Tribune : La Chine, nouvelle puissance technologique : qu’est-ce que cela veut dire pour nous, Européens ?

La Chine, nouvelle puissance technologique : qu’est-ce que cela veut dire pour nous, Européens ?

Depuis vingt ans, la Chine a accompli d’incroyables progrès sur le plan de la création technologique. Pour les Chinois, c’est une chance, même si cela ne suffira sans doute pas à sortir le pays de ses problèmes. Pour nous, Européens, c’est une menace concurrentielle et sociétale.

On a vu l’année passée le loueur de voitures allemand Sixt passer un contrat pour l’achat de 100 000 voitures électriques au Chinois BYD. De quoi surprendre quand on voit qu’en Chine, les acheteurs de voitures ont toujours préféré les marques allemandes aux marques chinoises. On a vu aussi plusieurs constructeurs chinois au dernier Mondial de l’automobile de Paris présenter des voitures contrastant avec les modèles auxquels l’Empire du milieu nous avait habitués.

Tout vient de la rupture technologique qui frappe le secteur automobile. Si les constructeurs chinois n’ont pas su concurrencer l’écosystème du moteur thermique enraciné en Europe ou aux États-Unis depuis plus d’un siècle, ils se retrouvent avec l’électrique sur un quasi-pied d’égalité avec les constructeurs historiques. Et les fabricants chinois de batteries ont pris une avance considérable. La menace concurrentielle pour les constructeurs non-chinois est donc avérée. Et elle sera sans doute encore plus forte avec l’avènement des voitures sans chauffeur où plusieurs entreprises chinoises avancent leurs pions.

Cette menace est-elle limitée au secteur automobile ? Non, elle vaut pour tous les nouveaux secteurs : intelligence artificielle, communication quantique, blockchain, FinTech, … Les stratégies chinoises dans ces secteurs sont des stratégies offensives où l’initiative privée est encouragée par l’Etat. Ce ne sont pas des secteurs établis comme la pharmacie, le nucléaire civil, le train à grande vitesse, l’aéronautique ou même les semi-conducteurs, où les stratégies chinoises sont des stratégies de rattrapage. Ces dernières sont plus difficiles à conduire, comme le montre le cas du semi-conducteur où les Chinois font face à des Américains qui ont été à l’origine du business dans les années 60s (Intel a été fondée en 1968), lequel business va de plus être revitalisé par la volonté du pouvoir politique démocrate.

Dans tous ces secteurs, qu’ils soient établis ou émergents, le gouvernement chinois a joué le rôle de chef d’orchestre. Il a mis en place tous les composants d’un système national d’innovation : un système éducatif performant, des universités de renom, des centres de recherche publics, des parcs scientifique & technique, des entreprises privées et publiques qui investissent en recherche et développement, des sources de financement pour les jeunes pousses et même une législation qui protège les innovateurs. Et chacun des interprètes doit suivre la partition écrite par le pouvoir, même s’il s’agit d’entreprises privées. C’est ainsi que la Chine est devenue le premier déposant de brevets au monde en moins de vingt ans.

Dans un contexte où la Chine va mal – crise de l’immobilier, croissance en berne, vieillissement de la population, découplage avec les États-Unis et perte de l’avantage de coût – il y a fort à parier que le gouvernement cherche à profiter de la carte technologique qu’il a en main et qu’il fasse tout pour en faire une planche de salut et ne pas tomber dans « le piège des pays à revenu moyen ».

Mais la menace n’est pas simplement concurrentielle pour nous. Elle est aussi sociétale. Une technologie n’est pas neutre – elle porte des valeurs. Des technologies développées dans un pays où la gouvernance est autoritaire ne sont pas toujours bienvenues. Si beaucoup de citoyens chinois voient positivement le système de contrôle social mis en place par leurs autorités, un tel système est vu chez nous comme un effritement des libertés. Les drones de DJI ou les vidéos de TikTok peuvent très bien être des outils de collecte de données de masse sur les comportements des utilisateurs. Il faut donc être vigilant et peut-être même parfois, comme l’ont fait les Américains avec la 5G de Huawei, refuser l’entrée au fournisseur.

Que faire d’autre ? Nous avons en Europe de très beaux écosystèmes technologiques. Mais c’est un peu du chacun pour soi. On a vu avec Airbus qu’on peut collectivement faire de grandes choses. Il n’y pas d’autre option que de renforcer l’union pour améliorer au sein de l’Europe la coordination de nos efforts respectifs de recherche et de développement dans les secteurs-clés suscités. Les entreprises européennes doivent aussi renverser la vapeur. C’est à elles maintenant d’aller en Chine pour chercher les technologies qui leur manque et qu’elles pourront exploiter sur leurs marchés. Finalement, un vrai ministère de la Technologie et de l’innovation européen serait le bienvenu.

Par Dominique Jolly, conseil en stratégie.
Son dernier ouvrage « The Chinese Financial System: sino-centricity and orchestrated control » est sorti en décembre 2023 chez World Scientific.

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