Le veto chinois (et russe) au Conseil de Sécurité de l’ONU (05/02), à une résolution qui tentait de mettre un terme aux canonnades sur les villes de Syrie en encourageant le départ de son dictateur Bachar el Assad, a sans doute permis à ce dernier de gagner du temps. Mais en terme d’image internationale, le prix à payer par la Chine est exorbitant. Ce veto enragea la Ligue arabe dont Nabil el Araby, son Secrétaire Général, déclara dès le lendemain que Russie et Chine avaient «perdu du crédit ». Leurs ambassades, au demeurant, pouvaient s’en apercevoir en direct, se voyant lapidées dans de nombreuses capitales islamiques.
En Chine même, la liste des intérêts lésés est longue. Des groupes d’affaires tels Huawei ou ZTE (télécoms), CNPC, Cnooc (pétroliers), ICBC (banque), Chery (auto) voient compromis leurs rêves de reconstruire cet univers géant en s’appuyant sur des atouts en principe illimités -de leurs technologies à bas prix, leur crédit abondant et jusqu’à hier, une image impeccable de pays-frère. Le plus lésé pourrait être Xi Jinping, le prochain Président en fonction dès octobre. Xi se rend à Washington, ce mardi 14 février, pour resserrer les liens indispensables au succès de son mandat. Mais après ce désagréable veto, Obama, déjà en phase électorale et ayant besoin de satisfaire son opinion publique sensible aux droits de l’homme, risque de le recevoir fraîchement.
Pourquoi un tel gâchis ? En mars 2011, au Conseil de Sécurité, Pékin s’était abstenue sur la Libye, contribuant à sauver les villes libyennes de frappes militaires. Après le vote du 05/02 sur la Syrie, elle tentait de se justifier, disant avoir « été forcée » par un vote trop rapide. Elle argumentait que cette résolution aurait conduit à des violences, comme on les voit déjà en Egypte. Au contraire, son veto cathartique ouvrirait la voie à de «nouvelles initiatives de paix» pour la Syrie martyre…
Evidemment, la Chine avait d’autres enjeux évidents derrière ce veto : l’alliance stratégique anti-américaine, systématique avec la Russie de Poutine, et le principe de la souveraineté des Etats contre les peuples ou régions tentés de s’en affranchir. Aussi, il est assez probable qu’elle devra à l’avenir faire beaucoup plus pour rétablir la confiance avec ces pays et cette région du monde où pour l’instant, il perd beaucoup. Dès le 09/02, comme pour limiter les dégâts, le porte parole Liu Weimin dévoilait la réception à Pékin début février, de Haytham Manna, Président d’une des deux fractions du Conseil National Syrien, alliance pour le rétablissement de la démocratie. Pékin agissait donc, comme pour le Sud-Soudan et la Libye des derniers jours de Kadhafi, en invitant les oppositions, relèves potentielles des dictatures, afin de faire connaissance et de jeter les bases d’une future relation…
La racine de la crise présente ne date pas d’hier : elle est un des prix à payer pour l’absence de réforme du Parti. Le personnel politique-diplomatique est souvent hors-pair, jeune, informé et actif. Mais il est poings liés par des procédures secrètes et byzantines, héritées du passé révolutionnaire. Pour changer de mot d’ordre, il faudrait des majorités à tel organe, un vote au Congrès qui ne se réunit que tous le 5 ans… Bouleversement impossible qui met le pays en décalage avec les événements du monde -décalage de plus en plus insupportable, quand éclatent coup sur coup les grands crises planétaires, monétaire, climatique, alimentaire, la révolution verte du monde arabe…
Pour conclure, revenons à la mission américaine de Xi Jinping. Afin de mieux se faire recevoir, l’héritier du pouvoir apporte des cadeaux conséquents : -l’accord du 25/12 avec le n°1 nippon Yoshihico Noda, prévoyant la réévaluation du yen et du yuan face au dollar, -l’octroi à Citibank, 1ère banque occidentale, le droit d’émettre des cartes de crédit (en yuan), -et surtout la réduction de 50% des achats chinois de brut à l’Iran au 1er trimestre, à 285.000 barils par jour.
Certes, ce recul sert aussi à faire pression sur Téhéran pour baisser ses prix, et Pékin maintient son refus de façade, du boycott occidental. Mais pour la Chine, premier acheteur du pétrole persan (20% de ses exports), c’est une preuve de fidélité : « suivez mes actes, pas mes paroles » !
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