Le handicap dont souffre Lei Qingyao n’est pas si rare en Chine—résultat à vrai dire prévisible d’un niveau de sécurité moindre par rapport à des pays plus anciennement développés. En 1993, à l’âge de 3 ans, à Jiajiang (Sichuan), la fillette avait saisi à deux mains un câble à haute tension tombé à terre, suite à quoi l’hôpital du coin, avec ses moyens limités, n’avait su faire mieux que de l’amputer des deux bras.
L’école maternelle dès lors, ne pouvait plus la recevoir. Elle vit partir copains et copines cartable au dos, quand elle restait à la maison. Elle dut apprendre à affronter ce nouveau regard fuyant des autres, de commisération et de rejet. Ce fut son école à elle. L’extraordinaire est qu’au lieu de la détruire, cette conscience nouvelle la trempa comme l’acier. Si elle ne faisait pas un immense effort de volonté, et mieux que les autres, son sort serait réglé et sa vie fichue, à 5 ans – un sort de mendiante des rues ?
C’était compter sans Lei Hao, son père qui l’adorait. Obsédé par la culpabilité de ne pas avoir su la protéger, il cherchait. Un jour, il trouva. Il alla à la papeterie du bourg, en revint avec un stock de cahiers et crayons, ayant décidé de lui apprendre à écrire avec le pied. Idée folle, qui remplit père et fille d’espoir. Mais bien sûr, les choses n’allèrent pas de suite comme ils voulaient. Ce pied sans muscle ne tenait pas la plume. Hao la lia doucement entre gros et 4ème orteil, et la leçon débuta. Tracer le caractère «人» rén (homme) exigea des jours – le père en pleura de joie !
La suite fut un jeu d’enfants. Par son travail, elle reconquit les actes d’un quotidien « normal », en remplaçant les mains par les pieds. S’habiller, faire une cuisine simple, faire sa toilette ou se brosser les dents, faire du vélo n’eurent bientôt plus de secrets pour elle. Elle devint championne de natation handisport. Elle maîtrisa l’ordinateur, se lança dans une licence de psycho à l’université du Sichuan.
A 17 ans, elle fut l’héroïne d’un téléfilm inspiré de son vécu, qui eut à travers le pays un fort retentissement – moins pour ses capacités (chanter, danser, discourir, se maquiller) que par l’audace de se présenter et le refus souriant d’accepter la fatalité. Comment s’étonner si l’année suivante, l’association des handicapés élisait vice-présidente cette « mademoiselle 100.000 volts» si télégénique ?
Aujourd’hui à 22 ans révolus, il lui manque l’essentiel : la « Vénus de Milo », comme on l’appelle désormais, souffre sans le dire, que nul garçon ne la prenne dans ses bras ni ne lui déclare l’aimer pour elle-même, indifférent à sa condition de manchote…Fonceuse comme on la connaît, Lei ne va pas attendre 107 ans le prince charmant : mi-mars 2012, elle se présente à « Pas sérieux s’abstenir », l’émission la plus regardée de Chine, où des couples réunis pour l’occasion viennent faire leur xiangqin (« 1 er rendez-vous ») et se tester l’un l’autre en direct, à coup de questions-réponses et performances scéniques.
Le show ne lui permit pas de trouver l’homme de sa vie – les garçons restant bloqués par ce bouillonnement d’énergie qui choque leur conception de l’épouse silencieuse et soumise. Mais Lei obtint mieux, peut-être : elle séduisit toute la Chine, par ce charme magique fait de douceur, de bon goût et d’obstination qui perce le mur du désespoir. Pied de nez au destin – fragile mais vainqueur.
Lei Qingyao apprend vite. Sur son microblog (@庆瑶), elle affiche désormais ses moignons sans complexe, en robes pimpantes, aux côtés de stars du petit écran.
A partir de mai, elle sera speakerine à la chaîne locale Chengdu-TV, un « rêve d’enfance » exaucé par Cheng Liu, un des responsables de la chaîne. Si son parcours plait tellement, c’est qu’elle incarne la rage de se « battre jusqu’au dernier souffle », sans jamais se reposer sur ses lauriers : 奋斗到底 (fèndòu dàodǐ) !
Sommaire N° 17