Editorial : Russie, Afrique : deux priorités de Xi Jinping

À peine dans son siège de Président, Xi Jinping éprouve le besoin urgent de parler au monde après 6 mois de gel diplomatique : avec les USA, la Scandinavie, l’Asie… Le 22/03, il s’envole en Russie et en Afrique (25-30/ 03) régions unies par le lien ténu des 5 BRICS, pays émergents qui tiennent leur 5ème sommet à Durban (26-27/03). Que Xi choisisse ces 2 destinations pour sa première sortie à la tête de l’Etat, c’est expliciter une profonde priorité non occidentale, pour la « Chine renouvelée » qu’il veut créer durant ses 10 ans de mandat. 

Sur la Russie, il faut revenir au voyage de Xi à Shenzhen en décembre 2012, où il fustigeait la chute de l’URSS et l’« erreur fatale » de Gorbatchev qui avait risqué une réforme politique. Traumatisé par la perte du « jardin d’Eden » rouge planté par Lénine et Staline, le PCC semble conclure que soutenir le régime autoritaire de V. Poutine est une des stratégies efficaces contre la démocratie de l’Ouest, sa bête noire. Par exemple : leur coopération à l’ONU sur des positions anti-américaines ou leurs vastes efforts en cours pour brider la liberté de l’internet en Chine et en Russie . 

En deçà de la sensibilité idéologique, les deux pays partagent une rare complémentarité économique, entre une Russie riche en énergies fossiles et une Chine riche en bras et en équipements low-cost. En 2012, les échanges s’élevaient à 88 milliards de $ (+11%) : d’ici 2020, Pékin et Moscou veulent passer à 200 milliards de $, surtout par les hydrocarbures. Sous réserve d’in-ventaire, Poutine et Xi pourraient boucler 10 ans de palabres en convenant de livraisons russes de 68 milliards de m3 de gaz (45% des besoins chinois de 2012) et 50 millions de tonnes de pétrole par an d’ici 2018, triplant le volume présent. 

D’autres secteurs seraient encouragés, tel le tourisme, dont Xi vient lancer « 2013 en Russie » – programme de visites des lieux saints de la révolution communiste par les nostalgiques chinois. De commun accord, l’enjeu économique premier est d’équiper la Sibérie, porteu-se d’immenses richesses exploitées, que Moscou ne peut développer seul. 

Dernier sens de la mission russe de Xi : quoique Moscou ait du mal à l’admettre, par rapport aux années ‘50, le rapport s’est inversé, Pékin est devenu le nouveau Grand Frère. La preuve, ces 30 milliards $ que Pékin doit prêter à Rosneft, remboursable avec sa manne pétrolière. 

Puis Xi se rend au Sommet de Durban. Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud y négocieront une banque de développement, capitalisée peut-être (au début) de 10 milliards $ par pays membre. Qu’on ne s’y trompe pas, l’ambition sino-russe est forte : « transformer l’architecture financière internationale vieillissante ».

Xi se rendra aussi en Tanzanie puis au Congo, comme pour exprimer au bloc africain la volonté de son pays d’accélérer leur émergence et d’exposer ses puissants moyens. Xi doit annoncer (ou plutôt confirmer) 20 milliards $ en financement de chantiers chinois en Afrique. Les prêts de la seule CDB s’élèvent déjà à 16 milliards de $, dont 700 millions $ à des PME. Les échanges se montent à 200 milliards de $ en 2012, surtout en minerais et hydrocarbures, où la Chine investit par ailleurs. En Namibie, une filiale du groupe ECE (Nankin) ouvre une mine de fer à Kunene, pour en extraire « 3MMt de minerai en 100 ans ». Au Sierra Leone, la SISG (Shandong) paie 1,5 milliard de $ pour 25% de la mine de Tonkolili. La Chine en fait, s’apprêterait, selon un expert, à réduire des 2/3 sa production de minerai de fer, à 100 millions de tonnes, pour importer le reliquat –à moindre prix et moindre pollution. 

Bien sûr, la démarche ne va pas sans bavures : pollution des sites et export des produits en privant les pays africains de la valeur ajoutée en transformation. Mais l’histoire évolue vite : l’Afrique se prépare déjà à voir en la Chine « un rival » autant que « un sauveur ». Et Pékin commence à adjurer ces pays, autant que ses groupes industriels, de pratiquer le « commerce équitable », au nom d’une « vision à long terme ». Sans doute, assiste-t-on à un genre de passage à l’état adulte, de part et d’autre ! 

Légende photo : Xi Jinping et son épouse, Peng Liyuan, à Moscou le 22 mars 2013.

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