Editorial : L’« incident » du groupe Wagner vu de Chine

L’« incident » du groupe Wagner vu de Chine

La mutinerie-éclair de Evgueni Prigojine, le patron du groupe de mercenaires Wagner, en Russie le 24 juin, a certainement été source d’inquiétude dans bon nombre de capitales à travers le monde. Pékin en particulier. Il aura fallu attendre la volte-face du chef du groupe paramilitaire, 24h plus tard, pour que le ministère des Affaires étrangères chinois se fende d’un communiqué : « il s’agit d’une affaire intérieure russe », ajoutant que « la Chine soutient la Russie dans le maintien de la stabilité nationale et la réalisation du développement et de la prospérité ».

Même si les commentaires dans les médias nationalistes comme le Global Times et Guancha ont dénoncé l’analyse occidentale voyant en cette révolte un affaiblissement de l’autorité de Poutine, et ont au contraire salué la capacité du leader à « gérer une situation complexe en si peu de temps », plusieurs chercheurs chinois ont plaidé pour se distancier de la Russie, avant qu’il ne soit trop tard…

C’est le cas de Yang Jun, professeur à la China University of Political Science and Law (Pékin), qui a appelé son gouvernement à soutenir ouvertement l’Ukraine et ainsi « éviter de se retrouver entraîné dans le bourbier russe ». Pour Feng Yujun, spécialiste en relations internationales à l’université Fudan, « la situation en Russie s’est peut-être améliorée, mais de profondes divisions politiques perdurent et de nouvelles turbulences ne sont pas à exclure à l’avenir ». D’après Shen Dingli, autre expert shanghaien, « la Chine sera désormais plus prudente dans ses relations avec Moscou ».

La situation en Russie était également au cœur de toutes les discussions des internautes, certains se trouvant confortés dans leur soutien à I’Ukraine, d’autres s’inquiètant de la manière dont le monde verrait la Chine si la Russie perdait la guerre. Nombreux se sont laissés aller à un parallèle historique improbable : Evgueni Prigojine et le puissant général An Lushan, dont la révolte en 755 entraina l’empire Tang dans la ruine et l’anarchie…

Ce qui mène à la question suivante : est-ce qu’un coup de force similaire pourrait avoir lieu en Chine ? Même si Pékin n’entretient pas de groupe paramilitaire comme Wagner, Xi Jinping semble avoir toujours craint – davantage que ses prédécesseurs – d’être renversé par l’Armée Populaire de Libération (APL). C’est la raison pour laquelle le leader s’est employé dès le début de son premier mandat à purger l’APL de ses généraux « déloyaux ». Les cinq années qui suivirent, plus d’une centaine de hauts responsables militaires sont tombés pour corruption. C’est le cas de Guo Boxiong et de Xu Caihou, tous deux vice-présidents de la Commission Militaire Centrale (CMC), ou encore de Fang Fenghui et de Zhang Yang, un rang en-dessous.

Dans le même esprit, lors du XXème Congrès du Parti, Xi Jinping a maintenu à la vice-présidence de la CMC, Zhang Youxia, un vieil ami d’enfance qui aurait dû partir à la retraite, signe que les hommes de confiance de Xi se font rares au sein de l’APL.

Suite à cette révolte, il est probable que Xi cherche à nouveau à s’assurer de la loyauté de ses généraux, scruter leurs moindres faits et gestes (une nouvelle directive adoptée mi-juin exige d’eux qu’ils « purifient leur cercle d’amis », du jamais-vu), poursuivre son jeu des chaises musicales au sein de l’APL et procède à de nouvelles purges.

Il n’aura pas non plus échappé à Xi que l’origine de cette mutinerie remonte à un conflit ouvert entre Prigojine et l’état-major russe, qu’il accusait depuis plusieurs mois de ne pas fournir assez de munitions à ses combattants pour mener la guerre en Ukraine. Appliqué à l’APL, Xi Jinping pourrait vouloir chercher à tuer dans l’œuf toute rivalité éventuelle entre différents commandements.

La dernière leçon que Pékin pourrait tirer de ce coup de force avorté contre le maître du Kremlin est qu’un nationalisme exacerbé est une arme à double tranchant. Politiquement parlant, cela veut dire que des ultra-nationalistes comme Prigojine peuvent vite déjouer les manœuvres d’hommes forts tel que Poutine en tenant des propos encore plus virulents.

Pour parer à ce risque, Xi Jinping semble déjà avoir appelé ses diplomates à davantage de retenue. C’est le cas du nouveau ministre des affaires étrangères Qin Gang, qui n’a pas fait de vagues depuis son entrée en fonction en mars dernier. D’autres « loups guerriers » ont apparemment été mis au placard ou ne seront pas promus : c’est le cas de l’ex-porte-parole Zhao Lijian et de Lu Shaye, jusqu’à hier ambassadeur de la RPC à Paris qui va devenir simple président de l’association du peuple chinois pour l’amitié entre les peuples.

En somme, comme le souligne le très respecté sinologue américain Minxin Pei, même si Xi Jinping est loin de se réjouir des revers subis par Vladimir Poutine – son meilleur allié dans sa confrontation avec les Etats-Unis -, ses difficultés offrent des leçons « trop précieuses » pour que Xi n’en tienne pas compte.

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1 Commentaire
  1. severy

    Au vu de la tournure que prend l’échec de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, cette dernière se révèle n’être aux yeux du monde qu’un tigre de papier.

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