Pour Suntech, créé par Shi Zhengrong (ingénieur surdoué, formé en Australie, première fortune chinoise en 2006), la mairie de Wuxi tente de recoller les morceaux – deux mois de grâce, mais pour le sauver, il faudrait un miracle. 

Le nouveau pouvoir change son fusil d’épaule : fin annoncée des aides aux gros constructeurs, qu’il reporte sur les petits, pour décourager la production de masse. Il subventionne les créations de fermes solaires : en 2013, il doublera la capacité à 12,7GW, et la septuplera à 35GW fin 2015, tout en offrant une aide amincie à 0,35¥/kWh. Mais reste à savoir si cet effort ne sera pas une nouvelle erreur…

Erreur ou pas, en renouvelables, la Chine va de l’avant : en 2012 pour la 1ère fois, avec +28% de hausse de capacité et 26TWh, les créations d’éoliennes dépassent l’électricité thermique (12TWh). 


Politique : Bo Xilai refait surface

Le 20 mars, une fuite apparait dans Epoch Times, journal de dissidents chinois en exil : suite à sa mise aux arrêts 12 mois en arrière, Bo Xilai serait accusé d’avoir fomenté un coup d’Etat. Au même moment, pas par hasard, le journal Caixin accuse lui aussi Bo Xilai, mais d’un délit moins grave, la débauche – 170 maîtresses, parfois mineures, avant sa chute. Deux chefs d’inculpation possible, pour deux voies judiciaires fort différentes, politique ou de droit commun.

Si le chef d’inculpation de tentative séditieuse est retenu, cette faute très lourde contre le régime ne peut avoir pour verdict qu’une peine capitale, et contrairement à sa femme Gu Kailai (condamnée pour l’assassinat d’un homme d’affaires britannique), sans sursis de deux ans. Si elle est appliquée, une fraction importante du pays, notamment à l’intérieur, dans les milieux ruraux et au sein des très influentes familles des « princes rouges », seraient veuve d’un passé révolutionnaire que Bo incarnait : un tel procès du type « bande des quatre », aurait l’effet d’une démaoïsation. 

À la perturbante rumeur, Epoch Times ajoute que des personnalités militaires et de la sécurité publique seraient impliquées dans le complot : si tel est le cas, le pouvoir pourrait souhaiter, par réalisme politique, s’en tenir au chef d’inculpation de licence sexuelle. Ce serait, en chinois, « épargner le rat pour sauver le vase » (tóushǔjìqì, 投鼠忌器), ou encore, « éviter d’agiter la barque » (bié huàngdòng zhè chuán, 别晃动这船). En tout cas, le silence prolongé du pouvoir, depuis juin dernier, suggère des tractations ’ intenses, inévitables vu l’enjeu. 


Petit Peuple : Heilongjiang – Jin Yingqi, voyageur de noces

Originaire d’un hameau perdu de la province du Heilongjiang, Jin Yingqi était doué pour les études. En 2002, il entrait à l’université de technologie de Harbin, et en sortait ingénieur en 2005 à 21 ans. Quoi de plus naturel alors, que de réaliser un rêve d’ado, le temps de faire la césure ? Avec deux sacoches, un sac à dos, Jin sauta sur son vélo pour un tour de Chine : un an de bon temps à admirer la route, aimer les gens, dormir chez l’habitant, souper à la fortune du pot.

De retour au bercail en 2006, maigre et bronzé, au lieu d’aller cueillir l’emploi bien payé auquel son diplôme lui donnait droit, Jin fit des petits jobs pour renflouer sa caisse –il ne rêvait qu’à repartir. Ce qu’il fit en 2007, cette fois à moto. Aux parents qui s’inquiétaient, il opposa un argument subtil, auquel ils ne pouvaient que souscrire : ce dernier trip, il le plaça sous le signe de la promotion des Jeux Olympiques, qu’il faisait de ville en ville. Ce qui ne l’empêcha pas d’être volontaire secouriste en 2008 lors du séisme du Sichuan, se couvrant ainsi d’une gloire éphémère. 

De retour au pays, il ouvrit sans grande inspiration, un karaoké pour gagner sa vie. Mais l’affaire végétait, vu sa manie de fermer régulièrement pour des virées dans les provinces voisines. Ses parents s’irritaient de le voir gaspiller sa jeunesse. Quant aux grands-parents, ils lui rappelèrent sérieusement l’humiliation du clan, de voir son espoir d’avenir virer au fruit sec : l’heure était venue de se marier, produire du revenu, un héritier ! A ce discours, Jin ne sut que répondre… Il savait qu’il devait les satisfaire. Mais aucune des filles qu’on lui présentait ne lui plaisait – il trouvait ridicule et d’un autre âge, la pratique de l’entremetteuse. En vérité, il avait une idée derrière la tête : il allait repartir pour son dernier périple, pour enterrer sa vie de garçon et trouver l’obligatoire dulcinée. Craignant une dernière diablerie, les parents se sentirent malgré tout rassurés de la bonne volonté du fils : pour cette fois encore, ils acceptèrent.

Ayant vendu son KTV, Jin acquit une fourgonnette de seconde main, qu’il redécora en « minibus de l’amour », avec stickers portant son nom, 100 petits cœurs et son n° de portable essaimés partout sur la carrosserie. Puis le cœur gai, avec 40.000 yuans en poche, il partit papillonner à travers la vaste Chine. 

Croyant avoir la berlue, les gens des villes voyaient ce fou stopper sur la Grand-Place, hurler au mégaphone « amour, où es-tu ? », sans se décourager des quolibets, avant de filer des tirades déjantées, entrecoupées de romances taiwanaises à l’eau de rose. « Elle » n’aurait besoin d’être ni riche, ni belle. Qu’« elle » se contente d’être honnête, travailleuse, patriotique et surtout, de le supporter lui ! De la sorte, en un an, il arpenta 260 villes et 17 provinces. A Fuzhou, il crut avoir trouvé l’âme sœur chez une réceptionniste d’hôtel – l’affaire dura un mois, avant une rupture orageuse. 

Bizarrement, ce ne fut pas sur un parvis mais sur la toile, qu’il rencontra Zhang Yang, une belle de 28 ans, à Chongqing. Curieuse, elle l’avait appelée en janvier 2012. Ce qu’ils se dirent n’est pas dit dans la chanson, mais leurs échanges devaient être forts, puisqu’au bout de 10 minutes, ils en étaient à échanger les shān méng hǎishì (山盟海誓 « serment sur la montagne et promesse sur la mer ») et à se jurer fidélité éternelle. 

Appelée « union-express », ce genre de pratique est courante en Chine, chez une jeunesse déboussolée qui prétend tuer le temps. Quelques jours après, les noces avaient eu lieu chez lui au village, devant ses parents et grands-parents éblouis, enfin récompensés de leur patience. 

Pas pour longtemps : huit mois plus tard, Zhang et Jin divorçaient, après s’être craché leur fiel au visage, sur Oriental TV, dans une émission de téléréalité : elle l’accusait de lui avoir caché qu’il était paysan, et lui la vilipendait de paresseuse, sale, et gaspillant leur argent…

Bref c’était la catastrophe. On pourrait la dire méritée, pour avoir cherché la compagne d’une vie entière, par des moyens où la désinvolture le disputait à l’aveuglement. 

À y regarder de plus près cependant, Jin venait de vivre sans trahir ses valeurs (la rébellion de sa jeunesse et de son siècle, sa passion de la route), ni la piété filiale (la vertu, le couple, le travail). Sous cet angle, Jin a quelque chose d’un héros mythique, doublé d’un aventurier des temps modernes, sacrifiant tout, avec audace, pour le panache et la beauté du geste !


Rendez-vous : Rendez-vous de la semaine du 25 au 31 mars 2013
Rendez-vous de la semaine du 25 au 31 mars 2013

26-27 mars, Durban, Afrique du Sud : 5ème Sommet des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud)

27-29 mars, Pékin : Intertextile Beijing

27-30 mars, Canton : CIFF, Office Furniture

28-30 mars, Pékin : China MED, Salon des équipements médicaux

28-30 mars, Shenzhen : SICA/ SICTSICW/SIDS, Salons du contrôle industriel, d’automation/outillage/soudage du métal/logiciels de conception

1-3 avril, Pékin : China SIGN, Salon de la Publicité